La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/07/2020 | FRANCE | N°19MA02662

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 15 juillet 2020, 19MA02662


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 26 avril 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert auprès des autorités espagnoles, d'annuler l'arrêté du 26 avril 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son assignation à résidence, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours.

Par un jug

ement n° 1903727 du 30 avril 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Mars...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 26 avril 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert auprès des autorités espagnoles, d'annuler l'arrêté du 26 avril 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son assignation à résidence, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours.

Par un jugement n° 1903727 du 30 avril 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2019, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 avril 2019 ;

2°) d'annuler les décisions du préfet des Bouches-du-Rhône du 26 avril 2019 ordonnant son transfert aux autorités espagnoles et son assignation à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une attestation de demande d'asile et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil, en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce règlement emportant renonciation à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité car il a omis de répondre au moyen tiré de l'absence de preuve de saisine des autorités espagnoles ;

*Sur la décision de transfert :

- le préfet n'apporte pas la preuve de la saisine des autorités espagnoles ;

- en l'absence d'indication du nom et de la qualité de l'agent de la préfecture qui a mené l'entretien, il est impossible de vérifier qu'il était qualifié au sens de l'article 5 du règlement CE 604/2013 ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du

26 juin 2013, et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant malien né le 1er janvier 1982, est entré sur le territoire français le 28 octobre 2018 et a déclaré le 4 décembre 2018 son intention de demander l'asile. Par un arrêté du 26 avril 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du même jour, il a ordonné son assignation à résidence dans l'attente de l'exécution de cette mesure. M. C... a demandé l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 30 avril 2019, dont le requérant relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a omis de répondre au moyen tiré de l'absence de preuve de saisine des autorités espagnoles, soulevé par M. C... dans son mémoire enregistré le 30 avril 2019 et visé dans le jugement attaqué. Le jugement doit, en raison de cette omission, être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions dirigées contre la décision de transfert.

3. Par suite, d'une part, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Marseille en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision de transfert aux autorités espagnoles. D'autre part, il y a lieu de statuer sur le surplus de sa requête devant la Cour, tendant à l'annulation de la décision d'assignation à résidence, par la voie de l'effet dévolutif.

Sur la légalité de la décision de transfert :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, dans sa rédaction issue du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 et applicable à la décision en litige : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement / (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Selon l'article 19 de ce règlement : " 1. Chaque État membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé réception pour toute transmission entrante. (...) ".

5. Il résulte des dispositions citées aux points 4 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " DubliNet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception de l'Etat requis n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été informé, le 3 décembre 2018, que le passage des empreintes de M. C... dans le fichier Eurodac avait donné un résultat positif, celles-ci ayant été déjà relevées en Espagne le 30 septembre 2018 sous le n° ES 2 1838049148, le préfet des Bouches-du-Rhône indique avoir adressé le 11 décembre 2018, au point unique d'accès national établi auprès du ministre de l'intérieur, une demande de prise en charge de

M. C... à transmettre à l'Espagne au moyen du réseau de communication " DubliNet ", qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales en charge des demandes d'asile. Le préfet des Bouches-du-Rhône a produit, pour en justifier, la copie d'un accusé de réception DubliNet du 11 décembre 2018, mentionnant la référence " FRDUB19930209418-130 " qui correspond au numéro attribué au requérant par la préfecture des Bouches-du-Rhône. Cet accusé de réception est une réponse automatique émise le 11 décembre 2018 à la suite de l'envoi de la demande de prise en charge de M. C... au moyen de l'application DubliNet. Ce document permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès cette date les autorités espagnoles lesquelles ont donc donné leur accord implicite à la prise en charge de l'intéressé. M. C... n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'il n'est pas établi que les autorités espagnoles ont effectivement été saisies dans le délai de deux mois imparti par les dispositions du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 et qu'elles n'ont pas, en conséquence, accepté implicitement sa prise en charge à la date de la décision litigieuse.

7. En deuxième lieu, il y a lieu, M. C... ne faisant état en appel d'aucune argumentation nouvelle sur ces points, d'adopter la réponse du premier juge aux moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'acte en cause, de l'insuffisante motivation de cet acte et de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) 60412013 du 26 juin 2013.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié le 4 décembre 2018 d'un entretien individuel assuré par un agent qualifié de la préfecture des Bouches-du-Rhône, dont aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit qu'on en connaisse l'identité, afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Cet entretien, au cours duquel ont été précisés les éléments relatifs à sa situation et à son parcours, a été réalisé, avec le concours d'un interprète mandaté par le préfet des Bouches-du-Rhône, en langue soninké, langue qu'il a déclaré comprendre. M. C..., en apposant sa signature sur le compte rendu de cet entretien, a attesté que les renseignements qui s'y trouvent sont exacts et qu'il avait compris la procédure engagée à son encontre. Il n'est par suite pas fondé à soutenir que la procédure est irrégulière sur ce point.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 53-1 de la Constitution du

4 octobre 1958 : " La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. " Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. " Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".

11. Contrairement à ce que soutient M. C..., rien n'indique que sa demande d'asile ne sera pas traitée " dans des conditions conformes au droit d'asile " par les autorités espagnoles. Par ailleurs, si M. C... soutient qu'il suit actuellement un traitement médical, il ne précise ni lequel, ni qu'il n'y aurait pas accès en Espagne. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté discrétionnaire qu'il tient des dispositions et stipulations précitées au

point 10, de confier aux autorités françaises l'examen de sa demande d'asile.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 26 avril 2019 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son transfert auprès des autorités espagnoles doivent être rejetées.

Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :

13. En premier lieu, aux termes du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants :(...)2° Si l'étranger doit être (..) transféré vers l'Etat responsable de sa demande d'asile (...) La décision d'assignation à résidence est motivée ".

14. En l'espèce, l'arrêté attaqué vise les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables et fait mention de l'arrêté du 26 avril 2019 portant décision de transfert aux autorités espagnoles. Il précise que M. C..., qui a déclaré une adresse administrative, présente des garanties de représentation suffisantes pour prévenir le risque qu'il se soustraie à la mesure de transfert et que l'exécution de la mesure d'éloignement demeure une perspective raisonnable. L'arrêté attaqué énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

15. En second lieu, si M. C... soutient que cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'elle emporte pour sa situation personnelle, il ne justifie d'aucun élément précis à l'appui de ce moyen.

16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 26 avril 2019 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné son assignation à résidence doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de

l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante au litige, la somme que demande le conseil de M. C....

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, où siégeaient :

- M. A..., président,

- M. Ury, premier conseiller,

- Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 juillet 2020.

2

N° 19MA02662


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02662
Date de la décision : 15/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Alexandre BADIE
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : DJERMOUNE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-15;19ma02662 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award