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19/06/2020 | FRANCE | N°18MA00397

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 19 juin 2020, 18MA00397


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées, l'association Pleine nature pays cathare, M. B... E..., M. Q... A..., la société Rodeo-raft, l'association Pyrène, Mme C... T..., la SARL Oxygen aventure, la SARL Sud rafting, la SAS Eaurizon sud, M. O... S..., la SARL Roc Aqua, la SARL Easy kayak, M. M... K..., M. P... J..., M. U... L..., M. V... N..., M. Q... I..., Mme R... F..., la SARL Huguette et Co, la SARL Le Central, M. D... H... et l'EURL Boulangerie

Pâtisserie Perez ont demandé au tribunal administratif de Montpelli...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées, l'association Pleine nature pays cathare, M. B... E..., M. Q... A..., la société Rodeo-raft, l'association Pyrène, Mme C... T..., la SARL Oxygen aventure, la SARL Sud rafting, la SAS Eaurizon sud, M. O... S..., la SARL Roc Aqua, la SARL Easy kayak, M. M... K..., M. P... J..., M. U... L..., M. V... N..., M. Q... I..., Mme R... F..., la SARL Huguette et Co, la SARL Le Central, M. D... H... et l'EURL Boulangerie Pâtisserie Perez ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de l'Aude sur leur recours gracieux tendant à ce que cette autorité édicte, de façon permanente, par règlements d'eau et/ou modification des cahiers des charges des concessions hydroélectriques établies sur le cours d'eau de l'Aude, les prescriptions de lâchers d'eau nécessaires pour obtenir un débit de 8 m3 par seconde et d'au minimum 7 m3 par seconde sur le cours d'eau de l'Aude du 1er juillet au 31 août pendant 6 heures par jour durant une période de 62 jours, ainsi que les weekends et les jours fériés du 1er avril au 30 juin et du 1er septembre au 30 septembre pendant 4 heures par jour durant une période de 32 jours afin de permettre les activités liées au tourisme, aux sports et aux loisirs nautiques et ce, sans indemnité compensatoire et, dans l'attente, à ce que cette autorité ordonne les lâchers d'eau nécessaires pour les week-ends et jours fériés d'avant-saison 2016, du 1er avril au 31 juin, et ce sans aucune indemnité compensatoire.

Par un jugement n° 1603686 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 janvier 2018 et le 27 février 2019, le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées, l'association Pleine nature pays cathare, l'association Pyrène, la SARL Eaurizon, la SARL Roc Aqua et Mme C... T..., représentés par Me G..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 28 novembre 2017 ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Aude a rejeté leur demande.

Ils soutiennent que :

- le tribunal aurait dû rouvrir l'instruction après la production de leur mémoire dans lequel ils faisaient valoir une circonstance de fait nouvelle ;

- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en s'abstenant de communiquer leur note en délibéré ;

- la décision contestée méconnaît le principe de gestion équilibrée posé par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;

- elle méconnaît les articles L. 214-5 du code de l'environnement et les articles L. 521-2 et R. 521-30 du code de l'énergie ;

- la circulaire interministérielle du 13 juillet 1999 reconnaît les enjeux liés à la pratique des activités nautiques à l'aval des ouvrages hydrauliques en imposant des mesures de sécurité ;

- les redevances réclamées par EDF pour les lâchers d'eau sont dépourvues de base légale ;

- l'absence de maintien d'un niveau d'eau adéquat constitue une menace pour la sécurité publique ;

- cette absence de maintien d'un niveau d'eau adéquat porte une atteinte grave aux intérêts économiques et sociaux eu égard à ses effets sur l'activité des opérateurs et sur l'emploi ;

- elle porte également atteinte à la libre circulation des engins nautiques non motorisés ;

- le préfet n'établit, ni même n'allègue, que l'équilibre général de la concession EDF serait menacé ;

- des règlements d'eau ont été édictés dans d'autres départements ;

- le préfet a conclu avec EDF, le 6 juillet 2017, une convention pour la gestion exceptionnelle des barrages EDF de la haute vallée de l'Aude durant l'été 2017 dont les termes relatifs aux lâchers d'eau constituent pour partie une réponse à leur demande ;

- le préfet a entaché d'erreur manifeste d'appréciation la décision en litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées devant la Cour par les appelants tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de l'Aude sur leur recours gracieux en tant qu'elles tendent à ce que le préfet ordonne les lâchers d'eau nécessaires pour les week-ends et jours fériés d'avant-saison 2016, du 1er avril au 31 juin, dès lors que cette demande était sans objet à la date à laquelle ils ont formé appel contre le jugement du tribunal rejetant leur recours contre cette décision.

Par un mémoire enregistré le 3 juin 2020, le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres ont présenté des observations en réponse au moyen susceptible d'être relevé d'office par la Cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;

- le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;

- la circulaire interministérielle du 13 juillet 1999 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres relèvent appel du jugement du 28 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de l'Aude sur leur recours gracieux tendant à ce que cette autorité édicte, de façon permanente, par règlements d'eau et/ou modification des cahiers des charges des concessions hydroélectriques établies sur le cours d'eau de l'Aude, les prescriptions de lâchers d'eau nécessaires pour obtenir un débit de 8 m3 par seconde et d'au minimum 7 m3 par seconde sur le cours d'eau de l'Aude du 1er juillet au 31 août pendant 6 heures par jour durant une période de 62 jours, ainsi que les weekends et les jours fériés du 1er avril au 30 juin et du 1er septembre au 30 septembre pendant 4 heures par jour durant une période de 32 jours afin de permettre les activités liées au tourisme, aux sports et aux loisirs nautiques et ce, sans indemnité compensatoire et, dans l'attente, à ce que cette autorité ordonne les lâchers d'eau nécessaires pour les week-ends et jours fériés d'avant-saison 2016, du 1er avril au 31 juin, et ce sans aucune indemnité compensatoire.

Sur la recevabilité :

2. Il résulte de l'instruction que les conclusions présentées devant la Cour par le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de l'Aude sur leur recours gracieux en tant qu'elles tendent à ce que le préfet ordonne les lâchers d'eau nécessaires pour les week-ends et jours fériés d'avant-saison 2016, du 1er avril au 31 juin, avaient perdu leur objet à la date à laquelle ils ont formé appel contre le jugement du tribunal rejetant leur recours contre cette décision. Ces conclusions sont dès lors irrecevables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser.

4. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

5. Il ressort des pièces du dossier que, dans un mémoire produit le 2 novembre 2017, soit postérieurement à la clôture de l'instruction devant le tribunal qui avait été prononcée le 18 juillet 2017, le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres ont fait état de la conclusion le 6 juillet 2017 d'une convention entre l'Etat, représenté par le préfet de l'Aude, et la société EDF ayant pour objet " la gestion exceptionnelle des barrages EDF de la haute vallée de l'Aude durant l'été 2017 ", par laquelle a été convenu que le concessionnaire de ces barrages procèderait à des lâchers d'eau durant les mois de juillet et août 2017. S'ils ont visé ce mémoire dans le jugement attaqué sans l'analyser ni le communiquer au préfet, les premiers juges ont cependant mentionné cet élément nouveau qu'il contenait, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que les demandeurs de première instance étaient en mesure d'en faire état avant la clôture de l'instruction. Et alors même qu'il a jugé que l'intervention de cette convention était sans influence sur le litige, le tribunal s'est néanmoins fondé dans son jugement sur cette circonstance de fait pour illustrer le fait que " les services de l'Etat, dans le département de l'Aude, veillent à conjuguer les différents usages de l'eau dans un souci de préservation de la ressource ", sans toutefois rouvrir l'instruction ni soumettre le mémoire du 2 novembre 2017 au débat contradictoire. Cependant, cette circonstance n'affecte aucunement le respect du caractère contradictoire de la procédure à l'égard du syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres et ne saurait dès lors être utilement invoquée par eux, le préfet de l'Aude ayant en tout état de cause connaissance de l'existence de cette convention qu'il a lui-même signée. Il en est de même de la circonstance selon laquelle les premiers juges n'ont pas communiqué au préfet la note en délibéré qu'ils ont produite postérieurement à l'audience et qui contenait des éléments nouveaux au soutien de leur argumentation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau (...) / II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; / 3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " I. - Les règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. / II. - Elles fixent : (...) / 2° Les règles de répartition des eaux, de manière à concilier les intérêts des diverses catégories d'utilisateurs ; (...) ". Aux termes de l'article L. 214-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux (...) ". Aux termes de l'article L. 214-2 dudit code : " Les installations, ouvrages, travaux et activités visés à l'article L. 214-1 sont définis dans une nomenclature (...) et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu'ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatique (...) ". Aux termes de l'article L. 214-3 de ce même code : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. / Cette autorisation est l'autorisation environnementale régie par les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier, sans préjudice de l'application des dispositions du présent titre. / II.- Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. / Dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, l'autorité administrative peut s'opposer à l'opération projetée s'il apparaît qu'elle est incompatible avec les dispositions du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ou du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, ou porte aux intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 une atteinte d'une gravité telle qu'aucune prescription ne permettrait d'y remédier. Les travaux ne peuvent commencer avant l'expiration de ce délai. / Si le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3, l'autorité administrative peut, à tout moment, imposer par arrêté toutes prescriptions particulières nécessaires. (...) ". Aux termes de l'article L. 214-5 du même code : " Les dispositions relatives aux règlements d'eau des entreprises hydroélectriques concédées sont énoncées à l'article L. 521-2 du code de l'énergie. ". Selon l'article L. 521-2 du code de l'énergie : " Les règlements d'eau des entreprises hydroélectriques sont pris conjointement au titre du présent livre et des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l'environnement. / Ces règlements peuvent faire l'objet de modifications, sans toutefois remettre en cause l'équilibre général de la concession. ". En vertu de l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, applicable à la date à laquelle a été concédée l'exploitation par EDF du barrage de Matemale par décret du 25 septembre 1962 tel qu'il ressort des énonciations du projet de convention pour l'année 2018 produit dans l'instance par les appelants : " (...) le cahier des charges détermine, notamment (...) / 2° Le règlement d'eau et en particulier les mesures intéressant la navigation ou le flottage, la protection contre les inondations, la salubrité publique, l'alimentation et les besoins domestiques des populations riveraines, l'irrigation, la conservation et la libre circulation du poisson, la protection des paysages, le développement du tourisme ; (...) ". Aux termes de l'article R. 521-29 du code de l'énergie : " Le règlement d'eau peut être modifié à la demande du concessionnaire ou à l'initiative du préfet. Dans ce dernier cas, le concessionnaire est saisi pour avis du projet de modification de ce règlement. / Lorsque la modification projetée est de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs au regard des principes énoncés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement, elle fait l'objet d'une enquête publique réduite aux seuls territoires sur lesquels ces dangers ou inconvénients sont susceptibles d'intervenir. Dans ce cas, le préfet recueille l'avis du ou des conseils départementaux de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques concernés, le cas échéant des autorités chargées de la gestion du domaine public concerné, du comité mentionné à l'article L. 524-1 lorsqu'il existe, et de tout autre organisme dont il juge l'avis utile au regard des enjeux soulevés par cette modification. Faute d'avoir été émis dans un délai de trois mois, les avis sont réputés favorables. / Le préfet notifie au concessionnaire les avis recueillis et, le cas échéant, le projet de règlement d'eau modifié par ses soins. Le concessionnaire dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du projet pour formuler ses observations au préfet. Il est ensuite statué par arrêté du ou des préfets compétents. ". Et selon l'article R. 521-30 de ce code : " Pour les concessions existantes ne disposant pas d'un règlement d'eau, le préfet peut, sur son initiative ou à la demande du concessionnaire, engager, sans remettre en cause l'équilibre général de la concession, la procédure d'établissement d'un règlement. Ce projet de règlement est élaboré selon la procédure définie à l'article R. 521-29. ".

7. D'une part, les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ont pour seul objet de poser le principe et les objectifs de la gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que les exigences qui en résultent, notamment en matière de sécurité civile, de production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, de tourisme, de loisirs et de pratique des sports nautiques, à l'occasion des différents usages, activités ou travaux portant sur cette ressource.

8. D'autre part, il résulte des dispositions citées ci-dessus du code de l'environnement et du code de l'énergie que les ouvrages soumis à autorisation ou à déclaration et les entreprises hydroélectriques concédées doivent respecter la législation visant à une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau qui inclut la protection des intérêts mentionnés au II de l'article L. 211-1, au nombre desquels figure la pratique des loisirs et des sports nautiques.

9. Il résulte de l'instruction qu'à partir de 1987, les activités de canoë-kayak, de rafting et de nage en eau vive se sont développées sur le cours de l'Aude, plus particulièrement dans la haute vallée de ce fleuve. Or ont été autorisés sur ce cours d'eau l'exploitation d'un barrage, dit de Matemale, et de la centrale hydroélectrique de Nentilla, assurée par EDF. Le cours de l'Aude est également soumis aux effets d'un autre barrage, dit de Puyvalador, et de la centrale hydroélectrique de Saint-Georges, établis sur un affluent de l'Aude, la Bruyante, également exploités par EDF. Les collectivités locales ont soutenu le développement de ces activités de loisir, qui présentent des enjeux sociaux et économiques. Selon les requérants, le " soutien " des débits et niveaux d'eau s'effectuait par la voie de consignes informelles données par l'administration au concessionnaire. Les professionnels du tourisme déploraient cependant une absence de visibilité et de stabilité pour l'exercice de leurs activités liées à la navigation. En 2001, le syndicat mixte de la Vallée a porté, avec les acteurs de l'eau vive, un projet de mise en place d'un système pérenne permettant la navigation les week-ends et jours fériés d'avant et d'après saison et durant les deux mois de saison estivale. Une convention a ainsi été conclue entre l'Etat, représenté par le préfet de l'Aude, le syndicat mixte de la Vallée et EDF prévoyant des lâchers d'eau moyennant une compensation financière au profit du concessionnaire, dont la charge était partagée entre les collectivités publiques et les professionnels de l'eau vive. Constatant l'augmentation sensible de la part mise à leur charge, qui est passée de 6 098 euros la première année à 15 000 euros quatre ans plus tard, certains professionnels ont estimé ce montant exorbitant et ont alors décidé, à partir de 2014, de ne plus s'acquitter de ces sommes. Les collectivités se sont alors elles aussi désengagées. En l'absence de cadre conventionnel ou réglementaire, EDF est revenu à sa pratique antérieure consistant en des lâchers d'eau aléatoires, guidés par les nécessités de l'exploitation, sans informations préalable. C'est dans ce contexte que par lettre du 7 mars 2016, plusieurs professionnels, dont le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées, ont demandé au préfet de l'Aude d'édicter des règlements d'eau et/ou de modifier les cahiers des charges des concessions hydroélectriques établies sur le cours d'eau de l'Aude et de prescrire au concessionnaire les lâchers d'eau nécessaires à la pratique des activités qu'ils représentent les week-ends et jours fériés entre le 1er avril et le 30 juin et ce, sans aucune indemnité compensatoire.

10. Si, lorsqu'il est appelé à statuer sur une demande d'autorisation environnementale en application des dispositions de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, le préfet doit veiller, sous le contrôle du juge, au respect du principe et des objectifs de gestion équilibrée de la ressource en eau posés à l'article L. 211-1 et qu'il peut s'opposer à la mise en oeuvre du projet qui lui est soumis si celui-ci porte aux intérêts mentionnés à cet article une atteinte d'une gravité telle qu'aucune prescription ne permettrait d'y remédier et que cette autorité peut également, à tout moment, imposer par arrêté toutes prescriptions particulières nécessaires si le respect des intérêts mentionnés à cet article L. 211-1 n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions édictées en application de l'article L. 211-2, particulièrement celles concernant la répartition des eaux afin de concilier les intérêts des diverses catégories d'utilisateurs, et si, par ailleurs, les dispositions des articles R. 521-29 et R. 521-30 du code de l'énergie relatives aux règlements d'eau des entreprises hydroélectriques permettent au préfet, après avis du concessionnaire et le cas échéant après enquête publique, de modifier le règlement d'eau en vigueur d'une entreprise hydroélectrique ou, s'il n'en existe pas, d'engager une procédure d'établissement d'un tel règlement sous réserve de ne pas remettre en cause l'équilibre général de la concession hydroélectrique, les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement et celles du code de l'énergie citées au point 6 ci-dessus ne sauraient faire obligation au préfet, sauf dans le cas où serait invoquée la privation effective et totale de l'usage de l'eau, de satisfaire les demandes de modification des usages de cette eau ou de leur équilibre entre usagers, particulièrement en présence d'exploitations hydrauliques ayant fait l'objet d'autorisations administratives après enquête publique et qui sont soumises à un règlement d'eau.

11. En l'espèce, il résulte de l'instruction que si, certes sur les périodes d'avril à septembre, les débits et hauteurs d'eau sur certaines portions du fleuve Aude, au demeurant non précisées par les appelants, ne permettent pas de pratiquer l'ensemble des sports et activités en eau vive, la présence des installations exploitées par EDF, qui est réputée être dotée d'un règlement d'eau en vertu des dispositions l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 reprises aujourd'hui à l'article L. 521-4 du code de l'énergie, et les conditions d'exploitation de ces installations n'y font pas obstacle en dehors de ces périodes. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que l'exploitant s'est toujours montré ouvert à la mise en oeuvre de lâchers d'eau concertés durant ces périodes, moyennant compensation de la perte financière occasionnée par le déficit d'exploitation de la force de l'eau ainsi lâchée. A cet égard, la convention conclue entre l'Etat et EDF le 6 juillet 2017, qui prévoit la mise à disposition de volumes d'eau supplémentaires pour les mois de juillet et août 2017, fait état d'un manque à gagner d'exploitation de 100 000 euros, la convention précisant que cette perte sera exceptionnellement supportée par l'exploitant compte tenu des conditions particulières de la campagne 2017 liées à la réalisation des opérations de maintenance sur les barrages. Il ressort de la même manière des énonciations du projet de convention au titre de la saison 2018, qualifiée d'expérimentale et ayant vocation à être conclue entre EDF, la communauté de communes des Pyrénées audoises et l'association Aude vive 2015 qui représente les intérêts de certains professionnels et pratiquants des sports et activités en eau vive, qu'alors que cette association estime que la participation financière possible, qui correspondrait à une contribution volontaire fixée à 0,60 euros par descente pour un nombre total de descentes estimé à 25 000 sur la saison 2018, représenterait 15 000 euros, EDF observe que ce montant ne couvre que 15 % du coût réel.

12. Il résulte encore de l'instruction que l'exploitant est soumis à des obligations en matière de partage de l'utilisation de la ressource en eau fixées par la convention dite de Matemale conclue entre l'Etat et EDF en 1957, qui vise à assurer, en juillet et en août, l'irrigation agricole des basses plaines de l'Aude en prévoyant un volume d'eau total maximal de 10 Mm3, des lâchers dépendants du débit naturel de l'Aude ne pouvant intervenir que si ce débit, mesuré à Axat, est inférieur à 4,5 m3/s, ainsi que des lâchers contraints à 3 m3/s du 1er avril au 30 juin et à 4,5 m3/s du 1er juillet au 31 août avec possibilité de porter le débit à 5 m3/s pendant 450 heures.

13. Dans ces conditions, en opposant un refus à la demande présentée par le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres, qui précise d'ailleurs très expressément qu'elle s'entend comme exclusive de toute indemnisation au profit d'EDF, le préfet de l'Aude n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, alors même que, selon les appelants, l'absence de maintien d'un niveau d'eau adéquat porterait une atteinte grave aux intérêts économiques et sociaux des usagers qu'ils représentent et que l'absence de maintien de niveau d'eau adéquat constituerait une menace pour la sécurité publique et porterait atteinte à la libre circulation des engins nautiques non motorisés.

14. La circonstance que des règlements d'eau ont été édictés dans d'autres départements n'est pas de nature à faire regarder la décision de refus comme étant entachée d'illégalité.

15. Les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance selon laquelle le préfet de l'Aude a conclu avec EDF, le 6 juillet 2017, la convention mentionnée au point 5 ci-dessus, quand bien même les termes de cette convention relatifs aux lâchers d'eau constituent pour partie une réponse à la demande qu'ils ont présentée devant cette autorité.

16. Les requérants ne peuvent davantage utilement se prévaloir des termes de la circulaire interministérielle du 15 avril 1981 qu'ils invoquent dès lors que cette circulaire n'a pas été reprise, à la date du 1er mai 2009, sur le site internet créé en application des dispositions de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 et est donc réputée abrogée à cette date, ni de celle du 13 juillet 1999 relative à la sécurité des zones situées à proximité ainsi qu'à l'aval des barrages et aménagements hydrauliques face aux risques liés à l'exploitation des ouvrages, laquelle ne présente pas un caractère réglementaire.

17. Le moyen tiré de ce que les redevances réclamées par EDF en compensation des lâchers d'eau seraient dépourvues de base légale est en tout état de cause inopérant à l'encontre de la décision contestée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande. Par suite, la requête doit être rejetée.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat national des guides professionnels des activités de canoë-kayak et disciplines associées, à l'association Pleine nature pays cathare, à l'association Pyrène, à la SARL Eaurizon, à la SARL Roc Aqua, à Mme C... T... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 juin 2020.

2

N° 18MA00397

nl


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA00397
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Gestion de la ressource en eau.

Energie - Énergie hydraulique.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP TOMASI GARCIA et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-19;18ma00397 ?
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