Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 14 mai 2019 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé la destination de la mesure d'éloignement et a pris à son encontre une interdiction de retour pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 1902457 du 26 juin 2019, le magistrat délégué du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I) Par une requête enregistrée le 14 décembre 2019, sous le n° 19MA05577, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat délégué du tribunal administratif de Montpellier du 26 juin 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 mai 2019 du préfet de l'Hérault ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à Me A..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir l'allocation au titre de l'aide juridictionnelle ;
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Montpellier a méconnu le principe de l'égalité des armes en jugeant que les dispositions de l'article R. 414-3 du code de justice administrative ne sont applicables qu'au requérant et non à l'administration en défense et la numérotation des pièces produites en défense par le préfet était nécessaire à l'exercice des droits de la défense ;
- l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des articles L. 11 et L. 11-1 du code de procédure pénale ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas motivée ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de fait, car il a été pris en charge en tant que mineur par le département des Hautes-Alpes et il n'a pas été convoqué en justice pour des faits de détention de faux documents et de d'escroquerie ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 47 du code civil et l'article L. 511-4 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il avait justifié de sa minorité au moyen de son état civil et ne pouvait pas dès lors faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour n'est pas motivée ;
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français entraîne l'illégalité de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant interdiction de retour ;
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2020, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. B... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2019.
II) Par une requête enregistrée le 14 décembre 2019, sous le n° 19MA05578, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) de suspendre l'exécution du jugement du 26 juin 2019 du tribunal administratif de Montpellier et de l'arrêté du 14 mai 2019 du préfet de l'Hérault ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement la somme 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à Me A..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir l'allocation au titre de l'aide juridictionnelle ;
Il soutient que :
- la possibilité d'exécuter une mesure d'éloignement caractérise un risque de conséquences difficilement réparables ;
- la requête au fond est assortie de moyens sérieux ;
- le tribunal administratif de Montpellier a méconnu le principe de l'égalité des armes en jugeant que les dispositions de l'article R. 414-3 du code de justice administrative ne sont applicables qu'au requérant et non à l'administration en défense et la numérotation des pièces produites en défense par le préfet était nécessaire à l'exercice des droits de la défense ;
- l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des articles L. 11 et L. 11-1 du code de procédure pénale ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas motivée ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de fait, car il a été pris en charge en tant que mineur par le département des Hautes-Alpes et il n'a pas été convoqué en justice pour des faits de détention de faux documents et d'escroquerie ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 47 du code civil et l'article L. 511-4 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il avait justifié de sa minorité au moyen de son état civil et ne pouvait pas dès lors faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour n'est pas motivée ;
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français entraîne l'illégalité de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant interdiction de retour.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2020, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 20071205 du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation d'actes ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur la jonction :
1.Les deux requêtes sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
2. M. B..., de nationalité Guinéenne, qui déclare être né le 25 janvier 2001, a demandé à être pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département des Hautes-Alpes puis a été orienté vers les services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Hérault. Le préfet de l'Hérault, qui émettait des doutes sur l'authenticité des documents d'identité produits par M. B..., a demandé au procureur de la République d'ordonner la réalisation d'un test osseux de l'intéressé, ce qui a été fait. Ce test a conclu à la majorité de M. B... et le préfet de l'Hérault a pris à son encontre le 14 mai 2019 une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour d'un an. M. B... demande à la Cour d'annuler le jugement du 26 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes des deux derniers alinéas de l'article R. 611-8-2 du code de justice administrative, les parties et mandataires inscrits dans l'application Télérecours " doivent adresser tous leurs mémoires et pièces au moyen de celle-ci, sous peine de voir leurs écritures écartées des débats à défaut de régularisation dans un délai imparti par la juridiction. (...) Si les caractéristiques de certains mémoires ou pièces font obstacle à leur communication par voie électronique, ils sont transmis sur support matériel, accompagnés de copies en nombre égal à celui des autres parties augmenté de deux. L'inventaire des pièces transmis par voie électronique en fait mention. / Lorsque les parties et mandataires inscrits dans l'application transmettent, à l'appui de leur mémoire, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire qui en est dressé. S'ils transmettent un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Ces obligations sont prescrites aux parties et mandataires inscrits dans l'application sous peine de voir leurs écritures écartées des débats à défaut de régularisation dans un délai imparti par la juridiction ".
4. Les dispositions, citées au point 2, relatives à l'établissement d'un inventaire détaillé et à la présentation des pièces adressées à la juridiction par le moyen de l'application informatique Télérecours, s'appliquent à la transmission des pièces que les parties produisent à l'appui de leurs écritures, y compris en ce qui concerne les pièces produites par l'administration à l'appui de son mémoire en défense. L'inventaire détaillé mentionné par ces articles doit s'entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d'elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu'un libellé suffisamment explicite. Il appartient ainsi à l'administration de désigner chaque pièce dans l'application Télérecours au moins par le numéro d'ordre qui lui est attribué par l'inventaire détaillé, que ce soit dans l'intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l'intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu'une seule pièce.
5. Il ressort des pièces du dossier que les pièces produites en première instance par le préfet de l'Hérault, qui ne constituaient pas une série homogène eu égard à l'objet du litige, n'ont pas donné lieu à un inventaire détaillé, alors même que le demandeur de première instance avait rappelé cette obligation. Le tribunal a entaché d'irrégularité son jugement en n'écartant pas des débats les écritures du préfet de l'Hérault. Le requérant est fondé dès lors à demander l'annulation du jugement attaqué.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur la légalité de l'arrêté du 14 mai 2019 :
7. Selon l'article 388 du code civil : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé ". Selon l'article 47 du même code : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans.". Enfin, aux termes de l'article 2 du décret n° 20071205 du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation d'actes : " La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. / Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté du ministre des affaires étrangères. ".
8. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
9. D'une part, la formalité de la légalisation des actes de l'état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, obligatoire pour y recevoir effet. Le jugement supplétif d'acte de naissance produit par M. B... ne comporte que la légalisation par le ministère guinéen des affaires étrangères. A défaut de légalisation de ce jugement supplétif par le consul de France en Guinée ou par le consul de Guinée en France, il ne satisfait pas aux exigences de la légalisation. M. B... n'est donc pas fondé à s'en prévaloir.
10. D'autre part, l'article 388 du code civil dispose : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé. "
11. Il ressort des pièces du dossier que les examens médicaux pratiquées le 4 mai 2018 sur M. B... ont conclu à un stade d'évolution osseux de 19 ans avec un écart type de 1,5 ans, et à un âge dentaire de 21,4 ans + ou - 2,34. Par ailleurs, le rapport d'évaluation établi le 13 octobre 2017 par le pôle cohésion sociale et solidarités du département des Hautes-Alpes conclut que les éléments recueillis au terme du processus d'évaluation de M. B... plaident en faveur de la minorité de l'intéressé. Eu égard à la marge d'erreur que comprennent les résultats des tests osseux et dentaires, et des conclusions du rapport d'évaluation, il existe un doute quant à la majorité de M. B... à la date de l'arrêté attaqué. Le requérant est fondé dès lors à soutenir que le préfet de l'Hérault a méconnu les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français.
12. Il ressort de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité, et à en demander l'annulation.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
13. Le présent arrêt se prononçant sur le fond du litige, les conclusions du requérant tendant au sursis à exécution du jugement contesté sont devenues sans objet et il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. Le présent arrêt implique que le préfet de l'Hérault procède au réexamen de la situation de M. B.... Il y a lieu de lui faire injonction de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à Me A..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat délégué du tribunal administratif de Montpellier du 26 juin 2019 et l'arrêté du 14 mai 2019 du préfet de l'Hérault sont annulés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête 19MA05578.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au ministre de l'intérieur et à Me A....
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 4 juin 2020, où siégeaient :
- M. Poujade, président,
- M. C... président assesseur,
- Mme Baizet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 juin 2020.
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N° 19MA05577, 19MA05578
hw