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03/03/2020 | FRANCE | N°18MA05320

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 03 mars 2020, 18MA05320


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Carpentras à lui verser la somme de 90 000 euros et d'enjoindre à la commune de Carpentras de reconstituer sa carrière.

Par un jugement n° 1602786 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 décembre 2018 et le 29 octobre 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 18 octobre 2018 ;

2°) de condamner la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Carpentras à lui verser la somme de 90 000 euros et d'enjoindre à la commune de Carpentras de reconstituer sa carrière.

Par un jugement n° 1602786 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 décembre 2018 et le 29 octobre 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 18 octobre 2018 ;

2°) de condamner la commune de Carpentras à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) d'enjoindre à la commune de Carpentras de reconstituer sa carrière ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Carpentras une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, assortie des intérêts au taux légal.

Il soutient que :

- il est victime de harcèlement moral depuis le 1er octobre 2014, à la suite de la réorganisation des services de la police municipale ;

- le harcèlement moral qu'il a subi, qui a le caractère d'une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, ainsi que la méconnaissance, par l'administration qui n'a pas assuré sa sécurité physique et mentale, du protocole d'accord du 22 octobre 2013 rendant applicable à la fonction publique les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, constituent des fautes engageant la responsabilité de la commune ;

- le préjudice moral est caractérisé et doit être indemnisé à hauteur de 70 000 euros ;

- le préjudice matériel est constitué de nombreuses pertes de revenus en raison de ses arrêts de maladie ;

- les troubles dans les conditions de l'existence doivent être indemnisés à hauteur de 15 000 euros ;

- il a subi un préjudice de carrière qui doit, d'une part, être indemnisé à hauteur de 5 000 euros, et, d'autre part, doit être réparé par une reconstitution de carrière.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 mai 2019 et le 4 décembre 2019, la commune de Carpentras, représentée par la SCP Monceaux-Favre de Thierrens-Barnouin Thévenot-Vrignaud, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la réduction des demandes de M. A... et en tout état de cause, à la mise à la charge de celui-ci de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les créances dont se prévaut M. A... pour des faits antérieurs à l'année 2012 sont prescrites ;

- la commune n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ;

- les demandes indemnitaires de M. A... sont trop élevées.

Par ordonnance du 5 décembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 18 décembre 2019 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., policier municipal, exerce les fonctions de brigadier-chef principal au sein de la police municipale de Carpentras (Vaucluse). Il a demandé au maire de la commune de Carpentras, par lettre du 25 avril 2016, reçue le 9 mai 2016, l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du harcèlement moral dont il serait victime depuis le 1er octobre 2014. Du silence gardé par l'administration sur sa demande indemnitaire préalable est née, le 9 juillet 2016, une décision implicite de rejet. M. A... relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices et à la reconstitution de sa carrière.

Sur les demandes indemnitaires, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. En premier lieu, M. A... soutient que, dans le cadre de la réorganisation des services de la police municipale mise en place à compter du 1er octobre 2014, il s'était déclaré volontaire pour rejoindre la brigade de nuit nouvellement créée mais que, contre toute attente, il a découvert, à son retour de congés, qu'il était affecté à la brigade du jour, dont les missions, manifestement destinées à humilier les agents qui la composent, se déroulent dans des conditions dégradées, notamment du fait de la longueur des patrouilles à pied, de l'impossibilité d'utiliser des véhicules motorisés, dont la brigade de jour n'a pas été pourvue, ainsi que de l'obligation de travailler par tous les temps sans protection adéquate contre le vent et la pluie. Il soutient en outre que son affectation dans cette brigade est une mesure punitive, en rétorsion de son activité de délégué syndical et des positions qu'il a été amené à prendre, en opposition à sa hiérarchie, dans le cadre d'un mouvement de grève intervenu en 2011 et de plusieurs incidents impliquant des collègues dont il assurait la défense.

5. S'il résulte de l'instruction que M. A... était volontaire pour intégrer la brigade de nuit et qu'il en possédait les compétences, et qu'un autre agent, non volontaire, a été pour sa part affecté à la brigade de nuit alors que ce dernier souhaitait rejoindre une brigade intervenant le jour, il apparaît que les affectations des agents au sein des différentes brigades ont été faites en fonction des compétences particulières des agents et de la " compatibilité " entre les différents membres des équipes, et que M. A... a été choisi pour faire partie de la brigade de jour au double motif de l'expérience acquise dans l'ensemble de ses fonctions et d'une bonne entente avec les autres membres de l'équipe. Par ailleurs, si les missions effectuées par la brigade de jour peuvent apparaître aux yeux de M. A... moins intéressantes et moins valorisantes que les missions effectuées par la brigade de nuit, elles correspondent aux missions relatives à son grade et n'ont par elles-mêmes aucun caractère humiliant. Enfin, il résulte de l'instruction d'une part, que M. A..., comme l'ensemble de ses collègues, a été pourvu de tous les équipements nécessaires pour remplir sa mission, en particulier des vêtements permettant de se protéger du froid et de la pluie, le manque d'une veste de pluie ne pouvant que lui être imputé puisqu'il n'est pas venu récupérer cet équipement malgré plusieurs relances en ce sens ; et, d'autre part, que le défaut d'affectation d'un véhicule à la brigade de jour, compte tenu de sa mission principale à la surveillance de centre-ville, n'a pas pour autant pour effet de priver les agents de cette brigade de la possibilité d'utiliser les véhicules de service de la police municipale, en particulier en cas de mauvaises conditions climatiques ou lors des services du samedi.

6. En deuxième lieu, la circonstance que le chef de la brigade de jour, avec lequel il entretient d'excellentes relations, serait d'un grade inférieur au sien n'est pas de nature à traduire une volonté de lui nuire, dès lors que le " positionnement " de chef d'équipe n'implique pas d'autorité hiérarchique sur les autres membres de l'équipe, et que celui-ci a été désigné à cette fonction compte tenu de sa notation, " très bon ", et de son expérience d'ancien gendarme.

7. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la notation de M. A... aurait été en baisse à compter de 2014, les différentes évaluations produites montrant au contraire une remarquable stabilité dans les évaluations.

8. En quatrième lieu, si M. A... fait valoir qu'il a été placé à de nombreuses reprises en arrêt maladie, et qu'il est atteint d'un syndrome anxio-dépressif qu'il impute à la dégradation de ses conditions de travail qui ont entraîné un épuisement professionnel, il résulte de l'instruction que les tensions qui traversent le service de la police municipale de Carpentras affectent l'ensemble des agents et ne démontrent aucun acharnement à l'encontre de sa personne en particulier.

9. Il résulte des points 4 à 8 que les éléments de fait invoqués par M. A... ne sont pas, qu'ils soient pris isolément ou ensemble, de nature à faire présumer l'existence d'agissements par la commune de Carpentras, constitutifs de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

10. Par ailleurs, il ne peut être déduit des difficultés relationnelles et des conflits survenus sur les lieux ou à l'occasion du service entre différents agents et leur hiérarchie, ainsi qu'aux difficultés spécifiques inhérentes aux agents chargés du maintien de l'ordre que les services de la commune de Carpentras auraient méconnu leurs obligations en matière de protection de la sécurité physique et mentale des agents en général et de M. A... en particulier.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commune de Carpentras n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à solliciter le versement d'une indemnité en réparation des préjudices allégués.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

12. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. A... n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions de l'intéressé à cette fin.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Carpentras, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... sur ce fondement. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme quelconque au titre des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Carpentras tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et à la commune de Carpentras.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président de chambre,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 3 mars 2020.

2

N° 18MA05320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA05320
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Thérèse RENAULT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : VALLAR

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-03-03;18ma05320 ?
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