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11/02/2020 | FRANCE | N°18MA02913

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 11 février 2020, 18MA02913


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 11 octobre 2017, rejetant de sa demande tendant au versement des arriérés de rémunération restant dus à la suite de l'arrêté du 28 décembre 2015 qui porte révision partielle de sa situation administrative, pour la période antérieure au 1er janvier 2010, et de condamner l'Etat à lui payer une indemnité correspondant aux rappels de rémunération dont elle a été privée.

Par un jugement n° 1709530 du 20 av

ril 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 11 octobre 2017, rejetant de sa demande tendant au versement des arriérés de rémunération restant dus à la suite de l'arrêté du 28 décembre 2015 qui porte révision partielle de sa situation administrative, pour la période antérieure au 1er janvier 2010, et de condamner l'Etat à lui payer une indemnité correspondant aux rappels de rémunération dont elle a été privée.

Par un jugement n° 1709530 du 20 avril 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juin 2018 et le 8 octobre 2019,

Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 avril 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2017 ;

3°) d'ordonner à l'administration de lui verser les arriérés de traitement résultant de la régularisation de sa carrière ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges lui ont opposé la prescription quadriennale à sa demande de régularisation des créances antérieures au 1er janvier 2010, dès lors qu'elle avait souscrit sa demande de régularisation le 11 février 2016, et alors qu'elle doit être considérée comme ayant légitimement pu ignorer l'existence de ses droits au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA) avant l'année 2010 ;

- le délai de prescription de sa créance n'a couru qu'à compter de l'arrêté du

28 décembre 2015, qui porte régularisation de sa situation statutaire ; il a été interrompu par la note de service du 23 septembre 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2019, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 94-628 du 25 juillet 1994 relative à l'organisation du temps de travail, aux recrutements et aux mutations dans la fonction publique ;

- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., inspectrice divisionnaire des finances publiques, a exercé ses fonctions en zone urbaine sensible (ZUS) à compter de l'année 2000. Elle a sollicité le 6 août 2014, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre des services accomplis en ZUS. Par un arrêté du 28 décembre 2015, l'administration a procédé à la révision de sa situation statutaire. Par la suite, Mme D... a demandé au directeur général des finances publiques un rappel de rémunération au titre de la révision de sa situation administrative antérieure au 1er septembre 2011. Par une décision du 11 octobre 2017, le directeur général des finances publiques a rejeté la demande de Mme D... en tant qu'elle portait sur une période antérieure au 1er janvier 2010. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Marseille, lequel a rejeté sa demande par le jugement du 20 avril 2018 dont elle relève appel, de condamner l'Etat à réparer le préjudice financier ayant résulté pour elle de l'absence de versement des rappels de traitement résultant de la reconstitution de sa carrière induite par la prise en compte de l'avantage spécifique d'ancienneté pour la période antérieure au 1er janvier 2010.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Premièrement, aux termes de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 modifiée portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Les fonctionnaires de l'Etat et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret ". Aux termes de l'article 1er du décret du 21 mars 1995 : " Les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, mentionnés au quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et à l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 susvisée, doivent correspondre : (...) 3° En ce qui concerne les autres fonctionnaires civils de l'Etat, à des secteurs déterminés par arrêté conjoint du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget. ". Aux termes de l'article 2 de ce même décret : " Lorsqu'ils justifient de trois ans au moins de services continus accomplis dans un quartier urbain désigné en application de l'article 1er ci-dessus, les fonctionnaires de l'Etat ont droit, pour l'avancement, à une bonification d'ancienneté d'un mois pour chacune de ces trois années et à une bonification d'ancienneté de deux mois par année de service continu accomplie au-delà de la troisième année./ Les années de services ouvrant droit à l'avantage mentionné à l'alinéa précédent sont prises en compte à partir du 1er janvier 1995 pour les fonctionnaires mentionnés au 3° de l'article 1er (...) ". L'arrêté susvisé du 11 décembre 1996 dispose : " Les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles prévus à l'article 1er (3°) du décret du

21 mars 1995 susvisé sont les grands ensembles et les quartiers d'habitat dégradé mentionnés au I de l'article 1466 A du code général des impôts ". Le décret n° 96-1156 du

26 décembre 1996 dispose en son article 1err : " Les grands ensembles et les quartiers d'habitat dégradés mentionnés au 3 de l'article 42 modifié de la loi du 4 février 1995 susvisée sont ceux figurant dans la liste annexée au présent décret. Les zones concernées sont délimitées par un trait de couleur rouge sur les plans annexés au présent décret ". Ainsi qu'il vient d'être dit, il n'est pas contesté par l'administration que Mme D... a exercé ses fonctions à compter de l'année 2000 en zone urbaine sensible (ZUS).

3. Deuxièmement, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée prévoit que : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis... ". L'article 2 de cette loi dispose que : " La prescription est interrompue par : (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ". En vertu de l'article 6 de cette loi : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi. Toutefois, par décision des autorités administratives compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier (...) ".

4. En premier lieu, lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé et la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées au point 2 que les fonctionnaires des finances publiques affectés pendant au moins trois ans consécutifs dans une zone urbaine sensible ont droit au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté, ce qui est le cas de Mme D.... Toutefois, le ministre de l'action et des comptes publics oppose à celle-ci la prescription quadriennale dont serait atteinte sa créance antérieure au 1er janvier 2010. Le fait générateur de la créance dont se prévaut Mme D... est constitué par le service qu'elle a effectué dans une ZUS à compter de l'année 2000. Les droits sur lesquels cette créance est fondée ont été acquis à compter du cette affectation. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'appelante, le fait générateur de la créance dont elle se prévaut n'est pas constitué par le refus du ministre de lui faire application du décret du 21 mars 1995 mais par le service accompli par elle dans une zone urbaine sensible. Il appartenait donc à Mme D..., si elle s'y croyait fondée, de solliciter le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté en se prévalant de son affectation en ZUS dès l'accomplissement de son service, à compter de l'année 2000.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté sa première demande tendant au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté le

4 octobre 2012. Les textes cités au point 2 du présent arrêt lui ouvrant droit au bénéfice de l'ASA ont été respectivement publiés au Journal Officiel le 26 juillet 1994, pour la loi du

26 juillet 1991 modifiée ; le 18 janvier 2001, pour le décret du 21 mars 1995 modifié ; le

15 décembre 1996, pour l'arrêté du 11 décembre 1996 ; et le 28 décembre 1996, pour le décret du 26 décembre 1996. Dans ces conditions, la requérante ne peut être regardée comme ignorant légitimement l'existence de ces textes législatifs et règlementaires et, par suite, celle de sa créance même si la régularisation de sa situation administrative n'est intervenue que par arrêté du 28 décembre 2015. D'une part, la circonstance que l'administration a commis une erreur en ne versant pas la prime d'avantage spécifique d'ancienneté au cours de la période litigieuse, ne fait pas obstacle à l'application de la prescription, valablement opposée en défense. D'autre part, l'intervention de l'arrêté du 28 décembre 2015 portant régularisation de la situation administrative de Mme D..., est sans effet sur le point de départ de la prescription quadriennale, et n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'application de cette prescription.

7. En quatrième lieu, le directeur général de la direction générale des finances publiques a, dans une note de service du 23 septembre 2013, défini précisément la " Mise en oeuvre à la DGFIP du dispositif " zones urbaines sensibles " (ZUS) " qui a " pour objet de décrire les conditions de mise en oeuvre de ce dispositif au bénéfice des agents de la DGFIP " et de conduire un recensement des agents " qui ont exercé dans des services qui sont ou ont été implantés dans le périmètre de ZUS ". La publication de cette note sur le site de la DGFIP, courant septembre 2013, constitue une communication écrite de l'administration relative à l'existence de la créance qui a interrompu le délai de prescription quadriennale pour les sommes dont Mme D... demande le versement et qui n'étaient pas atteintes par la prescription à la date de cette publication, soit celles correspondant à la période courant du

1er janvier 2009 au 31 décembre 2012. Mme D... a présenté une réclamation à l'administration par une lettre du 6 août 2014. Le délai de prescription n'était ainsi expiré ni en ce qui concerne les sommes dues au titre de l'année 2009, ni en ce qui concerne les sommes déjà allouées au titre de la période postérieure au 1er janvier 2010. Dans ces conditions, en application des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à la date de présentation de la réclamation de Mme D... devant l'administration, les créances relatives à l'avantage spécifique d'ancienneté antérieures au 1er janvier 2010 n'étaient pas prescrites, mais seulement celles au titre de l'année 2009. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dans l'application de la déchéance quadriennale par l'administration doit, dans cette mesure, être accueilli.

8. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre de l'économie et des finances a opposé la prescription quadriennale à sa demande pour l'année 2009, et à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille, ainsi que de la décision du 11 octobre 2017 par laquelle le directeur général des finances publiques a rejeté sa demande de reconstitution de sa carrière induite par la prise en compte de l'avantage spécifique d'ancienneté pour la période antérieure au 1er janvier 2010, en tant qu'elle ne lui accorde pas cet avantage pour l'année 2009.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Sur le fondement des articles L. 911-1 ou L. 911-2 du code de justice administrative, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances d'accorder l'avantage spécifique d'ancienneté à Mme D... au titre de l'année 2009, de procéder, dans cette mesure, à la reconstitution de sa carrière et de lui verser les arriérés de traitement résultant de la régularisation de sa carrière.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Mme D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1709530 du 20 avril 2018 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La décision du 11 octobre 2017 par laquelle le directeur général des finances publiques a rejeté la demande de Mme D... de reconstitution de sa carrière induite par la prise en compte de l'avantage spécifique d'ancienneté pour la période antérieure au

1er janvier 2010, est annulée en tant qu'elle ne lui accorde pas cet avantage pour l'année 2009.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'économie et des finances d'accorder l'avantage spécifique d'ancienneté à Mme D... au titre de l'année 2009, de procéder à la reconstitution de sa carrière et de lui verser les arriérés de traitement résultant de la régularisation de sa carrière.

Article 4 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 février 2020.

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N° 18MA02913 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02913
Date de la décision : 11/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-08-03 Fonctionnaires et agents publics. Rémunération. Indemnités et avantages divers.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : CALLON AVOCAT ET CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-02-11;18ma02913 ?
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