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30/01/2020 | FRANCE | N°19MA02683

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 30 janvier 2020, 19MA02683


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'investissements maritimes et fonciers a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2006.

Par l'article 1er du jugement n° 1302520 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de Nice a fait droit à ses conclusions à fin de décharge, et, par l'article 2 de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'arti

cle L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête, enregistrée sous l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'investissements maritimes et fonciers a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2006.

Par l'article 1er du jugement n° 1302520 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de Nice a fait droit à ses conclusions à fin de décharge, et, par l'article 2 de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête, enregistrée sous le n° 16MA02931 le 21 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics a demandé à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement n° 1302520 du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2016 ;

2°) de remettre à la charge de la société d'investissements maritimes et fonciers l'imposition en litige pour un montant total de 324 833 euros.

Il soutenait que :

- l'administration démontrait l'existence d'un acte anormal de gestion commis par la société d'investissements maritimes et fonciers lors de la cession le 12 janvier 2006 d'une villa sise sur la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat ;

- les termes de comparaison retenus pour évaluer ce bien immobilier étaient pertinents tant en ce qui concerne les caractéristiques, la localisation, la catégorie cadastrale, l'ancienneté de la construction que la surface habitable et le nombre de niveaux ;

- l'examen des photographies produites révélait le bon état d'entretien de la villa ;

- la société n'avait pas été en mesure de justifier l'intérêt que revêtait pour elle l'abandon de créances qu'elle avait consenti et l'existence de la moindre contrepartie ;

- en cédant un bien immobilier à un prix largement inférieur à sa valeur vénale, la société avait accompli un acte étranger aux intérêts de l'exploitation ;

- en sa qualité de marchand de biens et d'agence immobilière, la société avait une parfaite connaissance du marché.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2016, la société d'investissements maritimes et fonciers, représentée par Me A..., a conclu au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle faisait valoir que les moyens soulevés par le ministre n'étaient pas fondés.

Par un arrêt n° 16MA02931 du 19 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement et remis à la charge de la société l'imposition supplémentaire dont elle avait été déchargée par ce jugement.

Par une décision n° 418537 du 4 juin 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 décembre 2017 et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Les parties ont été informées, le 17 juin 2019, de la reprise de l'instance après cassation et de la possibilité qui leur était offerte de produire, dans le délai d'un mois, de nouveaux mémoires ou observations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2019, la société d'investissements maritimes et fonciers, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête, à ce que la Cour prononce la décharge des impositions en litige et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- il appartient à l'administration non seulement d'apporter la preuve d'une cession à un prix significativement inférieur à la valeur vénale du bien mais aussi de la conscience du marchand de biens d'agir contre son intérêt social, ce qui n'est pas en l'espèce établi ;

- la prétendue différence entre le prix de vente du bien immobilier concerné et la valeur vénale déterminée par l'administration par comparaison avec des cessions de biens supposés similaires est remise en cause par le rapport d'expertise du cabinet Capan-Bordes.

Par une ordonnance en date du 8 octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 novembre 2019.

Par lettres en date du 12 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics et la société d'investissements maritimes et fonciers ont été invités par la Cour, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, à produire une pièce pour compléter l'instruction. Par une lettre enregistrée le 13 novembre 2019, la société précitée a indiqué à la Cour que la pièce demandée n'existait pas.

Un mémoire présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, et enregistré le 27 décembre 2019, après la clôture d'instruction fixée par l'ordonnance précitée, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme B... C..., présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Ouillon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'investissements maritimes et fonciers (SIMF), qui exerce une activité de marchand de biens et d'agence immobilière, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, portant sur les exercices clos en 2006, 2007 et 2008, à l'issue de laquelle l'administration fiscale, estimant que la vente par cette société, le 12 janvier 2006, d'une villa située à St-Jean-Cap-Ferrat pour un prix regardé par elle comme inférieur à sa valeur vénale constituait un acte anormal de gestion, a rehaussé ses bénéfices de l'exercice clos en 2006 de la différence entre cette dernière valeur et le prix de vente. Par un arrêt du 19 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement par lequel le tribunal administratif de Nice avait prononcé la décharge des impositions litigieuses et a remis à sa charge les impositions en litige. Par une décision du 21 juin 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, sur pourvoi en cassation formé par la SIMF, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

3. Le 12 janvier 2006, la SIMF a vendu une maison avec piscine, sise à Saint-Jean-Cap-Ferrat, pour un montant de 3 000 000 euros. Rapporté à une surface utile de 278 m², le prix de vente du bien en cause s'élevait ainsi à 10 791 euros au m². Constatant que quatre biens similaires, tous situés dans la même commune, avaient été vendus entre février 2004 et septembre 2005 pour un prix moyen de 16 235 euros au m², ramené à 14 611,50 euros après abattement de 10 %, l'administration a estimé que la valeur vénale réelle du bien concerné s'élevait à 4 061 997 euros et a regardé la différence entre ce dernier montant et le prix stipulé au contrat de vente comme procédant d'un acte anormal de gestion de l'entreprise.

4. En premier lieu, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que la valeur vénale du bien a été établie selon une méthode fiable reposant sur la comparaison de ventes de quatre biens situés à Saint-Jean-Cap-Ferrat dans des secteurs résidentiels comparables. Il résulte à cet égard de l'instruction que la catégorie cadastrale de trois des biens choisis est de 3 (très bon standing) et celle du 4ème bien de 4 (bon standing). Le bien à évaluer a été construit en 1950 tandis que les autres l'ont été respectivement entre 1961 et 1968 pour deux des biens, en 1949 et 1910 pour les autres. Les biens concernés sont composés de maisons individuelles avec piscine pour des surfaces habitables allant de 179 à 480 m². Si seulement deux des biens de comparaison étaient implantés, comme le bien cédé, sur un terrain en forte déclivité, ce dernier, alors même qu'il ne disposait pas d'un jardin sur une surface plane, est situé en front de mer et bénéficie ainsi d'un emplacement exceptionnel et panoramique alors que les biens choisis comme termes de référence sont éloignés de la mer de plusieurs kilomètres. En outre, les dates des transactions sont suffisamment rapprochées de la vente en litige pour être significatives. Pour contester les termes de cette comparaison, la SIMF produit un rapport d'expertise immobilière établi à son initiative le 13 décembre 2011, selon lequel la bâtisse concernée présentait un état d'obsolescence et de vétusté de nature à minorer sa valeur. Cependant, le caractère probant des appréciations qui y sont mentionnées n'est pas établi dès lors que l'expert indique qu'il n'a pas été en mesure de visiter les lieux à raison de sa cession préalablement à la mission, que le descriptif du bien est sommaire et qu'il " trouve ses sources dans les dires du demandeur ". En outre, si ce rapport précise que les biens utilisés par l'administration sont " d'une qualité globale supérieure au bien à évaluer ", il n'en justifie pas et ne donne aucune information sur d'autres termes de comparaison approchants. En outre, l'expert ne justifie pas de l'abattement de 15 % pratiqué pour tenir compte, selon lui, de la faible qualité architecturale et l'état d'obsolescence et de vétusté de l'immeuble, lesquels ne résultent pas de l'instruction, notamment des photographies produites. Il en est de même de l'abattement de 15 % appliqué à raison de la forte déclivité du terrain, d'un classement partiel du terrain en zone N du plan local d'urbanisme et de l'absence de maison de gardien, alors même que, pour tenir compte du fait que les éléments de comparaison incluaient un autre corps de bâtiment, un abattement de 10 % a été pratiqué par l'administration sur la moyenne de 16 235 euros le m2 qui avait été obtenue par le service, aboutissant ainsi à une valeur vénale de 14 611,50 euros le m2. Par suite, le bien ayant été vendu pour une valeur moyenne de 10 791 euros le m2, l'administration établit que la SIMF a cédé le bien à un prix significativement minoré de 26 % par rapport à la valeur vénale correctement évaluée par l'administration.

5. En second lieu, l'administration fiscale fait valoir qu'en cédant un bien immobilier à un prix largement inférieur à sa valeur vénale, la société avait accompli un acte étranger aux intérêts de l'exploitation alors surtout qu'en sa qualité de marchand de biens et d'agence immobilière, elle avait une parfaite connaissance du marché immobilier local. Elle indique également que l'acquéreur de la villa, la société luxembourgeoise Oxbow investissements SA, a revendu, dès le 3 octobre 2007, le bien en cause à un prix de 11 850 000 euros, après avoir réalisé des travaux pour un montant de 3 700 000 euros, ce qui représente un profit de 5 150 000 euros réalisé en l'espace de vingt-et-un mois. Cependant, il est constant que la SIMF a acheté le bien, constitutif d'un élément de stock, à un prix de 2,5 millions d'euros le 10 août 2005 et qu'en le revendant quelques mois après, sans réalisation de travaux, elle a bénéficié d'une marge commerciale de 500 000 euros, soit de 20 %. En l'absence de tout élément de nature à établir l'intention conjointe du vendeur d'accorder un avantage sans contrepartie et de l'acquéreur de recevoir cet avantage consenti à titre gratuit, l'administration fiscale ne démontre pas un appauvrissement intentionnel décidé à des fins étrangères à l'intérêt social de la SIMF, témoignant de l'existence d'un acte anormal de gestion.

6. Il résulte de ce qui précède que l'administration ne pouvait ainsi considérer que la cession du bien provenant de l'actif circulant de la SIMF constituait un acte anormal de gestion et ne pouvait donc rehausser de ce fait les bénéfices de la société. Le ministre de l'action et des comptes publics n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SIMF au titre de l'année 2006 pour un montant de 324 833 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SIMF et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publiques est rejetée.

Article 2 : L'État versera à la SIMF la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'investissements maritimes et fonciers et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2020, où siégeaient :

- Mme C..., présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Courbon, premier conseiller,

- Mme Tahiri, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.

N°19MA02683 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02683
Date de la décision : 30/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Lieu d'imposition.


Composition du Tribunal
Président : Mme BERNABEU
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: M. OUILLON
Avocat(s) : CIAUDO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-01-30;19ma02683 ?
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