Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2009.
Par un jugement n° 1504170 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2018, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 28 novembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision de rejet de sa réclamation préalable ;
3°) de prononcer la décharge demandée ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Nîmes est entaché d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et de dénaturation ;
- l'opération en cause ne poursuivait aucun objectif fiscal, mais visait uniquement à réaliser la scission d'une société exploitant une pharmacie afin de permettre à chacun des deux associés de retrouver son autonomie ;
- l'avis du comité d'abus de droit est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, puisqu'une scission, soumise au même régime fiscal de l'article 150-0 B du code général des impôts, était possible ; par conséquent, cet avis ne peut avoir pour effet de faire supporter au contribuable la charge de la preuve ;
- l'opération en cause n'est pas une opération d'apport-cession, mais une opération d'apport-réduction de capital ; elle ne lui a pas permis de s'approprier des liquidités dès lors que ces liquidités lui appartenaient déjà avant l'apport et avant la réduction de capital, par l'intermédiaire de la SELARL Pharmacie Centrale, qui avait déjà cédé son officine ;
- le tribunal aurait dû procéder à une analyse comparative entre l'opération menée et une scission, afin d'en comparer les effets sur le plan fiscal, qui sont identiques, ce qui exclut l'existence d'un abus de droit ; si une scission avait été opérée, il aurait reçu les titres de deux sociétés nouvelles en échange de ceux annulés détenus dans la SELARL Pharmacie Centrale et aurait été placé de plein droit sous le régime de l'article 150-0 B du code général des impôts ;
- une scission n'a pas été réalisée en raison des contraintes de temps afférentes au régime juridique des scissions et de la législation spéciale applicable aux offices de pharmacie, qui impliquait que l'opération reçoive l'aval du conseil de l'Ordre des pharmaciens et qui s'oppose à ce qu'une même société exploite plusieurs officines de pharmacie ou se livre à toute autre activité qu'une telle exploitation ;
- la jurisprudence du Conseil d'Etat rendue en matière d'apport-cession n'est pas applicable en l'espèce, s'agissant d'un cas de figure différent d'apport-scission.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Ouillon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a fait l'objet d'un contrôle à l'issue duquel l'administration fiscale a remis en cause le régime du sursis d'imposition dont il avait bénéficié s'agissant de la plus-value réalisée à l'occasion de l'opération d'apport de titres de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Centrale à la société à responsabilité limitée (SARL) C... Patrimoine suivie du rachat par la SELARL Pharmacie Centrale de ces titres en vue de leur annulation et procédé, en conséquence, à un rehaussement de ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l'année 2009. M. C... relève appel du jugement du 28 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a refusé de prononcer la décharge des compléments d'imposition auxquels il a ainsi été assujetti.
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
3. En l'espèce, le comité de l'abus de droit fiscal, saisi à la demande de M. C..., a confirmé, dans un avis du 9 avril 2015, le bien-fondé de la mise en oeuvre à son égard de la procédure de répression des abus de droit. Il appartient donc à M. C..., en vertu des dispositions précitées, d'apporter la preuve inverse. La circonstance, à la supposer établie, que le comité ait commis une erreur dans l'appréciation des caractéristiques de l'opération à laquelle s'est livré M. C... est, en tout état de cause, sans incidence sur la dévolution de la charge de la preuve.
4. Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa version applicable au présent litige : " I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 25 000 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2008 et 25 730 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2009. (...) ". Aux termes de l'article 150-0 B du même code : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. / (...) ".
5. M. C..., pharmacien, était associé, à hauteur de 51 % du capital, soit 3 060 parts, et gérant, de la SELARL Pharmacie Centrale, qui exploitait une officine de pharmacie à Rombas en Lorraine. M. C... et son associé ont décidé de céder leur fonds de pharmacie à la société en nom collectif (SNC) Pharmacie du Marché et ont conclu à cette fin un compromis de vente, sous conditions suspensives, le 30 avril 2009, au prix de 2 675 000 euros. Le 10 juin 2009, M. C... a créé deux sociétés : l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Soins et Beauté, au capital de 1 000 euros, qui avait pour objet d'exploiter une parapharmacie dans le Gard et la SARL C... Patrimoine, au capital de 1 000 euros également, qui avait pour objet l'acquisition, l'administration et la gestion d'immeubles. Par actes du 12 juillet 2009, modifiés par avenants du 10 août 2009, M. C... a apporté à ces deux sociétés créées la totalité des parts qu'il détenait dans la SELARL Pharmacie Centrale, sous la condition suspensive de la cession par celle-ci de son fonds de pharmacie, soit 1 276 parts à l'EURL Soins et Beauté, d'une valeur de 800 052 euros et 1 784 parts à la SARL C... Patrimoine, d'une valeur de 1 118 568 euros. Lors de l'assemblée générale du 11 août 2009, la SELARL Pharmacie Centrale a acté le principe du rachat, en vue de leur annulation, des actions détenues par M. C... et faisant l'objet de contrats d'apports aux sociétés précitées, sous conditions suspensives de l'approbation desdits apports et de la cession effective de l'officine exploitée à Rombas. Le 8 septembre 2009, la cession de l'officine de Rombas à la SNC Pharmacie du Marché est devenue définitive, entraînant la levée des conditions suspensives des autres actes conclus dans la période, et notamment des contrats d'apports, lesquels ont été approuvés le 10 septembre 2009 par l'EURL Soins et Beauté et la SARL C... Patrimoine. Le 21 septembre 2009, l'assemblée générale de la SELARL Pharmacie Centrale a entériné le rachat de ses propres titres, au prix de 800 052 euros à l'EURL Soins et Beauté et de 1 118 568 euros à la SARL C... Patrimoine, puis procédé à leur annulation. Les plus-values réalisées par M. C... à l'occasion de ces opérations d'apport suivies de rachat de titres ont bénéficié du régime du sursis d'imposition prévu par les dispositions précitées de l'article 150-0 B du code général des impôts. L'administration fiscale a remis en cause le sursis concernant la seule plus-value, d'un montant de 1 116 257 euros, consécutive à l'apport de titres et la cession réalisée par la SARL C... Patrimoine.
6. Le bénéfice du sursis d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle et qui a été suivi de leur cession par cette société est constitutif d'un abus de droit s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport. Il n'a, en revanche, pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique.
7. Contrairement à ce que soutient M. C..., l'opération réalisée constitue un apport de titres suivie d'une cession, quand bien même la cession des titres apportés à la SARL C... Patrimoine n'est pas intervenue au profit d'un tiers, mais a résulté du rachat par la SELARL Pharmacie Centrale de ses propres titres, en vue de leur annulation. Si le requérant soutient par ailleurs que l'opération en cause avait pour objectif principal de permettre de scinder la SELARL Pharmacie Centrale afin de permettre aux deux associés de retrouver leur autonomie, il n'en demeure pas moins qu'elle lui a également permis de bénéficier du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du livre des procédures fiscales, qui est un régime fiscal plus favorable que l'imposition immédiate de la plus-value réalisée. Enfin, la circonstance que M. C... aurait également bénéficié du sursis d'imposition s'il avait procédé à une scission de la SELARL Pharmacie Centrale est également sans incidence sur la qualification d'abus de droit, dès lors qu'en tout de cause, ce n'est pas une scission qui a été réalisée, quel que soit le bien-fondé des motifs pour lesquels l'intéressé a renoncé à ce procédé, qu'il s'agisse de son délai de réalisation ou des contraintes résultant de la réglementation des officines de pharmacie, notamment l'impossibilité pour une SELARL de pharmacie d'assurer la gestion de deux officines ou d'exercer d'autres activités, notamment patrimoniales.
8. Il résulte de l'instruction que la SARL C... Patrimoine, créée le 10 juin 2009, juste avant la réalisation de l'apport, le 12 juillet suivant, est contrôlée par M. C..., qui détient 99 % du capital social. Ce dernier est donc resté détenteur des titres de la société reçus en échange de cet apport et a pu disposer, à l'issue du rachat par la SELARL Pharmacie Centrale des titres apportés à la SARL C... Patrimoine, intervenu le 8 septembre 2009, par l'intermédiaire de cette société, des liquidités obtenues dans le cadre de ce rachat. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la SARL C... Patrimoine a utilisé ces liquidités pour acheter une maison d'habitation située à Saint-Alexandre au prix de 800 000 euros, occupée par M. C..., deux appartements et quatre parkings à Betschdorf, au prix de 313 000 euros, donnés en location, et un véhicule de tourisme Peugeot 308 CC, au prix de 31 168,49 euros, donné en location à la compagne de M. C.... Le requérant n'établit pas, ni même n'allègue, que ces investissements s'inscriraient dans le cadre du déploiement d'une activité économique propre de la SARL C... Patrimoine, dont l'unique objet est la gestion de son patrimoine immobilier et mobilier. Dans ces conditions, et en l'absence d'investissement du produit de la cession dans une activité économique, M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a considéré que l'opération d'apport suivie de cession ainsi réalisée était constitutive d'un abus de droit au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2009. Par voie de conséquence, et en tout état de cause, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées, ainsi que celles tendant à l'allocation de frais liés à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., présidente,
- Mme F..., présidente assesseure,
- Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 novembre 2019.
N° 18MA00444 4