Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Grard Père et Fils a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes et de l'amende prévue par le 4 de l'article 1788 A du code général des impôts à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2014.
Par un jugement n° 1703118 du 11 juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juillet 2018 et le 8 mars 2019, la société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'EARL Grard Père et Fils, représentée par la SCP A... et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2018 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige, des pénalités correspondantes et de l'amende fiscale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les sommes qu'elle a versées à la société Neath Investments Limited n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, dès lors que cette société n'a pas la qualité d'obtenteur des espèces végétales en cause, et que les produits perçus ne sont pas tirés de droits de propriété industrielle ou commerciale ;
- les modalités de calcul retenues par le service, qui a majoré l'assiette de l'impôt, sont erronées et correspondent en réalité à une pénalité non prévue par la loi ;
- le service n'était pas fondé à faire application de l'amende du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts, faute d'apporter la preuve d'une intention délibérée ;
- aucun manquement déclaratif ne saurait lui être imputé de sorte que l'administration ne pouvait appliquer ni pénalité ni intérêt de retard.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 décembre 2018 et le 12 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Antonetti, président de la 4ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public ;
- et les observations de Me A..., représentant la société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'EARL Grard Père et Fils.
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Grard Père et Fils, qui exerce une activité de pépiniériste sur le territoire de la commune de Mauguio (Hérault), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er août 2011 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle l'administration a estimé qu'elle était redevable de la retenue à .... La société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'EARL Grard Père et Fils relève appel du jugement du 11 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge de la retenue à .la source visée au b) du I de l'article 182 B du code général des impôts à raison des redevances versées à la société Neath Investments Limited
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années en litige : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à ... à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) b. Les produits (...) perçus par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales au sens des articles L. 623-1 à L. 623-35 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés ; (...) II. - Le taux de la retenue est fixé à 33 1/3 %. (...) La retenue s'impute sur le montant de l'impôt sur le revenu établi dans les conditions prévues à l'article 197 A (...) ". L'article 1671 A du même code dispose que : " Les retenues prévues aux articles 182 A, 182 A bis et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et celle prévue à l'article 182 A ter est opérée par la personne mentionnée au IV dudit article. Les retenues sont remises au service des impôts accompagnées d'une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement. (...) ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'EARL Grard Père et Fils a conclu le 29 octobre 2006 avec la société Setsquare Servicios e Marketing LDA, de droit portugais, un contrat de licence exclusive en vertu duquel cette dernière, " le concédant ", lui a confié " le droit exclusif mondial de fabriquer, distribuer et vendre les produits relatifs à la licence de distribution et d'exploitation de trois certificats d'obtention végétale " désignés " Gradiyel ", " Gradirose " et " Gradivina ", trois variétés de pommiers. Ce contrat est consenti par le " concédant " moyennant le versement d'une redevance calculée en fonction du nombre de plants vendus annuellement par l'EARL Grard Père et Fils, le " licencié ". Par un contrat signé le 11 juillet 2011, la société de droit portugais a cédé à la société Neath Investments Limited, qui a son siège à Gibraltar et ne dispose pas d'installation professionnelle permanente en France, la propriété pleine et entière des droits qu'elle détient sur les certificats d'obtention végétale visés dans le contrat du 29 octobre 2006. En outre, par un avenant au contrat du 29 octobre 2006, signé le 11 juillet 2011, il a été convenu entre la société Grard Père et Fils et la société Neath Investments Limited que cette dernière, en qualité de nouvel acquéreur des certificats d'obtention végétale, se substituait à la société Setsquare Servicios e Marketing LDA. En conséquence, l'EARL Grard Père et Fils a versé en 2012, 2013 et 2014 à la société Neath Investments Limited des sommes correspondant aux droits de licence détenus par cette société.
4. D'une part, il résulte des dispositions des articles L. 623-2 et L. 623-4 du code de la propriété intellectuelle que les obtentions végétales, définies comme les variétés nouvelles, homogènes et stables, sont couvertes par un droit de propriété intellectuelle spécifique, le certificat d'obtention végétale, qui confère à son titulaire ou " obtenteur " un droit exclusif de produire, reproduire et commercialiser la variété protégée. Les certificats d'obtention végétale et droits de licence correspondants sont régis au niveau de l'Union européenne par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 qui institue, dans son article 1er, " (...) un régime de protection communautaire des obtentions végétales en tant que forme unique et exclusive de protection communautaire de la propriété industrielle pour les variétés végétales. ". Ainsi, les obtentions végétales doivent être regardées comme relevant de la propriété industrielle.
5. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 3, par le contrat de cession signé le 11 juillet 2011, la société Setsquare Servicios e Marketing LDA a cédé à la société Neath Investments Limited la propriété pleine et entière des droits sur les trois certificats d'obtention végétale désignés " Gradiyel ", " Gradirose " et " Gradivina ". En conséquence de cette cession, la société Neath Investments Limited se trouve subrogée dans tous les droits du cédant, la société Setsquare Servicios e Marketing LDA, sur les certificats d'obtention végétale et en a la propriété et la jouissance entière. Les parties ont également convenu que l'acte de cession emporte continuité des licences d'exploitation des certificats d'obtention végétale et que " le cessionnaire est réputé être le nouveau concédant des licences d'exploitation accordées ". Par suite, les redevances versées par l'EARL Grard Père et Fils à la société Neath Investments Limited à raison des droits de propriété industrielle qu'elle détient à compter du 11 juillet 2011 étaient passibles de la retenue à ....
6. En second lieu, en application des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, l'assiette de la retenue à .... Il en résulte que, pour calculer les impositions litigieuses, le service était fondé à prendre en compte les sommes que l'EARL Grard Père et Fils a versées à la société Neath Investments Limited au cours des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, augmentées d'un montant égal à l'avantage résultant pour la société Neath Investments Limited de ce que ces sommes reçues n'ont pas supporté la retenue à .... Par suite, la société appelante n'est fondée à soutenir ni que l'administration fiscale a mis en oeuvre des modalités de calcul erronées et aurait appliqué un taux de retenue à .la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts
Sur l'amende prévue à l'article 1788 A du code général des impôts, les intérêts de retard et la majoration de 10 % pour défaut de déclaration :
7. En premier lieu, aux termes du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts : " Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration (...) qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible (...) ". Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ".
8. L'objectif de l'amende prévue au 4 de l'article 1788 A du code général des impôts est essentiellement, dans un cas où la taxe non déclarée est elle-même immédiatement déductible, d'inciter les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée à s'acquitter avec exactitude de leurs obligations déclaratives, afin de permettre le bon fonctionnement des procédures d'échanges d'informations entre administrations fiscales des Etats membres de l'Union européenne, prévues par le système communautaire de taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, cette amende présente le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise. Par suite, le litige relatif à son application procède d'une accusation en matière pénale au sens des stipulations précitées. Cependant, d'une part, le législateur, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, a prévu aux articles 1728, 1729 et 1788 A du code général des impôts plusieurs sanctions selon que le redevable a éludé des droits en omettant de souscrire une déclaration, a éludé des droits en omettant de mentionner des opérations sur une déclaration ou a omis de déclarer des opérations sans toutefois éluder de droits en raison du caractère immédiatement déductible de la taxe afférente aux opérations omises. Le taux de la pénalité fiscale prévue à l'article 1788 A est de 5 % alors que les taux prévus aux articles 1728 et 1729 sont, selon les cas, de 10 %, 40 % ou 80 %. La loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. D'autre part, le juge de l'impôt exerce un plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration pour appliquer l'amende et décide, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d'en prononcer la décharge. Par suite, l'application des dispositions du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts est compatible avec les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même qu'elle n'est subordonnée à la caractérisation d'aucun élément intentionnel.
9. Il résulte de l'instruction que l'EARL Grard Père et Fils n'a pas satisfait à ses obligations déclaratives relatives aux acquisitions intracommunautaires réalisées au cours de la période contrôlée, de sorte que l'administration était fondée à lui infliger l'amende prévue par les dispositions précitées, correspondant à 5 % du montant de la taxe afférente à ces acquisitions. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que l'administration n'a pas établi le caractère intentionnel de ce manquement aux obligations déclaratives doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code ".
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 6 que les impositions litigieuses sont fondées. Par suite, l'administration a pu les assortir à bon droit des intérêts de retard prévus par les dispositions de l'article 1727 du code général des impôts, qui n'a pas le caractère d'une sanction et s'applique indépendamment de toute appréciation portée sur le comportement du contribuable.
12. En troisième lieu, l'article 1728 du code général des impôts dispose que : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) ".
13. Il résulte de l'instruction que l'EARL Grard Père et Fils n'a pas satisfait à ses obligations de déclaration dans les délais. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de ces conclusions, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale ne pouvait faire application du taux de 10 % prévu par les dispositions du a du 1 de l'article 1728 du code général des impôts.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'EARL Grard Père et Fils n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Les conclusions qu'elle a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'EARL Grard Père et Fils est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gradilis Pépinières venant aux droits de l'entreprise agricole à responsabilité limitée Grard Père et Fils et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Maury, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2019.
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N° 18MA03429
mtr