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11/12/2018 | FRANCE | N°18MA02406

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre - formation à 3, 11 décembre 2018, 18MA02406


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B...ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler, d'une part, la décision du 11 septembre 2012 du directeur départemental des finances publiques des Alpes-Maritimes rejetant leur demande de compensation entre leurs dettes fiscales et des créances qu'ils détenaient sur l'Etat et, d'autre part, deux avis à tiers détenteur émis le 28 juin 2012 auprès de la Caisse d'Epargne de Côte d'Azur et de la société Marseillaise de Crédit.

Ils ont également demandé, par mémoire dis

tinct, que le tribunal administratif de Nice transmette au Conseil d'Etat une questi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B...ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler, d'une part, la décision du 11 septembre 2012 du directeur départemental des finances publiques des Alpes-Maritimes rejetant leur demande de compensation entre leurs dettes fiscales et des créances qu'ils détenaient sur l'Etat et, d'autre part, deux avis à tiers détenteur émis le 28 juin 2012 auprès de la Caisse d'Epargne de Côte d'Azur et de la société Marseillaise de Crédit.

Ils ont également demandé, par mémoire distinct, que le tribunal administratif de Nice transmette au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l'article 1289 du code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Par un jugement n° 1203886 du 13 novembre 2014, le tribunal administratif de Nice, après avoir jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15MA00162 du 17 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir estimé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant elle par M. et Mme B... (article 1er), a rejeté leur appel formé contre ce jugement (article 2).

Par une décision n° 406984 du 16 mai 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi de M. et Mme B..., annulé l'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille et a renvoyé l'affaire devant la même Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 janvier 2015 et le 28 octobre 2016, M. et Mme B..., représentés par Me A..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 novembre 2014 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de prononcer les annulations demandées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens, comprenant la somme de 35 euros acquittée à l'occasion de l'introduction de leur requête de première instance.

Ils soutiennent que :

- le tribunal ne pouvait régulièrement statuer par un même jugement sur leur requête initiale et sur la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils avaient soulevée ;

- la compensation demandée ne porte pas atteinte au principe de l'insaisissabilité des deniers de l'Etat ;

- ils sont confrontés à l'arbitraire de l'Etat.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 mai 2015 et le 24 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 octobre 2016, M. et Mme B... demandent à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que " appliquer discriminatoirement l'article 1289 du code civil à certaines créances sur l'Etat est contraire aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ".

Par ordonnance du 23 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 9 octobre 2018.

Un mémoire présenté pour M. et Mme B... par Me B... a été enregistré le 19 novembre 2018.

Un mémoire distinct présenté pour M. et Mme B... par Me B... a été enregistré le 19 novembre 2018.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Antonetti, président de la 4ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barthez,

- et les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux avis à tiers détenteur décernés, le 28 juin 2012, à la Caisse d'Epargne de Côte d'Azur et à la société Marseillaise de Crédit et notifiés, le même jour, à Mme B..., l'administration fiscale a poursuivi le recouvrement de la somme de 26 432 euros dont M. et Mme B... étaient redevables à l'égard du Trésor public au titre des impôts sur le revenu des années 2009 et 2010, de contributions sociales de l'année 2010 et de taxes d'habitation des années 2010 et 2011. Les époux B...ont contesté ces actes de poursuite auprès du directeur départemental des finances publiques des Alpes-Maritimes en faisant valoir qu'ils étaient créanciers de l'Etat et de la commune de Nice à divers titres et en sollicitant, en conséquence, le bénéfice de la compensation légale prévue par l'article 1290 du code civil alors en vigueur. Leur réclamation a été rejetée, par une décision du 11 septembre 2012, au motif que la condition de réciprocité des créances prévue à l'article 1289 du code civil n'était pas remplie.

2. M. et Mme B... ont alors saisi le tribunal administratif de Nice qui, par le jugement du 13 novembre 2014 attaqué, a rejeté leur demande après avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en cours d'instance et portant sur les dispositions de l'article 1289 du code civil. Par l'arrêt n° 15MA00162 du 17 novembre 2016, la Cour a confirmé ce jugement après avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, à nouveau, devant elle. Par décision du 16 mai 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité présentée devant la Cour par M. et Mme B... après l'expiration du délai d'appel et par laquelle ils contestaient les dispositions de l'article 1289 du code civil par les mêmes moyens que ceux soulevés devant le tribunal administratif était irrecevable. Il a également jugé que l'arrêt de la Cour du 17 novembre 2016 omettait de répondre au moyen selon lequel, dès lors que l'Etat ne peut être contraint à payer ses dettes par aucune mesure d'exécution, le refus de faire bénéficier ses créanciers de la compensation légale aboutit à une expropriation contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que cet arrêt était ainsi insuffisamment motivé. Il a annulé son article 2 et renvoyé l'affaire à la Cour.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 1289 du code civil, alors applicable : " Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés ". Cependant, le principe de non compensation des créances publiques fait obstacle, à moins qu'il n'en soit disposé autrement par la loi, à ce que puisse être invoquée à l'encontre des personnes publiques une compensation entre les créances détenues par elles et les créances détenues sur elles par un tiers. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à demander la compensation entre leurs dettes fiscales et les différentes sommes dont plusieurs services de l'Etat, la Caisse des dépôts et consignations et la commune de Nice sont redevables à leur égard.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'Etat, la Caisse des dépôts et consignations et la commune de Nice ont été condamnés, par différentes décisions de justice en date des années 2010 à 2012, à verser des sommes aux requérants correspondant notamment à des frais d'instance. Il ne résulte ni de cette circonstance, ni d'aucune autre invoquée par M. et Mme B... que le refus de procéder à la compensation, que ceux-ci n'étaient d'ailleurs pas fondés à demander et qui ne les prive d'aucun droit, soit entaché d'arbitraire.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

6. Les dispositions de l'article L. 911-9 du code de justice administrative, qui reprennent celles de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relatives aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, sont relatives à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée prononçant la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant. Elles limitent notamment, s'agissant d'une décision condamnant l'Etat, à deux mois à compter de sa notification le délai pour que soit ordonnancée la somme, ce délai étant porté à quatre mois si un ordonnancement complémentaire est nécessaire en raison de crédits limitatifs qui se seraient révélés insuffisants. En outre, aux termes de ce même article : " (...) A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement (...) ". Ces dispositions permettent ainsi à M. et Mme B... d'obtenir l'exécution des décisions de justice ayant condamné la commune de Nice, la Caisse des dépôts et consignations et l'Etat à leur payer diverses sommes. Par suite, même si l'Etat ne peut être contraint à payer ses dettes par aucune mesure d'exécution, le refus de faire bénéficier ses créanciers de la compensation légale ne peut être regardé comme aboutissant à une expropriation contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En dernier lieu, les requérants étaient, en tout état de cause, en mesure de formuler, avant la clôture de l'instruction, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, à nouveau, à l'appui de leur mémoire distinct enregistré le 19 novembre 2018 et tenant à ce que l'application de la compensation légale prévue par les dispositions alors applicables de l'article 1289 du code civil aux seules créances et dettes de nature fiscale est contraire aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe de sécurité juridique. Il n'y a, dès lors, pas lieu de rouvrir l'instruction afin de soumettre cette question au débat contradictoire.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 11 septembre 2012 du directeur départemental des finances publiques des Alpes-Maritimes rejetant leur demande de compensation entre leurs dettes fiscales et des créances qu'ils détenaient sur l'Etat et, d'autre part, de deux avis à tiers détenteur émis le 28 juin 2012 auprès de la Caisse d'Epargne de Côte d'Azur et de la société Marseillaise de Crédit.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit à verser à M. et Mme B... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... B...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques Provence-Alpes-Côte d'Azur et département des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, où siégeaient :

- M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Carotenuto, premier conseiller,

- Mme Mastrantuono, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.

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N° 18MA02406

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA02406
Date de la décision : 11/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Compensation.

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par les protocoles - Droit au respect de ses biens (art - 1er du premier protocole additionnel).


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: M. Alain BARTHEZ
Rapporteur public ?: Mme BOYER
Avocat(s) : LAMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-12-11;18ma02406 ?
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