Vu, ainsi que les pièces et mémoires qui y sont visés, l'arrêt n° 11MA02514 du 2 mai 2013 par lequel la Cour a estimé que l'état de l'instruction ne lui permettait pas d'apprécier les préjudices subis par Mme E... épouse C...entre le 22 mai 2007 et le 10 septembre 2009 résultant du comportement fautif de l'administration, la requérante ayant en effet " perdu toute chance de pouvoir reprendre ses terres données à bail à Mme G...entre le 22 mai 2007, date à laquelle l'administration lui a délivré une information erronée en ce qui concerne l'autorisation tacite d'exploiter dont elle était titulaire depuis le 15 avril 2006, et le 10 septembre 2009, date à laquelle est intervenu l'arrêt susmentionné de la Cour de céans lui indiquant l'existence de cette autorisation " ; qu'il a été demandé à l'expert tout d'abord de visiter les lieux et en dresser un état descriptif précis, comportant notamment la localisation, la nature et la superficie des terres en cause, ensuite de préciser les conditions dans lesquelles Mme E... épouse C...aurait pu exploiter les terres données à bail à Mme G...si elle avait pu les reprendre à compter du mois de mai 2007, et notamment si elle pouvait y cultiver du fourrage et y planter des oliviers et enfin de donner à la Cour tous les éléments nécessaires à la détermination des préjudices subis par l'intéressée en évaluant notamment les gains qu'elle aurait pu réaliser si elle avait exploité les terres données à bail à Mme G...sur la période mai 2007-septembre 2009 compte tenu des charges d'exploitation et des conditions climatiques ;
Vu le rapport d'expertise en date du 8 janvier 2015 déposé à la Cour le 12 janvier 2015 ;
Vu l'ordonnance de taxation en date du 27 janvier 2015 ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 février 2015, présenté par Me A...pour Mme D... E... qui, réduisant ses prétentions indemnitaires à la somme totale de 16 762,33 euros, demande à la Cour :
1°) d'homologuer le rapport d'expertise du 8 janvier 2015 ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer les sommes de :
- 6 762,33 euros au titre du préjudice matériel, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2009 ;
- 5 000 euros au titre du trouble dans les conditions d'existence ;
- et 5 000 euros au titre du préjudice moral subi ;
3°) de dire et juger que les intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts à compter du 23 décembre 2010 ;
4°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat ainsi qu'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le préjudice matériel comprend le coût d'estive, à hauteur de 600 euros ainsi que la perte de marge brute, d'une part, de la production de foin, pour un montant de 4 461 euros et, d'autre part, de la plantation de l'oliveraie, pour un montant de 1 750,67 euros ;
Vu le courrier du 31 mars 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 ;
Vu, enregistré le 24 avril 2015, le mémoire présenté par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt qui conclut au rejet des conclusions de l'appelante ;
Il fait valoir que :
- en ce qui concerne les frais de fourrage, l'expert qui n'a pris en compte que les charges de mécanisation et les intrants nécessaires à la création de surface fourragère, aurait dû déduire le coût de la main d'oeuvre et les charges afférentes aux récoltes ;
- au final et après déduction, l'implantation du foin par Mme E...aurait généré une perte, de sorte que son préjudice est nul ;
- la somme de 1 700,67 euros résultant de son impossibilité de planter une oliveraie ne permet pas de compenser la perte générée par les surfaces fourragères ;
- le montant arrêté par l'expert devra en tout état de cause être réduit des prélèvements obligatoires que Mme E...aurait dû s'acquitter, soit une somme totale de 2 687 euros ;
- le chef de préjudice relatif aux troubles dans les conditions d'existence et celui de préjudice moral ne sont pas établis ;
- en tout état de cause le montant réclamé est manifestement excessif ;
Vu l'avis d'audience adressé le 5 mai 2015 portant clôture d'instruction en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 juin 2015 :
- le rapport de M. Pecchioli, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de MeB..., substituant à l'audience Me A...du cabinet CGCB et Associés, pour MmeE... ;
1. Considérant que dans le dernier état de ses écritures, enregistré après le dépôt du rapport d'expertise, Mme E...demande le paiement de la somme totale de 16 762,33 euros au titre de la réparation de ses préjudices ;
Sur la réparation des préjudices :
2. Considérant, en premier lieu, que Mme E...persiste à prétendre qu'à la suite de la situation dans laquelle elle a été mise de ne pouvoir exploiter les terres occupées par Mme G..., elle n'a pu produire son propre fourrage pour ses animaux et a dû, par voie de conséquence, l'acheter, ce qui lui a causé un préjudice ; que l'expert a retenu au titre de ce préjudice la somme de 4 461,68 euros correspondant à la perte de marge brute au titre de la production de foin dont elle aurait pu bénéficier au titre des récoltes 2008 et 2009 ; que, toutefois si Mme E...a affirmé, tant dans sa requête enregistrée le 30 juin 2011 que dans la note expertale privée du 22 janvier 2008 produite aux débats, qu'elle a été dans l'obligation matérielle d'acheter son fourrage, dès lors qu'elle ne pouvait en assurer elle-même la culture, il ressort des constatations effectuées par l'expert, que celle-ci a toujours assuré elle-même les besoins de son élevage par sa propre production de fourrage ; que d'ailleurs, en dépit des demandes répétées de l'expert, aucune facture d'achat de fourrage n'a pu être produite lors des opérations d'expertises ; qu'il s'ensuit que, eu égard au chef de préjudice tel qu'il est formulé, Mme E...n'établit pas avoir subi un préjudice lié à l'impossibilité d'avoir pu exploiter les parcelles litigieuses ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que Mme E...sollicite le paiement de la somme de 600 euros au titre des frais d'estive, expliquant avoir dû y conduire, en l'absence de fourrage suffisant, ses chevaux pour une période de trois mois, de juin à août 2007 ; que s'il ressort du rapport d'expertise que Mme E...possédait en 2008 quatre juments dont deux ont dû être vendues au cours de cette même année pour réduire, selon elle, les frais de nourriture et d'estive, elle n'établit pas que le préjudice tiré desdits frais trouve sa source directe dans la faute de l'administration, dès lors que si elle avait pu disposer des parcelles litigieuses dès le mois de mai 2007 elle n'aurait pu, en tout état de cause, ainsi que le souligne l'expert, produire du foin au titre de cette année-là mais seulement à partir de 2008 ; que dans ces conditions, ce chef de préjudice ne peut être également retenu ;
4. Considérant, en troisième lieu, que Mme E...établit avoir effectué des démarches approfondies afin d'envisager une plantation d'oliveraie ; qu'elle a déposé dans les délais une demande et a même reçu un accord de principe de la direction du développement économique et de l'aménagement du territoire lui indiquant le bénéfice d'une subvention ; que la plantation d'oliviers aurait donc été possible à compter du printemps 2008 ; que nonobstant le fait que la plantation d'oliveraie ne s'est pas concrétisée à la reprise effective de l'exploitation, ce préjudice n'est pas sérieusement contesté en défense ; que si le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt affirme que cette somme ne permettra pas de compenser la perte qui devrait être générée par les surfaces fourragères, il s'agit de deux chefs de préjudices distincts, entre lesquels il n'y a pas lieu d'opérer une quelconque compensation ; que l'expert a retenu dans son rapport au titre de ce préjudice la somme de 1 700 euros, laquelle représente selon elle deux années de marge brute pour une production de 2 500 kg par hectare ; que toutefois il convient de souligner que l'expert a pris en compte les charges de récoltes dites opérationnelles, à l'exception des impositions et cotisations sociales, lesquelles n'avaient pas à venir en déduction ; qu'ainsi il y a lieu de retenir l'évaluation de l'expert à la somme susmentionnée ;
5. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que les demandes présentées par Mme E... au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence doivent s'analyser comme une demande d'indemnisation ayant pour objet la réparation des préjudices consécutifs à la faute commise par l'administration qui lui a délivré une information erronée et constituées d'une part, par les tracas générés par les procédures qu'elle a dû engager alors même qu'elle était titulaire d'une autorisation tacite depuis l'année 2007, et, d'autre part, par l'incertitude et la remise en cause durable de ses projets qui s'en est suivie ; qu'il convient de retenir une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ainsi subis par Mme E...en lui allouant une somme de 1 000 euros à ce titre ;
6. Considérant, par suite, qu'il y a lieu de condamner le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt à payer à Mme E...épouse C...la somme totale de 2 700 euros au titre de la réparation de l'ensemble de ses préjudices ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...épouse C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'indemnisation ;
Sur les intérêts :
8. Considérant qu'aux termes de l'article 1153 du code civil : " Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. / Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance. " ; qu'aux termes de l'article 1153-1 du même code : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. / En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. " ;
9. Considérant que Mme E...demande que les indemnités sollicitées soient augmentées des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2009, date de réception de sa réclamation préalable adressée au préfet du Gard ; qu'elle a droit, conformément aux dispositions susmentionnées par les articles 1153 et 1153-1 du code civil, au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 2 700 euros à compter de cette date ;
Sur la capitalisation des intérêts :
10. Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que la capitalisation desdits intérêts a été demandée pour la première fois par Mme E...le 11 mai 2011, date d'enregistrement de son mémoire en réplique devant le tribunal administratif ; qu'il était dû à cette date au moins une année d'intérêts en ce qui concerne la somme de 2 700 euros ; que, par suite, la demande présentée par Mme E... tendant à ce que les intérêts dus soient capitalisés doit être accueillie à cette dernière date et non pas au 23 décembre 2010 comme elle le demande ;
Sur les frais d'expertise :
11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, ainsi que les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens. " ;
12. Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 4 341,05 euros par l'ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 27 janvier 2015, à la charge du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
14. Considérant que les termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que MmeE..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit au titre des frais exposés dans l'instance par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et non compris dans les dépens ;
15. Considérant qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme E...et non compris dans les dépens ;
D E C I D E:
Article 1er : Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est condamné à verser à Mme E...épouse C...une somme de 2 700 (deux mille sept cents) euros au titre de la réparation de l'ensemble de ses préjudices ; cette somme sera assortie des intérêts moratoires à compter du 23 décembre 2009 au taux d'intérêt légal, les intérêts étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 11 mai 2011 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement n° 1000687 rendu par le tribunal administratif de Nîmes le 1er juin 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Les dépens constitués par les frais d'expertise, liquidés et taxés à hauteur de 4 341,05 euros (quatre mille trois cent quarante et un euros et cinq centimes) par l'ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 27 janvier 2015, sont mis à la charge définitive du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt versera à Mme E...épouse C...une somme de 3 000 (trois mille) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...E...épouseC..., au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et à l'expert Mme H...F....
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Bocquet, président de chambre,
- M. Pocheron, président-assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 juillet 2015.
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N° 11MA02514