Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 15 avril 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité de contrôle n° 1 de la Nièvre a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2201544 du 21 mars 2024, le tribunal a annulé cette décision et a rejeté les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai 2024 et 5 mai 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Galien LPS, représentée par Me Cacheux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de confirmer la décision administrative du 15 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut être regardée comme ayant eu l'intention de contourner son obligation de recherche de reclassement, en ce qu'elle a présenté sa demande de licenciement pour faute antérieurement à l'intervention de l'avis d'inaptitude, et que le médecin du travail a déclaré M. B... inapte à tout reclassement ;
- l'avis d'inaptitude, intervenu alors que l'intéressé avait pris connaissance de la procédure disciplinaire engagée contre lui et résultant d'une manœuvre, ne faisait pas obstacle à ce que l'inspectrice du travail autorise son licenciement pour un autre motif ; la situation d'inaptitude n'était en outre qu'hypothétique, dès lors qu'elle a contesté l'avis d'inaptitude devant le conseil des prud'hommes ; le médecin traitant de l'intéressé a d'ailleurs reconnu devant le conseil de l'ordre avoir commis une " maladresse rédactionnelle " lors de la rédaction des certificats médicaux et courriers ayant conduit à l'avis d'inaptitude, qui doit être regardé comme ayant été obtenu par fraude, laquelle corrompt tout ;
- la primauté accordée au régime de l'inaptitude instaure une distorsion injustifiée de situation entre les salariés, notamment s'agissant des salariés victimes d'accident du travail ; cette primauté de principe viendrait dénier son pouvoir disciplinaire à l'employeur, notamment comme en l'espèce en cas de manquement à l'obligation de non concurrence ; en l'espèce l'arrêt maladie de M. B... n'avait aucune origine professionnelle ; son mandat prud'hommal lui conférait déjà une protection exorbitante du droit commun ; il n'avait que cinq ans d'ancienneté, était âgé de trente-neuf ans, et a retrouvé un emploi rapidement à la suite de son licenciement ; il n'entrait pas dans les cas visés par la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, soit les salariés en fin de carrière davantage exposés à un détournement de la procédure de licenciement ;
- la véritable cause du licenciement est disciplinaire et la matérialité des faits, soit avoir créé et animé plusieurs sociétés sans information préalable de son employeur, dont une en concurrence directe, en méconnaissance de ses obligations contractuelles de fidélité et d'exclusivité, est établie ; ces faits n'étaient pas prescrits, puisque l'intéressé n'en avait jamais informé son employeur et qu'ils n'ont été constatés qu'en janvier 2022 ;
- si ce grief était écarté par la cour, elle demande une substitution de motif, dès lors que l'autorisation de licenciement aurait également pu être fondée sur la circonstance que la responsabilité de M. B... est engagée dans les détournements financiers auxquels son responsable des achats s'est livré en 2020 et qui font l'objet d'une procédure pénale ; également sur la circonstance que M. B... a négocié avec l'entreprise Suez de façon à obtenir un avantage sans contrepartie, soit la réalisation d'une prestation en annexe d'un marché en cours de négociation réalisée par un tiers, en vue de faciliter son accession à un nouveau marché, en l'absence de tout lien contractuel ; cette situation n'a été découverte que lorsque l'entreprise tierce a demandé le paiement de sa prestation, qui devait être prise en charge par Suez, laquelle a refusé de s'en acquitter, n'ayant pas obtenu le marché promis ; enfin, sur la circonstance que M. B... a acquis des données appartenant à l'entreprise et a refusé de les restituer, à savoir des études achetées en 2018 auprès du laboratoire Clevexel ;
- aucune situation de harcèlement moral à l'égard de M. B... n'est constituée ; il a seulement été demandé à l'intéressé d'accentuer ses efforts pour assurer le redressement de l'entreprise dont les résultats étaient décevants en 2020 ; l'intéressé, en arrêt maladie depuis le 15 octobre 2021, n'a reproché que le 18 octobre à son employeur une prétendue mise à l'écart, ce qui est contradictoire avec le grief également exprimé d'une surveillance abusive de son activité ; il n'y a eu aucune mise à l'écart ; lors de son absence, il a été constaté le désengagement de M. B... qui s'explique par l'ampleur de ses activités parallèles ; il n'a subi aucune atteinte financière.
Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2024, M. A... B..., représenté par Me Germain-Phion, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge la société Galien LPS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à l'annulation du jugement et non à sa réformation ne peuvent qu'être rejetées, dès lors qu'aucun moyen relatif à la régularité du jugement n'est soulevé ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 15 avril 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 mai 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Cacheux, pour la société Galien LPS ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a été engagé par la société Galien LPS par contrat de travail à durée indéterminée du 29 juin 2017, en qualité de directeur des opérations. Par un avenant du 5 octobre 2018, il a accédé aux fonctions de directeur général de la société Galien LPS à compter du 1er novembre 2018. Il a également été nommé directeur général de la société Laboratoire Macors. M. B... était par ailleurs titulaire d'un mandat de conseiller prud'hommes au sein du collège employeur auprès de la section industrie du conseil des prud'hommes de Nevers. Par un courrier du 17 février 2022, reçu le 21 février 2022, la société Galien LPS a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... pour motif disciplinaire. Le médecin du travail a conclu le 28 février 2022 à l'inaptitude définitive de M. B... à son poste de directeur général et indiqué que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, de sorte qu'un reclassement au sein de l'entreprise ou du groupe n'était pas envisageable. Par une décision du 15 avril 2022, dont M. B... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Dijon, l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité de contrôle n° 1 de la direction départementale de la Nièvre a autorisé son licenciement pour faute. Par un jugement du 21 mars 2024, dont la société Galien LPS relève appel, le tribunal a fait droit à sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ". Aux termes de l'article L. 1226-2-1 du même code : " Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement. / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. / L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. / S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titreIII du présent livre ".
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Lorsqu'un salarié est déclaré inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail, l'inspecteur du travail ne peut, en principe, postérieurement à cet avis, autoriser le licenciement pour un motif autre que l'inaptitude.
4. En l'espèce, par la décision en litige du 15 avril 2022, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement pour faute de M. B.... Toutefois, par un avis du 28 février 2022, préalable à cette décision, le médecin du travail avait déclaré M. B... définitivement inapte à son poste de directeur général, en précisant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Au vu des principes rappelés au point précédent, la société ne peut utilement se prévaloir de ce que cet avis d'inaptitude faisait obstacle à toute recherche de reclassement ni de ce que l'inaptitude ainsi relevée n'avait pas d'origine professionnelle, pour affirmer que l'inspectrice du travail pouvait autoriser le licenciement de M. B... pour un motif autre que cette inaptitude.
5. Par ailleurs, si la procédure disciplinaire a, par un courrier de convocation à l'entretien préalable du 1er février 2022 reçu le 5 février 2022, été engagée avant l'avis d'inaptitude, si l'entretien, prévu le 15 février 2022, s'est lui-même tenu à une date antérieure à cet avis et si la demande d'autorisation de licenciement lui est aussi antérieure, de telles circonstances sont, à cet égard, sans incidence. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier qu'avant la date de l'entretien préalable, l'employeur avait été averti par un courrier du médecin du travail du 8 février 2022 qu'une inaptitude était prévisible.
6. Enfin, si la société requérante fait valoir que, en application de l'article L. 4624-7 du code du travail, elle a contesté l'avis d'inaptitude en saisissant le 11 mars 2022 le conseil des prud'hommes d'Auxerre, une telle circonstance est toutefois sans incidence sur la légalité de la décision en litige, alors qu'un tel recours n'a pas d'effet suspensif et qu'à la date de la décision de l'inspecteur du travail, l'avis du médecin s'imposait toujours à l'employeur. Au demeurant, sur demande de la société, et postérieurement à cette décision, l'affaire, par une ordonnance du 19 mai 2022, a été radiée du rôle du conseil des prud'hommes, le rétablissement de l'affaire à l'instance n'ayant été demandé que le 7 mai 2024, postérieurement au jugement ici attaqué. Par ailleurs, les fraudes entachant cet avis d'inaptitude, dont ne saurait connaître le juge administratif, ne peuvent être utilement invoquées dans le cadre de la présente instance.
7. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail ne pouvait, postérieurement à l'avis d'inaptitude du 28 février 2022, autoriser le licenciement de M. B... pour un motif disciplinaire. Il en résulte que la société Galien LPS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision contestée du 15 avril 2022. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Galien LPS la somme que M. B... demande en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Galien LPS est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Galien LPS, à M. A... B..., et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
I. BoffyLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01480
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