Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice, tous chefs confondus, qu'il estime avoir subi, avec les intérêts et leur capitalisation.
Par un jugement n° 2100823 du 21 mars 2024, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 mai 2024, M. A..., représenté par Me Bernard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice, tous chefs confondus, qu'il estime avoir subi, avec les intérêts à compter de sa demande et la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la juridiction administrative est compétente pour connaître du présent litige ;
- il est fondé à rechercher la responsabilité de l'État pour carence fautive, ayant été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante au cours de sa carrière professionnelle sans bénéficier d'une protection individuelle ou collective efficace ;
- il est également fondé à rechercher la responsabilité de l'État pour carence fautive, n'ayant pas été informé des risques qu'il encourait en raison l'inhalation de poussières d'amiante au cours de sa carrière professionnelle ;
- il est fondé à bénéficier de la présomption de " l'article L. 461-1 ", dans la mesure où la période d'exposition qu'il a subie est supérieure à la durée exigée par " le tableau 30 des maladies professionnelles " ;
- les fautes qu'il invoque sont en lien direct et certain avec les préjudices dont il se prévaut et il fait état d'éléments personnels circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d'activité ;
- il a subi un préjudice moral dont il justifie, qui doit être réparé à hauteur de 15 000 euros ;
- il a subi un préjudice lié à des troubles dans ses conditions d'existence dont il justifie, qui doit être réparé à hauteur de 15 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 17 janvier 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il déclare s'en remettre à ses écritures de première instance et soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 février 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;
- l'arrêté du 28 février 1995 pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale fixant le modèle type d'attestation d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérogènes ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., qui a débuté sa carrière administrative le 15 février 2021, et était alors titulaire du grade d'agent des services techniques de seconde classe, est désormais adjoint technique principal de l'intérieur et des outre-mer. Il exerce des fonctions d'entretien des bâtiments au sein du service de l'intendance de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN), sous-direction des méthodes et de l'appui (SDMA), située à Clermont-Ferrand. Par un courrier du 18 décembre 2020, il a formé une réclamation indemnitaire auprès du ministre de l'intérieur visant à obtenir une réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait d'une exposition, dans l'exercice de ses fonctions, entre 2001 et 2017, à des poussières d'amiante, qui a été rejetée par une décision du 16 février 2021. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une somme totale de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, avec les intérêts et leur capitalisation.
Sur la responsabilité de l'État en qualité d'employeur :
2. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. ". Les dispositions de l'article 1er du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique prévoient que ce décret s'applique notamment aux services des différentes administrations de l'État. Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Dans les administrations (...) mentionnés à l'article 1er, les règles applicables en matière de santé et de sécurité sont, sous réserve des dispositions du présent décret, celles définies aux livres Ier à V de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application (...). ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, inséré au sein du livre Ier de la quatrième partie de ce code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels (...) ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ".
3. La responsabilité de l'administration, notamment en sa qualité d'employeur, peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en résulte un préjudice direct et certain. Présente un caractère fautif le manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers son agent, lorsqu'il a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
4. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.
5. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.
6. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre de travaux dits de " mise en sécurité incendie " conduits de 2016 à 2018, un " diagnostic technique amiante " a été réalisé s'agissant des bâtiments de la DCRFPN, anciennement institut national de formation de la police nationale, situés à Clermont-Ferrand, qui a conclu à la présence de matériaux contenant de l'amiante. Au début de l'année 2017, les agents de la section dite " intendance " exerçant sur le site, après avoir été informés d'un risque d'exposition à des poussières d'amiante, invités à suivre une formation et équipés de matériels de protection individuelle, ont bénéficié d'opérations de reconstitution du déroulement de leur carrière professionnelle en termes de risques d'exposition potentielle à ces poussières. Ainsi, M. A... a obtenu une attestation d'exposition à l'amiante établie le 15 février 2019, signée par un médecin de prévention et la commissaire générale sous-directrice de la SDMA, dont il résulte qu'il avait potentiellement été exposé à des poussières d'amiante chrysotile durant la période du 15 février 2001 au 30 janvier 2017 à l'occasion de tâches de grattage, perçage et ponçage lors de différents travaux réalisés en qualité d'agent d'entretien des bâtiments, tels qu'ils sont recensés dans un document de synthèse détaillé joint à cette attestation. Il apparaît ainsi, comme le montrent des témoignages d'autres agents affectés au sein de la direction produits, que M. A... a accompli ces tâches sans être doté d'équipements de protection spécifiques. En admettant même que, pour la période antérieure au 31 janvier 2017, l'État ignorait la présence d'amiante dans les locaux de la DCRFPN, il lui incombait cependant, comme employeur de M. A..., et comme le rappellent les dispositions citées plus haut, de protéger ce dernier des risques générés par l'inhalation de poussières d'amiante, dont le caractère nocif est admis. L'État a ainsi fait preuve d'une carence fautive à l'égard de M. A....
7. Toutefois il apparaît, d'après une attestation d'un médecin de prévention du 24 janvier 2019, que l'exposition de M. A... a été discontinue pendant une quinzaine d'années et qu'il relevait du groupe dit " intermédiaire " qui, d'après une classification retenue par la Haute autorité de santé, correspond à une situation d'exposition professionnelle documentée, regardée comme non forte. Si l'intéressé a été pris en charge par l'administration et a bénéficié d'examens médicaux appelés à être renouvelés tous les dix ans selon un certificat de la sous-directrice de la SDMA du 15 février 2019, le compte-rendu de l'examen tomodensitométrique thoracique réalisé le 1er juillet 2019 n'a fait apparaître aucune anomalie parenchymateuse ou pleurale, et a conclu à l'absence de problèmes liés à l'amiante ou de nodules significatifs justifiant une prise en charge. Aucun élément personnel et suffisamment circonstancié ne figure au dossier qui aurait permis de dire que les conditions dans lesquelles l'intéressé a été effectivement exposé aux poussières d'amiante seraient telles qu'il se serait trouvé placé dans une situation de risque élevé de développer une pathologie grave. Il n'apparaît pas dans ces circonstances que son espérance de vie pourrait être diminuée au point de justifier de l'existence d'un préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser et de troubles dans ses conditions d'existence. La demande de réparation formée par M. A... ne peut donc qu'être rejetée.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente-assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
Le rapporteur,
J. Chassagne
Le président,
V-M. PicardLa greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01434
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