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10/07/2025 | FRANCE | N°24LY03516

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 10 juillet 2025, 24LY03516


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

L'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) - section Auvergne Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande, présentée au maire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune, tendant à l'abrogation de la décision de supprimer les menus de substitution proposés dans les cantines scolaires, et de remettre en place ces menus.



Par jugement n° 2303169 du 22 octo

bre 2024, le tribunal a annulé cette décision et a enjoint à la commune de Tassin-la-Demi-Lu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) - section Auvergne Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande, présentée au maire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune, tendant à l'abrogation de la décision de supprimer les menus de substitution proposés dans les cantines scolaires, et de remettre en place ces menus.

Par jugement n° 2303169 du 22 octobre 2024, le tribunal a annulé cette décision et a enjoint à la commune de Tassin-la-Demi-Lune de réintroduire les menus de substitution proposés aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 décembre 2024 et le 12 mai 2025 sous le n° 24LY03516, la commune de Tassin-la-Demi-Lune, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée au tribunal par la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes

3°) de mettre à la charge de la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé et entaché de contradiction de motifs ;

- la demande de première instance est irrecevable, d'une part, faute pour l'association d'invoquer un intérêt lui donnant qualité pour agir, d'autre part, en raison de l'absence de décision de supprimer les menus de substitution et, enfin, pour tardiveté ;

- compte tenu de la modification du mode de préparation et de livraison des repas, désormais livrés en liaison froide depuis une cuisine située dans une autre commune où ils ont été préparés, l'adaptation ponctuelle des menus ne pouvait plus être proposée à compter de 2016 ;

- la décision implicite de rejet du 19 février 2023 ne porte pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Par des mémoires, enregistrés le 12 mars 2025, le 24 avril 2025 et le 28 mai 2025, la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes, représentée par Me Jounier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) d'enjoindre la commune de Tassin-la-Demi-Lune de remettre en place les menus de substitution au sein des cantines scolaires dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Tassin-la-Demi-Lune la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est régulier dès lors qu'il est suffisamment motivé et qu'il n'est entaché d'aucune contradiction de motifs ;

- la demande de première instance est recevable, dès lors qu'elle présente un intérêt lui donnant qualité pour agir, que la commune a pris la décision de supprimer les menus de substitution qui étaient distribués antérieurement et enfin que sa demande n'est pas tardive ;

- la décision implicite de rejet du 19 février 2023 est entachée d'incompétence ;

- en application de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration, la commune était tenue d'abroger la décision de suppression des menus de substitution, de portée réglementaire, qui était illégale ;

- la décision de suppression est illégale, dès lors qu'elle est entachée d'incompétence ;

- elle méconnaît l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle ne peut être justifiée par l'application du principe de laïcité ;

- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant.

II. Par une requête enregistrée sous le n° 24LY03519, la commune de Tassin-la-Demi-Lune, représentée par Me Petit, demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2303169 du tribunal administratif de Lyon du 22 octobre 2024, de mettre à la charge de la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes aux dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que les moyens invoqués dans la requête d'appel enregistrée sous le n° 24LY3516 sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions en annulation accueillies par ce jugement.

En application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, l'affaire a été dispensée d'instruction.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de l'éducation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- les conclusions de Mme A...,

- et les observations de Me Petit pour la commune de Tassin-la-Demi-Lune et celles de Me Jounier pour la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 16 décembre 2022, l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes a demandé au maire de Tassin-la-Demi-Lune d'abroger la décision ayant mis fin à la pratique consistant à proposer des repas différenciés, permettant aux usagers de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, au sein des restaurants scolaires de la commune, et de remettre en place ces menus de substitution. En l'absence de réponse expresse, elle a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande. Par une requête enregistrée sous le n° 24LY03516, la commune de Tassin-la-Demi-Lune relève appel du jugement du 22 octobre 2024 par lequel le tribunal a annulé cette décision et lui a enjoint de réintroduire les menus de substitution proposés aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. Par une requête enregistrée sous le n° 24LY03519, la commune de Tassin-la-Demi-Lune demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement. Ces requêtes ayant trait au même litige, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la requête n° 24LY03516 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, les premiers juges, qui ont mentionné les éléments factuels leur ayant permis de relever l'existence d'une décision de suppression des menus de substitution, ont suffisamment motivé leur réponse à la fin de non-recevoir, opposée par la commune de Tassin-la-Demi-Lune, tirée de ce que, une telle décision n'ayant jamais été adoptée, la demande de l'association était, dès son introduction, dépourvue d'objet. Par suite, le jugement attaqué est suffisamment motivé.

3. En second lieu, la circonstance, à la supposer établie, que le jugement attaqué soit entaché d'une contradiction de motifs est par elle-même sans incidence sur sa régularité.

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

S'agissant de l'existence de la décision de suppression des menus de substitution :

4. D'une part, indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, un tiers à un contrat est recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif qui portent une atteinte directe et certaine à ses intérêts. Il est également recevable à demander, par la même voie, l'annulation du refus d'abroger de telles clauses à raison de leur illégalité.

5. D'autre part, revêtent un caractère réglementaire les clauses d'un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public.

6. Aux termes de l'article 18, relatif au règlement du service, du cahier des charges du contrat d'affermage du service public de restauration scolaire conclu par la commune de Tassin-la-Demi-Lune pour la période du 29 août 2012 au 29 août 2015, reconduit jusqu'au 29 août 2016 : " (...) Le règlement du service comprend notamment (...) les possibilités d'adaptation des menus (en raison de prescriptions médicales ou de pratiques religieuses) (...) ". Aux termes de l'article 25 de ce contrat, relatif à l'élaboration des menus : " Les menus correspondront aux normes énoncées ou à toutes nouvelles dispositions les complétant ou les remplaçant (...) Des adaptations sont notamment prévues : (...) - pour raisons cultuelles (sans porc, sans viande...). Dans ces cas, le plat de substitution devra être le plus proche, dans sa présentation, du plat initial servi aux autres rationnaires, et l'équilibre nutritionnel respecté autant que faire se peut ".

7. Aux termes de l'article 4, relatif à l'objet et à la portée du contrat, du cahier des charges du contrat conclu pour la période du 29 août 2016 au 29 août 2019, repris dans les mêmes termes dans le contrat conclu pour la période du 1er septembre 2019 au 30 août 2023 : " Le concessionnaire (...) a pour mission d'assurer la confection de ces repas livrés en liaison froide. Par ailleurs, le concessionnaire assure : (...) - l'élaboration des menus en conformité avec le décret n° 2011-1227 du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire (...) - la confection des repas en conformité avec les prescriptions qualitatives et nutritionnelles définies au chapitre VII et les normes de sécurité et d'hygiène en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 23, relatif à l'élaboration des menus, de ce cahier : " (...) Les menus correspondront aux normes énoncées ou à toutes nouvelles dispositions les complétant ou les remplaçant. Ils seront élaborés sous le couvert d'un(e) diététicien(ne), doivent satisfaire à des exigences d'apport énergétique et d'équilibre nutritionnel en rapport, en particulier, avec l'âge des enfants et s'inscrire dans le cadre de la grille mensuelle de contrôle des fréquences des repas. Des adaptations pourront éventuellement être prévues pour les enfants des classes maternelles lorsque cela est nécessaire : le plat de substitution devra être le plus proche, dans sa présentation, du plat initial servi aux autres rationnaires, et l'équilibre nutritionnel respecté autant que faire se peut (...) ". Et aux termes de l'article 43 - règlement du service, de ce cahier : " (...) Le règlement du service comprend notamment le régime d'inscription, les horaires des repas, les règles de discipline interne pour les élèves, les modalités d'information sur les modifications apportées aux menus et le régime de perception du prix des repas. (...) Ce règlement prévoira notamment : (...) - les modalités de service des repas (horaires, régimes alimentaires spécifiques) (...) Les menus seront proposés pour les périodes inter vacances scolaires (...) Les menus seront éventuellement modifiés à la suite des observations de la collectivité (...) ".

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et, notamment, des clauses du contrat d'affermage du service public de restauration scolaire conclu par la commune de Tassin-la-Demi-Lune pour la période du 29 août 2012 au 29 août 2015, reconduit jusqu'au 29 août 2016, et relatives au règlement du service et à l'élaboration du menu, que le service de restauration, en prévoyant un plat alternatif au plat principal contenant du porc ou de la viande, organisait la distribution d'un menu de substitution, alors même qu'il n'offrait qu'un menu unique avec une possibilité d'adaptations ponctuelles, et non, de façon systématique, une pluralité de menus. Alors que le règlement du service applicable pour les années scolaires 2012 à 2016 comprenait ainsi des possibilités d'adaptation des menus pouvant correspondre à des pratiques religieuses, et qu'il était prévu pour ce faire de proposer aux usagers des menus sans porc ou sans viande, il ressort des stipulations du cahier des charges du contrat conclu pour la période du 29 août 2016 au 29 août 2019, repris dans les mêmes termes dans le contrat conclu pour la période du 1er septembre 2019 au 30 août 2023, qu'aucune possibilité similaire n'a été ouverte à compter du mois de septembre 2016, les seules adaptations au menu étant réservées aux enfants en bas âge et aux régimes alimentaires spécifiques sans référence à un motif religieux ou cultuel. Il s'ensuit qu'en concluant les contrats relatifs aux années 2016 à 2019 puis aux années 2019 à 2023, dont le cahier des charges traduisait ses demandes et les conditions dans lesquelles elle entendait régir le service public de restauration scolaire, la commune a mis un terme à la possibilité, qu'elle avait organisée au titre de la période antérieure comprise entre 2012 et 2016, de distribuer un menu alternatif aux usagers ne consommant pas de porc ou de viande pour des raisons religieuses. Dans de telles conditions, la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir qu'aucune décision de suppression de menus de substitution n'a été adoptée.

9. En second lieu, la commune fait valoir que le conseil municipal était seul compétent pour abroger une clause réglementaire du contrat de concession. Toutefois, dès lors qu'il n'a pas statué sur la demande d'abrogation que le maire devait inscrire à l'ordre du jour, en application de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal est réputé avoir rejeté cette demande. Par suite, et en tout état de cause, la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir que la demande de l'association adressée au seul maire n'aurait pas été de nature à faire naître une décision susceptible de faire l'objet d'un recours.

10. Il résulte de ce qui précède que la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir que la demande de l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes formée le 16 décembre 2022 tendant à l'abrogation de la décision de suppression des menus de substitution était dépourvue d'objet.

S'agissant de l'intérêt à agir de l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes :

11. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et, notamment, de ses statuts, que l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes a pour objet, notamment, de combattre le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie et les discriminations, de défendre leurs victimes individuelles et collectives ainsi que de promouvoir les droits de la personne humaine et de prévenir, par une action éducative et positive, toute atteinte qui pourrait leur être portée. La décision de supprimer les menus de substitution proposés aux usagers du service public de restauration scolaire de la commune dont la religion interdit la consommation de viande de porc est ainsi susceptible de léser les intérêts, afférents à la protection des libertés individuelles et à la lutte contre les discriminations, que la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes s'est donnée pour objet de défendre. Il s'ensuit que la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir que, eu égard à son objet, l'association était dépourvue d'intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de la décision implicite du maire refusant d'abroger la décision de supprimer les menus de substitution.

12. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes organise, au niveau local, les projets et actions de l'association LICRA dont le champ d'action est national. Le litige ayant trait à l'organisation et au fonctionnement du service public local de la restauration scolaire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune, et cette commune se trouvant dans le ressort géographique de l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes, la commune n'est pas fondée à soutenir que, eu égard à son ressort géographique, l'association était dépourvue d'intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de la décision en litige.

S'agissant de la tardiveté de la demande :

13. D'une part, si la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes a demandé l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de la décision de suppression des menus de substitution qui aurait été révélée, notamment, par les délibérations du conseil municipal de la commune de Tassin-la-Demi-Lune du 1er juin 2016 et 6 juillet 2016, elle n'a pas sollicité l'annulation de ces délibérations. Par suite, la commune ne peut utilement opposer l'expiration du délai de recours de deux mois ayant couru à compter de l'affichage de ces délibérations, le 13 juillet 2016.

14. D'autre part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours (...) ". Aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception (...) ". L'article R. 112-5 de ce code précise que cet accusé de réception " indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet " et, dans ce cas, " mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision ". L'article L. 112-6 du même code dispose que : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis (...) ".

15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le courrier du 16 décembre 2022, reçu le 19 décembre suivant, par lequel la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes a demandé au maire de Tassin-la-Demi-Lune d'abroger la décision de suppression des menus de substitution, ait donné lieu à la délivrance par la commune d'un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours. Par suite, ces délais étant inopposables, en application des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, et la demande présentée par l'association devant le tribunal administratif de Lyon contre la décision implicite de rejet ayant été enregistrée le 19 avril 2023, soit dans un délai raisonnable à compter de la naissance d'une décision implicite de rejet, la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir que la demande aurait été tardive.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

16. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes a sollicité l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande qu'elle avait présentée tendant à l'abrogation de la décision de la commune de Tassin-la-Demi-Lune de supprimer les menus de substitution distribués par le service de restauration scolaire. Cette décision, qui s'est traduite dans les clauses du contrat d'affermage du service public de restauration scolaire pour la période 2016-2019, lesquelles concernent l'organisation et le fonctionnement du service public, revêt, ainsi qu'il a été dit au point 5, un caractère réglementaire. En conséquence, en application des dispositions de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration citées au point 14, la commune de Tassin-la-Demi-Lune était tenue, en cas d'illégalité de cette décision, d'en prononcer l'abrogation.

17. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". Aux termes de l'article L. 141-2 du code de l'éducation : " L'Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la liberté des cultes et de l'instruction religieuse ".

18. S'il n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.

19. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d'assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d'organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

20. Il ressort des pièces du dossier que, lors de la réorganisation du service public de la restauration scolaire qu'elle a entrepris à l'occasion du changement de délégataire de ce service, la commune de Tassin-la-Demi-Lune, ainsi qu'elle le reconnaît expressément, a estimé que, pour l'application des principes de laïcité et de neutralité du service public, elle n'était pas tenue de prendre en compte les convictions religieuses des usagers qui imposeraient une alternative au menu et que les usagers n'avaient aucun droit à une telle prise en compte.

21. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, ce faisant, la commune ait recherché à tenir compte de l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier du service public de la restauration scolaire, quelle que soit leur confession. A cet égard, la seule circonstance que les parents d'élèves sont avertis plusieurs semaines à l'avance de la composition des menus ne suffit pas à garantir que les enfants puissent effectivement bénéficier d'un repas adapté en l'absence d'alternative au menu unique servi en restauration scolaire.

22. Si la commune de Tassin-la-Demi-Lune fait état du risque tenant à la création d'un traitement informatique des enfants concernés par ces menus et à leur regroupement matériel pour la distribution des repas, elle n'apporte aucune précision ni aucune pièce de nature à justifier de la réalité de ce risque, alors notamment qu'aucun élément ne démontre que la mise en œuvre de menus de substitution dans les cantines municipales aurait entraîné, par le passé, des difficultés particulières.

23. Enfin, la circonstance que les repas sont préparés dans une cuisine centrale à distance des lieux de restauration puis acheminés en liaison froide ne saurait faire obstacle à la distribution de menus de substitution, dès lors qu'il appartient au concessionnaire de répondre aux demandes du concédant, sous réserve que le concessionnaire soit rémunéré de cette prestation supplémentaire et, le cas échéant, que ces menus soient réservés à l'avance.

24. Dans ces conditions, en l'absence de démonstration d'un obstacle, lié aux exigences du bon fonctionnement du service et aux moyens humains et financiers dont elle dispose, à la distribution de menus de substitution, la commune de Tassin-la-Demi-Lune était tenue de faire droit à la demande d'abrogation de la décision de suppression de ces menus, laquelle était illégale. Il s'ensuit que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune contradiction de motifs, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes et lui a enjoint de réintroduire les menus de substitution proposés aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Sur les conclusions tendant au prononcé d'une astreinte :

25. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Lyon d'une astreinte. La demande présentée par l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes doit, par suite, être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Tassin-la-Demi-Lune le versement à la LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes de la somme de 1 500 euros en application de ces dispositions.

Sur la requête n° 24LY03519 :

27. Dès lors qu'elle se prononce sur les conclusions de la commune de Tassin-la-Demi-Lune tendant à l'annulation du jugement en litige, il n'y a pas lieu pour la cour de statuer sur la requête n° 24LY03519 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 24LY03516 de la commune de Tassin-la-Demi-Lune est rejetée.

Article 2 : La commune de Tassin-la-Demi-Lune versera à l'association LICRA - section Auvergne Rhône-Alpes une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24LY03519.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tassin-la-Demi-Lune et à l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme - section Auvergne Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2025 à laquelle siégeaient :

M. Arbaretaz, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY03516-24LY03519


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY03516
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

30-01-03-01 Enseignement et recherche. - Questions générales. - Questions générales concernant les élèves. - Cantines scolaires.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : CABINET PHILIPPE PETIT & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24ly03516 ?
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