Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel le directeur du centre hospitalier d'Auxerre l'a suspendu de toutes fonctions à compter du 16 octobre 2020.
Par un jugement n° 2003458 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 14 août 2023, 2 octobre 2023 et 29 janvier 2025, M. A..., représenté par Me Seingier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2023 ainsi que l'arrêté du 15 octobre 2020 susvisé ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Auxerre une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le mémoire qu'il a produit le 31 janvier 2023 n'a pas été communiqué ;
- le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer s'agissant de la réponse aux moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation, de l'erreur de fait et du détournement de pouvoir et de procédure commis par le directeur du centre hospitalier ;
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation quant à sa réponse aux moyens tirés de l'erreur d'appréciation commise et de ce que la décision en litige aurait été prise dans le but de le sanctionner ;
- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur de fait ;
- l'arrêté du 15 octobre 2020 est entaché d'un vice de procédure issu de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- il constitue une sanction déguisée ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir et de procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2024, le centre hospitalier d'Auxerre, représenté par Me Supplisson, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'appelant une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le centre hospitalier fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 30 janvier 2025 a fixé la clôture de l'instruction au 27 février 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le président de la Cour ayant désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Seingier, représentant M. A... et de Me Supplisson, représentant le centre hospitalier d'Auxerre.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., praticien hospitalier, a été recruté par le centre hospitalier d'Auxerre le 1er septembre 2008 en qualité de médecin pédiatre, et nommé chef du service de pédiatrie-néonatologie. Au terme d'une procédure de conciliation diligentée pour résoudre de graves difficultés relationnelles internes, M. A... a, par un courrier du 28 janvier 2016, démissionné de ses fonctions de chef de service, a intégré, à compter du 1er février 2016, le service de gynécologie-obstétrique et a été affecté à la maternité. Par une décision du 15 octobre 2020, le directeur du centre hospitalier d'Auxerre a suspendu M. A... de toutes fonctions à compter du 16 octobre 2020. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " (...) Le directeur dispose d'un pouvoir de nomination dans l'établissement. (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art (...) ".
3. S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.
4. Pour prononcer la décision de suspension en litige, le directeur du centre hospitalier d'Auxerre s'est fondé sur plusieurs témoignages d'agents et de parents de patients, et a estimé que M. A... " crée, par ses attitudes, ses propos et ses actes, autour de ses consœurs et confrères, des professionnels de santé dans leur ensemble (personnel de la maternité et pédiatres) et des patients, un contexte dangereux pour assurer la continuité du service et la sécurité des patients ", que l'urgence avérée de la situation avait pour effet de créer un climat d'insécurité pour les personnels et l'ensemble des patients et qu'il était nécessaire de " garantir un retour à un exercice apaisé et solidaire de l'activité médicale face au contexte d'insécurité, de procès d'intention et menaces générées " par l'intéressé.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des attestations produites, qu'au cours de l'année 2020, alors que M. A... exerçait ses fonctions de pédiatre au sein de la maternité de l'établissement, plusieurs praticiens et agents du service ont fait état de difficultés relationnelles le mettant en cause. Il ressort ainsi du courrier rédigé le 31 juillet 2020 par le chef du pôle mère-enfant, que l'intéressé ne s'entendait pas avec les autres pédiatres du service, notamment les nouveaux pédiatres, au sujet du parcours patiente et des prises en charge des enfants et que certains personnels, en particulier les sage-femmes, puéricultrices et auxiliaires puéricultrices, refusaient de travailler avec lui au regard de ses explications jugées incohérentes. Ce praticien indique regretter un comportement devenu " ingérable " et une perte de confiance de l'ensemble du personnel travaillant avec M. A..., susceptibles de " conduire à des erreurs voire des défauts de prise en charge dangereuse pour les enfants. ". Des courriers des 12 juillet 2020 et 26 juillet 2020, émanant de divers praticiens, font état des mêmes difficultés. En outre, plusieurs courriers du 10 octobre 2020 de la psychologue au pôle mère-enfant, du 12 octobre 2020 du psychiatre exerçant en périnatalité au centre hospitalier et des sage-femmes de l'unité de suite de naissances du service maternité, font état de la souffrance des personnels, sage-femmes et auxiliaires, travaillant sous l'autorité de M. A... et des propos brusques et inadaptés que celui-ci a pu tenir à l'égard de jeunes mères. Toutefois, s'il ressort de ces témoignages que le comportement de M. A... a posé difficulté tant avec le personnel de l'établissement qu'avec les parents de ses jeunes patients, aucun des éléments produits au dossier et sur lesquels s'appuie le centre hospitalier pour justifier sa décision, ne démontre une mise en péril de la continuité du service et de la sécurité des patients. A ce titre, les fiches d'évènements indésirables des 26 août, 29 septembre et 11 octobre 2020 rédigées par le chef du service de pédiatrie, ne font pas état d'évènements au cours desquels la sécurité des patients, en particulier les jeunes enfants pris en charge, aurait été mise en péril voire même en danger. De même, si les témoignages précités indiquent qu'il est arrivé à M. A... de " commenter ou vouloir annuler des prescriptions réalisées par des confrères en unité Koala 1510, qui ne se trouvait pas sous sa responsabilité ", craindre que " l'incompatibilité entre les praticiens ne génère des défauts de prises en charge ", il ne ressort d'aucune pièce que tel aurait été le cas et que la sécurité des enfants pris en charge aurait été mise en jeu. Dans ces conditions, si les difficultés constatées au sein du service de pédiatrie et imputées à M. A... pouvaient éventuellement donner lieu à une procédure disciplinaire, elles n'ont ni mis en péril la continuité du service ni eu d'incidence sur la sécurité des patients. Les faits ainsi constatés ne pouvaient, par suite, justifier la mesure de suspension litigieuse, laquelle doit être annulée.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur la régularité du jugement attaqué ni sur les autres moyens soulevés, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Auxerre une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Dijon et l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel le directeur du centre hospitalier d'Auxerre a suspendu M. A... de toutes fonctions à compter du 16 octobre 2020 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier d'Auxerre versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier d'Auxerre.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme Irène Boffy, première conseillère,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2025.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-NérisLa présidente,
Emilie Felmy
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au préfet de l'Yonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière
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N° 23LY02645