Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société DetA Quality Solutions Oü a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 15 novembre 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Auvergne Rhône-Alpes lui infligeant une amende administrative d'un montant de 12 000 euros, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2001708 du 9 février 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 mars et 13 juillet 2023, la société DetA Quality Solutions Oü, représentée par Me Shveda, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées ;
3°) à défaut, de réduire l'amende prononcée à son encontre à de plus justes proportions ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'incompétence, l'arrêté de nomination de son auteur n'ayant été ni joint à la décision ni versé au dossier ;
- la décision est insuffisamment motivée, notamment quant au principe de libre prestation au sein de l'Union européenne et quant à sa qualité de maître d'ouvrage ayant fait appel à une société prestataire ;
- le contradictoire, qui durant les deux années de la procédure, n'a concerné que la société Eurobud, n'a pas été respecté à son endroit ;
- elle n'a bénéficié que du délai de quinze jours prévu par l'article R. 8115-2 du code du travail, qui n'était pas raisonnable, pour présenter ses observations, alors que la société Eurobud était informée de la procédure depuis un an ; elle aurait dû bénéficier du délai d'un mois prévu à l'article R. 8115-10 de ce code ainsi qu'à l'article L. 8115-4 du même code ;
- toute procédure d'autorisation préalable est contraire au droit communautaire et méconnaît le principe de libre prestation des services à l'intérieur de l'Union européenne consacré par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; aux termes de l'article 62 du TFUE, des mesures restrictives ne peuvent être imposées que pour des motifs impérieux d'intérêt général ; les restrictions imposées par la France méconnaissent l'article 9 de la directive 2014/67/UE du parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ; la sanction prononcée est contraire au droit européen ;
- l'absence de lien de subordination entre elle et les salariés détachés l'exonère de toute responsabilité et la décision est infondée ;
- la sanction, qui applique le montant maximum de l'amende, est disproportionnée au regard de sa bonne foi et de ses difficultés financières.
Par un mémoire enregistré le 30 mai 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'arrêté de nomination de l'auteur de la décision n'avait pas à être joint à cette dernière ; cet arrêté a été régulièrement publié au journal officiel du 3 mai 2017 ;
- le délai d'un mois pour présenter des observations, prévu à l'article R. 8115-10 du code du travail ne trouvait pas à s'appliquer au regard de la nature de la sanction à prononcer ; la sanction a été notifiée plus de quinze jours après la réception du courrier préalable et le délai était suffisant ;
- le contradictoire a été respecté tout au long de la procédure ;
- la décision est motivée en fait et en droit ; elle n'avait notamment pas à mentionner la libre prestation de service au sein de l'Union européenne ni la relation de confiance entre le donneur d'ordre et son cocontractant ;
- le délai de prescription de deux ans prévus à l'article L. 1264-3 du code du travail a été respecté en l'espèce ;
- l'article 9§1 de la directive 2014/67/UE, qui a été transposée en droit français, prévoit explicitement la possibilité pour les États Membres de mettre en place une déclaration préalable au détachement, faculté qui a été mise en œuvre par tous les États Membres et admise par la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne ; la procédure est déclarative et ne relève pas d'un régime d'autorisation ; le droit communautaire n'a pas été méconnu ;
- en application de l'article L. 1262-4-1 du code du travail, le donneur d'ordre doit satisfaire à son obligation de vigilance en réceptionnant une copie de déclaration de détachement par le cocontractant, avant le début du détachement de chaque salarié ; la décision de sanction est fondée ;
- la société requérante ne peut se prévaloir de sa bonne foi, de son ignorance de ses obligations, ni de la circonstance que le cocontractant a reconnu les faits ;
- le manquement constaté a eu pour conséquence l'absence de prévention des risques, dès lors que l'inspection du travail n'était pas informée de la présence de travailleurs sur le site ; un accident grave est survenu, soit la chute d'un travailleur dans une tranchée ; le manquement constaté est grave notamment au regard des enjeux de protection des travailleurs, de lutte contre les fraudes et le travail illégal, et des risques professionnels, dans un secteur d'activité particulièrement exposé ; la sanction est proportionnée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ;
- la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (règlement " IMI ") ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société DetA Quality Solutions Oü, société de droit estonien, est intervenue en France en qualité de maître d'ouvrage d'un chantier de rénovation de chalets dans la commune de Champagny-en-Vanoise. Le 21 novembre 2017, les services de l'inspection du travail ont été informés par la gendarmerie de la survenue d'un accident du travail sur le chantier et ont diligenté un contrôle. La présence de huit personnes sur place, toutes de nationalité polonaise, a été constatée, dont six employées par la société de droit polonais Eurobud SC, temporairement détachées en France pour réaliser le chantier. Ce contrôle a permis de relever qu'aucun de ces salariés n'avait fait l'objet d'une déclaration de détachement ni d'une déclaration préalable à l'embauche auprès des organismes français de sécurité sociale et que l'entreprise polonaise n'avait pas désigné de représentant sur le territoire national. Le 20 février 2018, l'inspecteur du travail a transmis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) un rapport en vue de prononcer une sanction administrative à l'encontre à la fois de la société employeur, Eurobud SC, et de la société donneuse d'ordre, DetA Quality Solutions Oü. Le 18 octobre 2019, la DIRECCTE a informé cette dernière qu'une amende était envisagée à son encontre et le 15 novembre 2019, lui a infligé une amende administrative d'un montant de 12 000 euros. Le 5 mars 2020, la société DetA Quality Solutions Oü a formé un recours gracieux. Elle relève appel du jugement du 9 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 novembre 2019 et de celle rejetant implicitement son recours gracieux.
Sur la régularité de la sanction :
2. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter les moyens invoqués par la société requérante tenant à l'incompétence de l'auteur de la sanction litigieuse, alors d'ailleurs que l'arrêté de nomination de ce dernier, régulièrement publié au journal officiel de la République française, n'avait pas à être versé au dossier, et au caractère insuffisamment motivé de cette décision.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1263-3 du code du travail : " Lorsqu'un agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 constate un manquement grave, commis par un employeur établi hors de France qui détache des salariés sur le territoire national, à l'article L. 3131-1 relatif au repos quotidien, à l'article L. 3132-2 relatif au repos hebdomadaire, à l'article L. 3121-18 relatif à la durée quotidienne maximale de travail ou à l'article L. 3121-20 relatif à la durée hebdomadaire maximale de travail, constate le non-paiement total ou partiel du salaire minimum légal ou conventionnel, constate un manquement de l'employeur ou de son représentant à l'obligation mentionnée à l'article L. 1263-7 en vue du contrôle du respect des dispositions des articles L. 3231-2, L. 3131-1, L. 3132-2, L. 3121-18 et L. 3121-20 du présent code, constate des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine sanctionnées à l'article 225-14 du code pénal ou constate que l'employeur qui s'est vu notifier l'une des amendes administratives prévues aux articles L. 1263-6, L. 1264-1, L. 1264-2 ou L. 8115-1 du présent code ne s'est pas acquitté du paiement des sommes dues, il enjoint par écrit à cet employeur de faire cesser la situation dans un délai fixé par décret en Conseil d'État. /Il en informe, dans les plus brefs délais, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre de l'employeur concerné. /Le fait pour l'employeur d'avoir communiqué à l'agent de contrôle des informations délibérément erronées constitue un manquement grave au sens du premier alinéa. (...) ".
4. La sanction dont a fait l'objet la société requérante a été prise sur le fondement de l'article L. 1262-4-1 du code du travail, pour défaut de vigilance à l'égard de la société cocontractante quant à la déclaration préalable de détachement de ses salariés. Cette situation n'entre dans aucun des cas prévus par les dispositions précitées, au regard desquelles l'agent de contrôle doit informer " dans les plus brefs délais " le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage. Par suite, la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'un vice de procédure tiré de la violation de ces dispositions.
5. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'une lettre a été adressée à la société requérante le 29 décembre 2017 rappelant l'obligation de vigilance de la société à l'égard de sa société cocontractante et l'informant de l'éventualité d'une sanction. Il résulte du rapport de l'inspecteur du travail que ce courrier a été envoyé à l'adresse postale de la société en Estonie, doublé d'un courriel. Si la société soutient ne pas avoir reçu l'envoi postal et que l'adresse mail ne correspondrait pas à une adresse interne de l'entreprise, il apparaît toutefois que, depuis cette même adresse mail, l'administration a reçu une réponse le 22 janvier 2018 de M. B..., qui comportait en pièces jointes une lettre du 18 janvier 2018 émanant de la personne accidentée sur le chantier, et un courrier du 19 janvier 2018 du gérant de l'entreprise Eurobud. La société ne peut sérieusement soutenir que cette réponse n'aurait pas émané de ses services et que l'auteur de ce mail n'aurait pas compté parmi ses effectifs. Rien ne permet ainsi de dire que la société requérante, contrairement à ce qu'elle soutient, n'aurait pas été informée de la procédure suivie et de la perspective éventuelle d'une sanction, alors d'ailleurs que le rapport de l'inspecteur du travail, s'il indique une absence d'observations quant à son comportement, précise bien qu'elle a manqué à son obligation de vigilance et qu'elle est passible d'une sanction pour ce motif.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 8115-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l'intéressé par l'intermédiaire du représentant de l'employeur mentionné au II de l'article L. 1262-2-1 ou, à défaut, directement à l'employeur, le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / A l'expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l'intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant. / L'indication de l'amende envisagée et la notification de la décision infligeant l'amende sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ". Aux termes de l'article R. 8115-10 du même code : " Par dérogation à l'article R. 8115-2, lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative sur le fondement des articles L. 4751-1 à L. 4754-1 et L. 8115-1 à L. 8115-8, il invite l'intéressé à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / Ce délai peut être prorogé d'un mois à la demande de l'intéressé, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient ".
7. Il résulte de ces dispositions que la personne contre laquelle une sanction est envisagée dispose d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations, à l'exception des sanctions relatives à la santé et à la sécurité au travail ainsi qu'à la durée du temps de travail et de repos ainsi qu'à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et à la détermination du salaire minimum de croissance, pour lesquelles ce délai est d'un mois.
8. D'une part, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que, par courrier électronique du 18 octobre 2019, adressé à la gérante de la société, Mme A..., et à la société DetA Quality Solutions Oü directement, le directeur régional a fait parvenir à cette dernière une lettre l'informant qu'une amende était envisagée pour défaut de vigilance et lui a demandé de présenter ses observations dans un délai de quinze jours. Cette société soutient que ce délai de quinze jours aurait été déraisonnable, notamment au regard de la nécessité de traduire les documents transmis. Il résulte toutefois du courriel rédigé en anglais que la gérante de la société a adressé le 31 octobre 2019, auquel l'administration n'avait pas à répondre, que la société s'est bornée à indiquer qu'elle reviendrait dans quelques jours devant l'administration pour proposer un rendez-vous mais sans solliciter de délai supplémentaire. Il apparaît par ailleurs que l'administration n'a pris sa décision que le 19 novembre 2019, soit plus de quinze jours après la notification du courrier d'information alors, au demeurant, que les dispositions précitées ne prévoient aucune prorogation du délai. La société qui, ainsi qu'il a été précisé au point 5, doit être regardée comme ayant été informée dès le 29 décembre 2018 qu'elle était passible d'une sanction, ne peut se prévaloir sur ce point d'une précipitation de l'administration par le seul motif que la date d'échéance de la prescription pour prononcer l'amende était proche.
9. D'autre part, la sanction en litige étant relative aux règles applicables aux salariés détachés temporairement par une entreprise non établie en France, la société disposait d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations. Dès lors, la société requérante ne peut utilement se prévaloir du délai dérogatoire d'un mois prévu par les dispositions de l'article R. 8115-10 du code du travail qui ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce ni davantage, à propos de la procédure, de l'article L. 8115-4 de ce code relatif au choix de la sanction par l'autorité administrative. Par suite, le moyen tiré de ce qu'un délai d'un mois aurait dû lui être laissé pour présenter ses observations ne peut qu'être écarté.
10. Dans ces circonstances, la société DetA Quality Solutions Oü n'est pas fondée à soutenir que l'administration n'aurait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure.
Sur le bien-fondé de la sanction :
11. Aux termes de l'article L. 1262-4-1 du code du travail : " I.- Le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration. / Les conditions dans lesquelles le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu de transmettre, par voie dématérialisée, la déclaration mentionnée au deuxième alinéa du présent I sont fixées par décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1264-2 du même code : " I.- Le maître d'ouvrage (...) est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3 : / 1° En cas de méconnaissance d'une des obligations mentionnées au I de l'article L. 1262-4-1, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262 -2-1 ; / (...) / ". Aux termes de l'article L. 1264-3 de ce code : " L'amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5. / Le montant de l'amende est d'au plus 4 000 € par salarié détaché (...). Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. / Le délai de prescription de l'action de l'administration pour la sanction du manquement par une amende administrative est de deux années révolues à compter du jour où le manquement a été commis. / L'employeur, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre peut contester la décision de l'administration devant le tribunal administratif, à l'exclusion de tout recours hiérarchique. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 1263-12 dudit code, en vigueur à la date du manquement constaté : " Le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : / a) Une copie de la déclaration de détachement effectuée sur le télé-service "SIPSI" du ministère chargé du travail, conformément aux articles R. 1263-5 et R. 1263-7 ; / b) Une copie du document désignant le représentant mentionné à l'article R. 1263-2-1 . / Le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".
12. Il résulte de ces dispositions combinées que l'obligation de vigilance mise à la charge du donneur d'ordre n'excède pas la vérification, avant début du détachement, de ce que le prestataire étranger s'est formellement acquitté de la communication à l'administration de la déclaration de détachement des salariés et de la désignation de son représentant en France. Le manquement à l'obligation de vigilance du donneur d'ordre est constitutif d'une seule incrimination qui ne saurait se dédoubler en fonction du nombre de documents non communiqués et n'est passible, par opération, que d'une seule amende dont le tarif unitaire ne peut être multiplié que par le nombre de salariés. Enfin, la matérialité du manquement est constituée au début de l'opération et, réserve faite du tarif unitaire qui doit tenir compte du comportement de l'entreprise, l'amende peut être prononcée alors même qu'une régularisation a été recherchée au cours de l'opération.
13. En premier lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) ". Aux termes de l'article 9, relatif aux exigences administratives et mesures de contrôles, de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur : " 1. Les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive 96/71/CE, pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l'Union. / À cet effet, les États membres peuvent notamment imposer les mesures suivantes : / a) l'obligation, pour un prestataire de services établi dans un autre État membre, de procéder à une simple déclaration auprès des autorités nationales compétentes, au plus tard au début de la prestation de services (...), contenant les informations nécessaires pour permettre des contrôles factuels sur le lieu de travail (...) / (...) / e) l'obligation de désigner une personne chargée d'assurer la liaison avec les autorités compétentes dans l'État membre d'accueil dans lequel les services sont fournis (...) / (...) / 2. Les États membres peuvent imposer d'autres exigences administratives et mesures de contrôle au cas où surviendraient des circonstances ou des éléments nouveaux dont il ressortirait que les exigences administratives et mesures de contrôle qui existent ne sont pas suffisantes ou efficaces pour permettre le contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive 96/71/CE et la présente directive, pour autant qu'elles soient justifiées et proportionnées. / (...) ". Aux termes de l'article 12 de la même directive, relatif à la responsabilité du sous-traitant : " 1. En vue de combattre les fraudes et les abus, les États membres peuvent, après avoir consulté les partenaires sociaux concernés conformément au droit et/ou aux pratiques nationales, prendre des mesures complémentaires de façon non discriminatoire et proportionnée afin que, dans les chaînes de sous-traitance, le contractant dont l'employeur/le prestataire de services relevant de l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 96/71/CE est un sous-traitant direct puisse, en sus ou en lieu et place de l'employeur, être tenu responsable par le travailleur détaché pour ce qui concerne toute rémunération nette impayée correspondant aux taux de salaire minimal et/ou à des cotisations à des fonds ou institutions gérés conjointement par les partenaires sociaux dans la mesure où ceux-ci relèvent de l'article 3 de la directive 96/71/CE. / 2. En ce qui concerne les activités visées à l'annexe de la directive 96/71/CE, les États membres mettent en place des mesures garantissant que, dans les chaînes de sous-traitance, le contractant dont l'employeur est un sous-traitant direct puisse, en sus ou en lieu et place de l'employeur, être tenu responsable par le travailleur détaché du respect des droits des travailleurs détachés visés au paragraphe 1 du présent article. / (...) / 4. Les États membres peuvent, dans le respect du droit de l'Union et de manière non discriminatoire et proportionnée, également prévoir des règles plus strictes en matière de responsabilité dans le droit national en ce qui concerne l'étendue et la portée de la responsabilité en cas de sous-traitance. Les États membres peuvent également, dans le respect du droit de l'Union, prévoir cette responsabilité dans des secteurs autres que ceux visés à l'annexe de la directive 96/71/CE. / (...) ". Enfin, l'annexe directive 96/71/CE définit les activités de construction et de travaux.
14. La société appelante soutient qu'au regard du droit de l'Union, portent atteinte à la libre prestation de service, les dispositions de l'article L. 1262-4-1, insérées dans le code du travail par la loi du 10 juillet 2014, et celles de l'article R. 1263-12 du même code, relatives à l'obligation pour le donneur d'ordre ou maître d'ouvrage, qui contracte avec un prestataire de services procédant au détachement de salariés, de vérifier auprès de ce dernier qu'il s'est acquitté des obligations prévues par l'article L. 1262-2-1 du même code d'adresser à l'administration une déclaration préalable au détachement et de désigner un représentant de l'entreprise sur le territoire national chargé d'assurer pendant la durée de la prestation la liaison avec les agents de contrôle, cette vérification devant intervenir, selon les termes de l'article L. 1262-4-1, avant le début du détachement et, selon ceux de l'article R. 1263-12, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés.
15. Toutefois, si une réglementation nationale, imposant aux destinataires de contrôler, avant le début d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés par un employeur établi dans un autre État membre que ce dernier a lui-même satisfait à l'obligation déclarative qui lui est également imposée par la réglementation nationale, constitue une restriction à la libre prestation des services prohibée en principe par l'article 56 précité du Traité, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que les objectifs de protection des travailleurs détachés et de lutte contre la fraude sont au nombre des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de la justifier, et que, constituant une mesure de contrôle nécessaire au respect de ces raisons impérieuses d'intérêt général, une telle réglementation est propre à garantir la réalisation de ces objectifs.
16. Ainsi, les dispositions précitées des articles L. 1262-2-1 et L. 1262-4-1 du code du travail qui imposent que la vérification instituée soit opérée avant le début de chaque détachement ne méconnaissent, compte tenu des objectifs de protection des travailleurs détachés et de lutte contre la fraude, ni l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni la directive du 16 décembre 1996, et ne sont pas de nature à compromettre sérieusement la réalisation des objectifs de la directive du 15 mai 2014.
17. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées que l'obligation de vigilance instaurée porte sur le maître de l'ouvrage, de sorte que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que seule la société employant les salariés détachés pouvait faire l'objet d'une sanction. Si la société Eurobud a rédigé un courrier selon lequel elle assume son entière responsabilité quant aux manquements constatés, une telle circonstance est à cet égard sans incidence, cette reconnaissance n'ayant pas pour effet d'exonérer le maître d'ouvrage de ses propres manquements.
18. En troisième lieu, si la société requérante produit une déclaration préalable de détachement du 17 juillet 2018 et se prévaut de sa bonne foi, il apparaît cependant que ce document a été établi postérieurement à la transmission en février 2018 du procès-verbal par l'inspecteur du travail au directeur régional et de la lettre d'observations du 29 décembre 2017 à la société requérante. Cette dernière ne saurait donc soutenir que, dès lors qu'elle a été avertie de ses obligations, elle a aidé la société prestataire à régulariser sa situation. En outre, cette déclaration porte sur le détachement de salariés différents de ceux employés dans le cadre de la sanction litigieuse.
19. En dernier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1264-3 du code du travail que le montant de l'amende est au maximum de 4 000 euros par salarié détaché, la sanction ne pouvant pas dépasser un montant total de 500 000 euros. En l'espèce, lors des opérations de contrôle sur place, l'inspecteur du travail a constaté que la société Eurobud n'ayant pas déclaré le détachement de six salariés ni désigné de représentant sur le territoire français, la société DetA Quality Solutions Oü avait méconnu son obligation de vigilance en négligeant de s'assurer que sa prestataire avait rempli ses obligations auprès de l'administration française ou de déclarer elle-même le détachement dans les quarante-huit heures ayant précédé le début de l'opération. Ce contrôle a fait suite à un grave accident du travail ayant eu lieu sur le chantier, alors que l'inspecteur a été privé de la présence d'un interlocuteur officiel permettant d'assurer la liaison avec les agents de contrôle et que les documents obligatoires n'ont pu être présentés par le cocontractant. Compte tenu du manquement ainsi reproché à la société requérante qui a fait obstacle au contrôle de l'administration en ne procédant pas aux vérifications précitées mises à sa charge, le prononcé d'une amende au tarif unitaire de 2 000 euros par salarié concerné, inférieur de 50 % au plafond prévu par les dispositions précitées, soit une sanction d'un montant global de 12 000 euros, n'apparaît pas disproportionné à la gravité du manquement. Par ailleurs, si les travaux n'ont pas été terminés, une telle circonstance, faute pour la société requérante des préciser en particulier le montant des difficultés financières auxquelles elle s'est trouvée confrontée ainsi que son chiffre d'affaires, ne saurait suffire à justifier une remise. La sanction n'apparaît donc pas infondée dans son principe comme dans son montant.
20. Il résulte de ce qui précède que la société DetA Quality Solutions Oü n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société DetA Quality Solutions Oü est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société DetA Quality Solutions Oü et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.
La rapporteure,
I. Boffy
Le président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY00960
kc