Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 4 novembre 2021 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie a refusé de lui accorder une décharge de responsabilité solidaire sur le fondement de l'article 1691 bis II du code général des impôts, d'ordonner la décharge des impositions solidaires et des pénalités mises à sa charge et, à titre subsidiaire, de dire que l'administration aurait dû se prononcer sur la demande de remise gracieuse qu'elle a présentée et de reconnaître que les conditions de gêne et d'indigence sont réunies et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 décembre 2021 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de Haute-Savoie a refusé de lui accorder, sur le fondement de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, la remise gracieuse des impositions mises à sa charge et d'ordonner la décharge des impositions et des pénalités auxquelles elle a été assujettie.
Par un jugement n° 2108742, 2201248 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 28 décembre 2021 du directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie portant rejet de la demande de remise gracieuse (article 1er), a rejeté le surplus de la demande n° 2201248 (article 2) et a rejeté la demande n° 2108742 (article 3).
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 juin 2023, le 3 janvier 2024 et le 21 octobre 2024, Mme C... D..., représentée par Me De Mellis, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de prendre acte de la décision du ministre chargé du budget et des comptes du 8 octobre 2024 prise en cours d'instance en application de l'article 1691 bis II du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi 2024-494 du 31 mai 2024 portant sur un montant de 1 422 822,11 euros ;
2°) de prononcer, en vertu du IV de l'article 1691 bis II du code général des impôts, la restitution de la somme de 220 289 euros, assortie de l'intérêt au taux légal ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 6 000 euros en réparation du préjudice moral et une indemnité de 40 374 euros en réparation du préjudice économique qu'elle soutient avoir subis.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle prend acte de la décharge de responsabilité solidaire en sa faveur prononcée par la décision du 8 octobre 2024 ;
- en vertu de l'article 1691 bis II du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi 2024-494 du 31 mai 2024 et des prises de position ministérielles en séances du 20 mars 2024 au Sénat et du 23 mai 2024 à l'Assemblée nationale, il y a lieu de lui restituer la quote-part du bien immobilier saisi ayant fait l'objet d'un jugement d'adjudication du 23 juin 2022, qu'elle possédait à hauteur de 51,23 % avec son époux et qui a été vendu aux enchères pour la somme de 430 000 euros, soit une somme de 220 289 euros ;
- l'administration ayant commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, elle est en droit de demander la réparation des préjudices moral et économique pour un montant total de 46 374 euros.
Par des mémoires enregistrés le 30 octobre 2023, le 11 janvier 2024, le 13 février 2024, le 14 octobre 2024 et le 25 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au non-lieu à statuer à concurrence du montant de 1 429 337,34 euros visé par la décision du 8 octobre 2024 ;
2°) au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- par une décision du 8 octobre 2024, il a été fait droit à la demande de décharge de responsabilité de paiement présentée par Mme D..., sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article 1691 bis du code général des impôts et de l'article L. 247 du livre procédures fiscales issues de la loi 2024-494 du 31 mai 2024, applicables aux litiges en cours, de sorte que l'appel se trouve privé d'objet ;
- elle n'est pas fondée à demander la restitution de la somme de 220 289 euros dès lors que les sommes recouvrées pour apurer les dettes fiscales de son ancien foyer fiscal ont été obtenues au terme d'une procédure de saisie initiée avant la rupture et qu'elles ne doivent pas donner lieu à restitution ;
- comme le prévoit le IV de l'article 1691 bis du code général des impôts, la date à compter de laquelle les versements opérés sont susceptibles de remboursement est celle de la rupture de la vie commune ;
- la position ministérielle dont elle se prévaut est inopérante dès lors qu'elle ne vise que les biens reçus en héritage et non les donations entre vifs ;
- le montant de la demande de restitution ne saurait excéder, au demeurant, la somme de 185 155,43 euros ;
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables pour défaut de réclamation préalable et en tant que conclusions nouvelles en appel.
Par une ordonnance du 15 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2024.
Par un courrier en date du 23 mai 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré l'irrecevabilité de celles des conclusions de la requête de Mme D..., présentées sur le fondement du IV de l'article 1691 bis II du code général des impôts, aux fins de restitution de la somme recouvrée de 220 289 euros, qui soulèvent un litige distinct de celui soumis aux premiers juges et ayant fait l'objet de sa réclamation préalable du 30 décembre 2020, et qui sont nouvelles en appel.
Par un mémoire enregistré le 26 mai 2025, le ministre chargé du budget a présenté des observations en réponse à ce moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président assesseur,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... et Mme D... étaient redevables, au titre des années 2008 à 2016 au cours desquelles ils étaient mariés et soumis à une imposition commune, d'impositions et de pénalités d'un montant total de 1 699 835 euros, dont 1 363 760 euros pour l'impôt sur le revenu et 336 075 euros pour les contributions sociales. Par une ordonnance de non-conciliation du 10 octobre 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Annecy a constaté la résidence séparée des époux depuis la fin juin 2019. Le 30 décembre 2020, Mme D... a sollicité la décharge de son obligation solidaire de paiement des impositions et pénalités établies au nom du foyer fiscal, pour leur montant total de 1 699 835,69 euros, sur le fondement du II de l'article 1691 bis du code général des impôts, et, subsidiairement, a demandé la remise gracieuse de ces impositions et pénalités sur le fondement du III du même article. Sa demande de décharge de l'obligation solidaire a été rejetée par une décision du directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie du 4 novembre 2021. Sa demande de remise gracieuse a également donné lieu à une décision de rejet du 28 décembre 2021. Par un jugement n° 2108742, 2201248 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les demandes d'annulation de ces décisions dont l'avait saisi Mme D..., a annulé, pour incompétence, la décision du 28 décembre 2021 portant rejet de sa demande de remise gracieuse et a rejeté le surplus des conclusions de l'intéressée. Celle-ci a relevé appel de ce jugement par une requête enregistrée au greffe de la cour le 23 juin 2023. Par une décision du 10 octobre 2024, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre chargé du budget a accordé à Mme Sergent-B..., sur le fondement du 7ème alinéa de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, la décharge de son obligation solidaire de paiement des impositions et pénalités d'un montant de 1 429 337,34 euros établies au titre des années 2008 à 2017. Dans le dernier état de ses écritures, eu égard à la teneur de ses conclusions et de ses moyens, Mme D..., qui déclare prendre acte de cette décision de décharge lui donnant satisfaction et ne conteste plus le rejet, par le jugement attaqué, de sa demande de décharge de responsabilité solidaire en tant qu'elle concerne les prélèvements sociaux d'un montant de 336 075 euros dus au titre des années 2011 à 2014, qui ne relèvent pas de l'article 1691 bis I du code général des impôts, demande à la cour, d'une part, de lui accorder, sur le fondement du IV de l'article 1691 bis II du code général des impôts, la restitution d'une somme de 220 289 euros correspondant au prix de vente sur adjudication du 6 juillet 2022 d'un appartement après saisie-immobilière du 18 janvier 2018 recouvrée par l'administration fiscale, assortie de l'intérêt au taux légal, et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 46 374 euros en réparation des préjudices qu'elle soutient avoir subi du fait de fautes commises par l'administration.
Sur l'étendue du litige :
2. En ce qui concerne les impositions dues en litige au titre de l'impôt sur le revenu des années 2008 à 2017 pour un montant de 1 429 337,34 euros à la date de la séparation du couple intervenue le 10 octobre 2019, par une décision du 8 octobre 2024, postérieure à l'introduction de la requête d'appel, le ministre chargé du budget, sur le fondement du 7ème alinéa de l'article L. 247 du livre des procédures fiscale, d'une part, a déchargé Mme D... de son obligation de paiement pour un montant de 1 387 692,86 euros, majorations de recouvrement incluses, correspondant à la quote-part d'impôt portant sur les revenus de M. B... au titre de cette période, et d'autre part, a déchargé Mme D... de son obligation de paiement de sa quote-part qui restait due, pour un montant de 41 644 ,48 euros et a décidé qu'elle ne serait plus recherchée en paiement des impositions visées dans cette décision. Par suite, les conclusions de la requête de l'appelante sont, dans la mesure de ces montants, devenues sans objet.
Sur le surplus des conclusions de la requête d'appel :
3. Aux termes de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 : " L'administration peut accorder sur la demande du contribuable :1° Des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence; 2° Des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives; 2° bis Des remises totales ou partielles des frais de poursuites mentionnés à l'article 1912 du code général des impôts et des intérêts moratoires prévus à l'article L. 209 du présent livre ; 3° Par voie de transaction, une atténuation d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent ne sont pas définitives. Les dispositions des 2° et 3° sont le cas échéant applicables s'agissant des sommes dues au titre de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 du code général des impôts. L'administration peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d'impositions dues par un tiers. Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d'impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l'article 1691 bis du même code. ". Aux termes de l'article 1691 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 : " I. Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont tenus solidairement au paiement : / 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune ; / 2° De la taxe d'habitation lorsqu'ils vivent sous le même toit. / II. - 1. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues au I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B lorsque, à la date de la demande : (...) / c) Les intéressés ont été autorisés à avoir des résidences séparées ; (...) ; / 2. La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. (...) / 3. Le bénéfice de la décharge de l'obligation de paiement est subordonné au respect des obligations déclaratives du demandeur prévues par les articles 170 et 885 W à compter de la date de la fin de la période d'imposition commune. / La décharge de l'obligation de paiement ne peut pas être accordée lorsque le demandeur et son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité se sont frauduleusement soustraits, ou ont tenté de se soustraire frauduleusement, au paiement des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B, soit en organisant leur insolvabilité, soit en faisant obstacle, par d'autres manœuvres, au paiement de l'impôt. III. - Les personnes en situation de gêne et d'indigence qui ont été déchargées de l'obligation de paiement d'une fraction des impôts, conformément au II, peuvent demander à l'administration de leur accorder une remise totale ou partielle de la fraction des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I restant à leur charge. Pour l'application de ces dispositions, la situation de gêne et d'indigence s'apprécie au regard de la seule situation de la personne divorcée ou séparée à la date de demande de remise. IV. - L'application des II et III peut donner lieu à restitution des sommes recouvrées à compter de l'un des événements mentionnés aux a à d du 1 du II. ".
4. En premier lieu, les conclusions de la requête de Mme D..., sur le fondement du IV de l'article 1691 bis II du code général des impôts issu de la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024, tendant à la restitution de la somme de 220 289 euros, correspondant au montant du prix de vente par adjudication d'un appartement après saisie-immobilière recouvré par l'administration fiscale, soulèvent un litige distinct de celui soumis aux premiers juges ayant fait l'objet de sa réclamation du 30 décembre 2020 devant l'administration fiscale. Dès lors, ces conclusions, présentées pour la première fois dans son mémoire enregistré au greffe de la cour le 21 octobre 2024, sont nouvelles en appel et ne peuvent être que rejetées comme irrecevables.
5. En second lieu, les conclusions indemnitaires de l'appelante tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, résultant de la faute qu'aurait commise l'administration fiscale, présentées pour la première fois devant la cour, qui au demeurant n'ont pas été précédées d'une demande préalable indemnitaire, sont également nouvelles en appel. Par suite, le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que ces conclusions sont irrecevables.
Sur les frais liés au litige :
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la partie appelante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : A concurrence de 1 429 337,34 euros, il n'y pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme D... aux fins de décharge de sa responsabilité solidaire pour le paiement des impositions.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 12 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY02091