Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 29 avril 2024 par lesquelles la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de sept ans, et d'enjoindre à la préfète de l'Ain ou tout autre préfet qui deviendrait territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2405223 du 26 juin 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 29 avril 2024 par laquelle la préfète de l'Ain a fait interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pendant sept ans, a enjoint à la préfète de l'Ain de faire procéder à l'effacement du signalement aux fins de non-admission dans l'espace Schengen et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 26 juin 2024, en tant qu'il porte sur les décisions par lesquelles la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office ;
2°) d'annuler ces mêmes décisions du 29 avril 2024 de la préfète de l'Ain ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
La décision portant obligation de quitter le territoire français :
- est entachée d'un défaut de motivation, d'un vice de procédure et d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- est illégale dès lors que la loi du 26 janvier 2024 supprimant les protections instituées par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ayant une portée rétroactive, méconnaît les stipulations de l'article 1 du protocole additionnel n°7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- est entachée d'un défaut de base légale, dès lors qu'elle ne peut être légalement fondée sur le 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il peut se voir délivrer de plein droit un titre de séjour sur le fondement des stipulations de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La décision le privant de tout délai de départ volontaire :
- est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- est entachée d'un défaut d'examen préalable réel et sérieux de sa situation ;
- est entachée d'une erreur de droit et de fait dans l'application de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- est entachée d'une erreur de fait et de droit quant à l'appréciation de la menace à l'ordre public ;
- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La décision fixant le pays de destination :
- est illégale du fait de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2025, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né en 1978, est entré en France en 1985 au terme d'une procédure de regroupement familial. Incarcéré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, il a fait l'objet d'un arrêté du 29 avril 2024, par lequel la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de sept ans. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé la décision portant interdiction de retour et a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation des autres décisions de cet arrêté. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il concerne les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire sans délai et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, ainsi que le premier juge l'a relevé par une motivation suffisamment étayée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de l'Ain, qui a fait mention des éléments de la vie privée du requérant et de sa situation administrative fondant la décision en litige, n'aurait pas procédé à un examen préalable réel et sérieux de sa situation personnelle, y compris au regard de la vérification préalable de son droit au séjour. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est entachée ni d'une insuffisante motivation, ni d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle.
3. En deuxième lieu, d'une part, les nouvelles dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issues de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, y compris même en ce qu'elles suppriment les protections antérieurement prévues contre l'éloignement de certaines catégories d'étrangers, n'entrent pas dans le champ de la loi pénale. Par suite, le moyen tiré de l'inconventionnalité de ces dispositions au regard de l'article premier du protocole additionnel n°7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
4. D'autre part, sauf dispositions expresses contraires, il appartient à l'autorité administrative de statuer sur la situation des étrangers en faisant application des textes en vigueur à la date de sa décision. Ainsi, la préfète de l'Ain devait se prononcer sur l'éloignement de M. A... au regard des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date du 29 avril 2024, au vu notamment des protections dont il était susceptible de bénéficier. Par suite, M. A... ne peut utilement faire valoir que sa situation était constituée avant l'intervention de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, qui a abrogé l'interdiction de faire obligation de quitter le territoire français à un étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans, ni se prévaloir d'une telle interdiction, ni encore de la circonstance que la préfète de l'Ain ne pouvait statuer au regard des faits commis par lui avant l'entrée en vigueur de cette loi. Dans ces conditions, contrairement à ce que fait valoir M. A..., la décision portant obligation de quitter le territoire ne méconnaît pas le principe de " non rétroactivité " et n'est pas entachée d'une erreur de droit.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné à vingt-cinq reprises depuis 1999 à des peines d'emprisonnement pour une durée cumulée de vingt-quatre années, notamment pour des faits de violences aggravées, extorsion par violence, vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale supérieure à huit jours, dégradation d'un bien par un moyen dangereux pour les personnes, recel, participation à une association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, usurpation d'identité, outrage à personne dépositaire de l'autorité publique, récidive d'importation non déclarée de marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publique, harcèlement d'une personne suivi d'incapacité et propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet la dégradation des conditions de vie altérant la santé, conduite sans permis, conduite sous l'empire d'un état alcoolique et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et délits routiers. Sa dernière condamnation intervenue au cours de l'année 2022, à une peine de quatre années d'emprisonnement, se rapporte à des faits d'extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, valeur ou bien et participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit. Compte tenu du nombre et de la nature des infractions commises par l'intéressé, la préfète de l'Ain a pu à bon droit estimer que son comportement représentait une menace pour l'ordre public. Par ailleurs, le requérant ne conteste pas qu'il n'était plus en situation régulière depuis le 29 juillet 2021. Par suite, c'est sans erreur de droit que la préfète a fondé sa décision sur les dispositions du 5° de l'article L. 611-1 du code précité selon lesquelles l'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsque le " comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ".
6. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien : (...) / d) Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7 : (...) les ressortissants tunisiens qui justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de dix ans (...) ". Aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".
7. L'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. L'accord franco-tunisien renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Il en va ainsi de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui subordonne la délivrance de la carte de séjour temporaire à l'absence de menace pour l'ordre public. Par suite, contrairement à ce que M. A... persiste à soutenir en appel, les dispositions de cet article sont applicables aux ressortissants tunisiens. Ainsi, si l'accord franco-tunisien ne subordonne pas la délivrance d'un titre de séjour à un ressortissant tunisien à la condition que l'intéressé ne constitue pas une menace pour l'ordre public, il ne prive toutefois pas l'administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour en se fondant sur des motifs tenant à l'ordre public.
8. Pour les motifs exposés au point 5 tenant à la menace à l'ordre public que son comportement représente, M. A... ne peut pas prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien. Par suite, le moyen tiré de l'erreur que la préfète de l'Ain aurait commise sur ce point en l'obligeant à quitter le territoire français doit être écarté.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Selon l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Ainsi que le premier juge l'a retenu, s'il ressort des pièces du dossier que M. A... est arrivé en France en 1985 à l'âge de sept ans et justifie ainsi d'une durée de séjour sur le territoire de trente-neuf années, de la présence en France de ses parents, ses deux sœurs et ses deux frères, et qu'il est le père de quatre enfants, dont trois mineurs nés en 2011, 2014 et 2018, il ne démontre pas, par la production de témoignages insuffisamment circonstanciés, avoir préalablement à son incarcération, contribué à l'entretien et à l'éducation de ces enfants. Il ressort en outre du jugement du tribunal judiciaire de Saint-Etienne du 1er août 2023 que l'autorité parentale sur les enfants de M. A... est exercée exclusivement par la mère, et que leur résidence habituelle est fixée au domicile maternel. Si le requérant fait état également d'une relation de concubinage avec une ressortissante française, cette circonstance est récente et son intensité n'est pas démontrée. Eu égard à la nature et à la gravité des faits de délinquance commis par M. A... et, compte tenu de la répétition de ces faits qui n'a été interrompue que par son incarcération, au caractère actuel de la menace pour l'ordre public que constitue dès lors son comportement, la préfète n'a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en dépit de l'ancienneté de son séjour et de l'importance de ses attaches en France. Le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne précitée doit donc être écarté. Il en va de même et pour les mêmes motifs du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle. La décision en litige ne méconnaît pas davantage, au regard des liens qu'entretient le requérant avec ses enfants dont ni la nature ni l'intensité ne sont précisées, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits des enfants.
En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :
11. Il convient d'adopter les motifs, qui n'ont pas fait l'objet d'une critique utile en appel, par lesquels le premier juge a écarté, aux points 11 à 15 du jugement attaqué, l'ensemble des moyens dirigés contre cette décision, tirés de l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, de l'absence d'examen préalable, réel et sérieux de la situation de M. A..., d'une erreur de droit et de fait dans l'application de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'erreur de fait et de droit quant à l'appréciation de la menace pour l'ordre public, ainsi que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cet acte sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité, le moyen invoqué par la voie de l'exception à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation doivent par suite être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction qu'il a présentées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Noémie Lecouey
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
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N° 24LY02093