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11/06/2025 | FRANCE | N°24LY00296

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 11 juin 2025, 24LY00296


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La société Sogedo a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler le titre exécutoire émis le 11 janvier 2022 par lequel l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a mis à sa charge la somme de 77 300 euros correspondant à la majoration de 10 % pour défaut de paiement de la redevance pour la modernisation des réseaux de collecte, de prononcer, en conséquence, la décharge de l'obligation de payer cette somme, et d'enjoindre à l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse de

lui restituer la somme de 77 300 euros qu'elle a conservée par compensation, assortie des i...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Sogedo a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler le titre exécutoire émis le 11 janvier 2022 par lequel l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a mis à sa charge la somme de 77 300 euros correspondant à la majoration de 10 % pour défaut de paiement de la redevance pour la modernisation des réseaux de collecte, de prononcer, en conséquence, la décharge de l'obligation de payer cette somme, et d'enjoindre à l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse de lui restituer la somme de 77 300 euros qu'elle a conservée par compensation, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 2204833 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 5 février 2024, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 16 octobre et 4 novembre 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Sogedo, représentée par Me Rey, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 décembre 2023 ;

2°) d'annuler le titre exécutoire du 11 janvier 2022 de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse ;

3°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 77 300 euros mise à sa charge par ce titre ;

4°) d'enjoindre à l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse de lui restituer ladite somme ;

5°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande était recevable ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la compensation irrégulière opérée par l'agence de l'eau ;

- aucune majoration pour défaut de paiement ne peut être mise à sa charge dès lors qu'elle n'a pas été destinataire d'un ordre de recouvrer exécutoire avant la date limite de paiement de la redevance pour modernisation des réseaux de collecte ;

- l'agence a opéré une compensation irrégulière.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 16 septembre et 27 octobre 2024, l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, représentée par Me Léron, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Sogedo en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, faute de réclamation préalable conforme aux dispositions de l'article L. 213-11-9 du code de l'environnement ;

- à titre subsidiaire, le moyen soulevé n'est pas susceptible de prospérer.

Par une ordonnance du 16 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,

- les observations de Me Halpern, représentant la société Sogedo, et celles de Me Léron, représentant l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse.

Une note en délibéré, enregistrée le 27 mai 2025, a été présentée pour l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse.

Considérant ce qui suit :

1. La société Sogedo a été destinataire d'un ordre de recouvrer la somme de 77 300 euros émis le 11 janvier 2022 par l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse au titre d'une majoration pour défaut de paiement de la redevance pour modernisation des réseaux de collecte. La société Sogedo relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre et à la décharge de l'obligation de payer le montant précité.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article L. 213-11-9 du code de l'environnement alors applicable : " Le contribuable qui conteste tout ou partie des redevances mises à sa charge doit, préalablement à tout recours contentieux, adresser une réclamation au directeur de l'agence ". Aux termes de l'article L. 213-11-11 du même code : " L'agence peut accorder des remises totales ou partielles de redevances, majorations et intérêts de retard soit sur demande du contribuable, selon les modalités prévues à l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, soit sur demande du mandataire judiciaire pour les entreprises soumises à la procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaire. / L'agent comptable peut accorder des remises totales ou partielles des majorations pour retard de paiement et des frais de poursuites, selon les mêmes modalités. Ces remises sont consenties après accord de l'organe délibérant lorsqu'elles sont d'un montant supérieur à un seuil déterminé par ce dernier. ".

3. Il résulte de l'instruction que la société Sogedo a adressé à l'agent comptable de l'agence de l'eau, par un courrier du 7 février 2022, une réclamation portant sur la majoration de 10 % à laquelle elle avait été assujettie, en en sollicitant la remise totale. Contrairement à ce que l'agence de l'eau soutient, cette réclamation dont l'objet est non de contester le bien-fondé de la redevance mais d'obtenir la remise de la majoration de 10 % qui lui a été appliquée, entre dans le champ des dispositions de l'article L. 213-11-11 du code de l'environnement. Dans ces conditions, alors d'ailleurs que l'agent comptable a apporté une réponse à cette réclamation, la fin de non-recevoir opposée par l'agence de l'eau doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 213-10 du code de l'environnement : " En application du principe de prévention et du principe de réparation des dommages à l'environnement, l'agence de l'eau établit et perçoit auprès des personnes publiques ou privées des redevances pour atteintes aux ressources en eau, au milieu marin et à la biodiversité, en particulier des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvement sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacle sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique ". Selon l'article L. 213-11-10 du même code : " Les redevances sont recouvrées par l'agent comptable de l'agence selon les règles applicables au recouvrement des créances des établissements publics à caractère administratif de l'Etat, sous réserve des dispositions visées aux quatre derniers alinéas du présent article. / La date d'exigibilité est fixée au dernier jour du mois qui suit la date de mise en recouvrement. / La date limite de paiement est fixée au 15 du deuxième mois qui suit la date de mise en recouvrement. Au-delà de cette date, une majoration de 10 % est appliquée aux redevances ou fractions de redevances qui n'ont pas été réglées, et l'agent comptable adresse au contribuable une lettre de rappel par pli recommandé avec accusé de réception. Si cette lettre de rappel n'est pas suivie de paiement, l'agent comptable peut, à l'expiration d'un délai de vingt jours, engager les poursuites (...) ". Les redevances perçues par les agences de l'eau en application de l'article L. 213-10 du code de l'environnement constituent des impositions de toute nature.

5. D'autre part, aux termes de l'article 28 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales (...) ". Enfin, selon l'article 192 du même décret : " L'ordre de recouvrer émis dans les conditions prévues à l'article 28 est adressé aux redevables sous pli simple ou, le cas échéant, par voie électronique, soit par l'ordonnateur, soit par l'agent comptable. / (...) ".

6. Si les dispositions précitées n'imposent pas que l'ordre de recouvrer soit adressé sous pli recommandé avec accusé de réception et si l'envoi au redevable sous pli simple vaut notification régulière de l'ordre de recouvrer, il revient à l'administration d'établir la date à laquelle elle a procédé à la notification de cet ordre, de nature à regarder comme certaine la date à laquelle le débiteur de la créance en a eu connaissance ainsi que, par suite, la date à compter de laquelle la majoration pour créance non réglée s'applique.

7. L'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a émis le 22 septembre 2021 un ordre de recouvrer la redevance au titre de la modernisation des réseaux de collecte d'un montant de 773 000 euros à l'encontre de la société Sogedo, prévoyant une date limite de paiement au 1er décembre 2021, qu'elle lui a transmis par pli simple sans erreur d'adressage. Toutefois, contrairement à ce que l'agence de l'eau soutient, aucun élément du dossier, en particulier le courrier du 7 février 2022 adressé au comptable public de l'agence émanant de la société Sogedo et évoquant la circonstance que l'avis de recouvrer la somme de 773 000 euros n'était pas parvenu jusqu'au " service compétent ", ne permet d'établir que cette dernière aurait eu connaissance de cet ordre de recouvrer avant la réception, le 13 janvier 2022, d'un ordre de recouvrement lui réclamant une majoration de 10 % pour défaut de paiement, et donc antérieurement à la date de paiement de la créance fixée au 1er décembre 2021. Les circonstances qu'un autre titre exécutoire lui a été transmis le même jour, qu'un calendrier de paiement a été établi par l'agence de l'eau le 9 novembre 2020 au titre de l'année 2021 et transmis à la société Sogedo, ou encore que des incidents de paiement se sont produits par le passé sont sans incidence sur ce point.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité de la compensation opérée par l'agence de l'eau, que la société requérante est fondée à soutenir qu'elle n'a pas été destinataire, en temps utile et en tout état de cause avant le 13 janvier 2022, de l'avis de recouvrer la somme de 773 000 euros au titre de la redevance pour la modernisation des réseaux de collecte. Dès lors, ses conclusions tendant à l'annulation de l'avis de recouvrer la majoration de 10 % pour défaut de paiement de cette redevance et à la décharge de l'obligation de la payer doivent être accueillies. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, la société Sogedo est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt, qui accueille les conclusions principales aux fins d'annulation et de décharge de l'obligation de payer, implique que l'agence de l'eau procède au remboursement de la somme de 77 300 euros que la société Sogedo a réglée, ainsi qu'il résulte des mentions portées au bordereau du 23 mai 2022 versé au dossier.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Sogedo, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse une somme de 2 000 euros à verser à la société Sogedo en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 décembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'ordre de recouvrer du 11 janvier 2022 du directeur général de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse mettant à la charge de la société Sogedo la somme de 77 300 euros est annulé. La société Sogedo est déchargée de l'obligation de payer cette somme.

Article 3 : Il est enjoint à l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse de rembourser à la société Sogedo la somme de 77 300 euros.

Article 4 : L'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse versera à la société Sogedo une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sogedo et à l'agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse.

.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2025.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Péroline Lanoy

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY00296


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00296
Date de la décision : 11/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Amendes - pénalités - majorations.

Eaux - Gestion de la ressource en eau - Redevances.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : REY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-11;24ly00296 ?
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