Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 3 juin 2024 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2404652 du 27 septembre 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 24 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Sabatier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Drôme du 3 juin 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui renouveler son titre de séjour ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les stipulations des articles 6,2° et 7 bis a) de l'accord franco-algérien dès lors qu'elle se fonde sur un jugement de divorce algérien inopposable, obtenu en fraude et heurtant l'ordre public français ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait commise par l'autorité préfectorale ;
- elle méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée ;
- la décision emportant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour et de la mesure d'éloignement ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour et de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire enregistré le 8 janvier 2025, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 7 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 22 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l'exequatur et à l'extradition ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité algérienne, né le 21 février 1982, entré sur le territoire français le 28 février 2023 sous couvert d'un visa de court séjour valable du 25 février 2023 au 24 août 2023, a obtenu un certificat de résidence valable du 6 juin 2023 au 5 juin 2024 portant la mention " vie privée et familiale " en sa qualité de conjoint de français. Par jugement du 4 mars 2024, le tribunal de Constantine a prononcé un jugement de divorce à sa demande. Le 24 mai 2024, il a demandé en qualité de conjoint de française le renouvellement de son titre de séjour et un certificat de résidence valable dix ans, en application de l'article 7 bis a) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Par un arrêté du 3 juin 2024, le préfet de la Drôme a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 27 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit :1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant ; 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...). ". Aux termes de l'article 7 bis de cet accord : " Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c) et au g) : a) Au ressortissant algérien, marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6 nouveau 2) et au dernier alinéa de ce même article ;(...). ". D'autre part, en vertu des stipulations de l'article 1er de la convention franco-algérienne du 27 août 1964 susvisée les décisions contentieuses rendues en matière civile par une juridiction siégeant en Algérie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée en France sous réserve notamment que la décision soit d'après la loi algérienne passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution. Enfin, l'article 48 du code algérien de la famille dans sa version résultant de l'ordonnance n° 05-02 du 27 février 2005 : " Le divorce est la dissolution du mariage, sous réserve des dispositions de l'article 49, ci-dessous. Il intervient par la volonté de l'époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l'épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 de la présente loi. ".
3. Sous réserve de leur régularité internationale, notamment de leur conformité à la conception française de l'ordre public international et de l'absence de fraude, les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Il incombe à l'autorité administrative de tenir compte de tels jugements, dans l'exercice de ses prérogatives, tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une déclaration d'inopposabilité. Compétemment saisi d'un litige posant des questions relatives à l'état et la capacité des personnes, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opposabilité en France d'un jugement rendu en cette matière par un tribunal étranger. Si elles s'y croient fondées, les parties peuvent saisir le juge judiciaire qui est seul compétent pour se prononcer sur l'effet de plein droit de tels jugements. Il appartient toutefois à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
4. Par la décision du 3 juin 2024, le préfet de la Drôme a refusé de délivrer à M. A... le certificat de résidence en qualité de conjoint de français qu'il avait demandé au motif que le divorce avait été prononcé par jugement du tribunal de Constantine (Algérie) du 4 mars 2024 à la suite de sa demande du 27 novembre 2023, que la cohabitation entre les époux A... n'avait duré que deux mois et que tout laisse à croire que le mariage a été célébré dans le but exclusif d'entrer en France, sans aucune intention matrimoniale. Le préfet de la Drôme en a conclu que M. A... est divorcé de son épouse, qu'il ne peut plus prétendre à sa qualité de conjoint de française et qu'en conséquence, il ne remplit pas les conditions prévues par les articles précités 6-2 et 7 bis a) de l'accord franco-algérien.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des termes du jugement du tribunal de Constantine du 4 mars 2024, que le divorce entre M. A... et Mme D... a été prononcé sur la volonté unilatérale de l'époux, sur le fondement précité de l'article 48 du code de la famille algérien qui institue une possibilité de divorce à l'initiative du seul époux et ce dans des conditions plus favorables puisque l'époux n'est pas tenu de verser une compensation financière, sauf décision du juge, dans des circonstances particulières. Dans ces conditions, M. A..., qui est à l'initiative de ce divorce, n'est pas fondé à se prévaloir de ce que le jugement de divorce dont s'agit méconnaît la conception française de l'ordre public en portant atteinte au principe d'égalité entre époux.
6. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le jugement de divorce introduit sur sa demande et lui donnant entièrement satisfaction révèlerait l'existence d'une fraude, alors qu'en outre, selon les mentions du jugement de divorce, M. A... était présent et représenté à l'instance. Pour les raisons exposées au point 3, il n'appartient ni à l'autorité administrative ni à la cour de céans de se prononcer sur la compétence du tribunal de Constantine pour juger cette instance civile.
7. Enfin, il ne ressort pas des termes de l'arrêté que le préfet de la Drôme a fondé sa décision de refus de séjour sur l'existence d'une fraude qu'aurait commise M. A.... Le moyen tiré de l'erreur de fait doit par suite être écarté.
8. Il résulte ainsi de ce qui précède que M. A... n'était plus marié avec une ressortissante de nationalité française le 3 juin 2024, date de la décision de refus de titre de séjour. Par conséquent, M. A... n'est pas fondé à soutenir que cette décision méconnaît les stipulations précitées du 2. du deuxième alinéa de l'article 6 et de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5. Au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. D'une part, si M. A... soutient que la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni des autres pièces du dossier qu'il aurait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces stipulations. Il ne peut dès lors utilement s'en prévaloir.
11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... est divorcé depuis le 4 mars 2024, que la cohabitation avec son épouse n'a duré que deux mois et qu'entré en France à une date récente, le 28 février 2023, l'intéressé possède l'essentiel de ses intérêts privés, familiaux et sociaux en Algérie, où il a vécu jusqu'à l'âge de quarante-et-un ans et où résident ses quatre enfants issus de sa précédente union, son père, sa mère, ses frères et sœurs. Si l'appelant se prévaut d'une attestation sur l'honneur de son ex-épouse en date du 26 juin 2024, établie postérieurement à la date de l'arrêté en litige, indiquant qu'elle aurait repris une vie conjugale avec le requérant, en tout état de cause, l'intéressé, qui au soutien de sa demande de titre de séjour a fait valoir le jugement de divorce avec Mme D... à l'encontre duquel cette dernière n'a pas fait opposition, n'établit pas sérieusement la stabilité et l'ancienneté de ses relations avec cette dernière. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et notamment du caractère récent de son séjour en France, le préfet de la Drôme n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. A.... Il n'a pas davantage, pour les mêmes motifs, commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de ce dernier.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
13. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire et de la décision fixant le pays de destination :
14. En conséquence de ce qui précède, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des deux décisions précédentes doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY03008