Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société à responsabilité limitée (SARL) Resideco a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2019 par lequel le maire de la commune de Valloire a opposé un sursis à statuer à sa déclaration préalable déposée le 15 octobre 2019 portant sur le changement de destination d'un hôtel en logements, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2002020 du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 novembre 2022 et un mémoire complémentaire enregistré le 2 septembre 2024, la société Resideco, représentée par Me Rothdiener, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2019 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au maire de la commune de Valloire de lui délivrer une décision de non opposition à sa déclaration préalable, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Valloire le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 septembre 2022 n'a pas répondu, ou n'a pas suffisamment motivé sa réponse, aux moyens soulevés en première instance tirés de l'absence de contrariété suffisante entre le projet et l'objectif du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) fondant le sursis pour constituer un risque de compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme (PLU), de l'exception d'illégalité de l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) n° 2 en ce que cette OAP empiète sur le domaine réservé du règlement du PLU, de la rupture d'égalité entre les hôtels de la commune, de l'atteinte disproportionnée aux droits et libertés des hôteliers et de l'absence de justification d'une telle interdiction de changement de destination ;
- c'est à tort que le tribunal a apprécié la conformité du projet par rapport à l'OAP n° 2, qui ne constitue pourtant pas le fondement de la décision de sursis et qui n'était pas opposable à la date de ce sursis, et ce alors que la commune n'avait pas explicitement formulé de demande de substitution de motifs à ce titre ; elle a ce faisant été privée d'une garantie ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- la décision de sursis à statuer sur sa déclaration préalable n'est pas suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme, dont aucune des deux conditions n'est réunie ; d'une part, le PLU en cours d'élaboration n'était pas, à la date de la décision attaquée, dans un état d'avancement suffisant pour pouvoir opposer un sursis ; d'autre part, le projet n'est pas incompatible avec les orientations du PADD et ne saurait ainsi être regardé comme étant de nature à compromettre l'exécution du futur PLU ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'elle ne pouvait utilement invoquer l'illégalité du futur PLU que tel qu'il était prévu à la date du sursis à statuer qui lui a été opposé, et non celle du plan ultérieurement approuvé ; en outre ce raisonnement est entaché d'une contradiction en l'espèce, le tribunal ayant successivement considéré que le futur PLU était dans un état d'avancement suffisant, tout en refusant que soit invoquée son illégalité par voie d'exception ;
- les dispositions du futur PLU qui lui ont été opposées, qu'il s'agisse de leur version arrêtée le 20 mars 2020 ou de celle approuvée le 29 avril 2021, sont entachées d'illégalité :
- les dispositions de l'OAP n° 2 méconnaissent les articles L. 151-6, L. 151-7, R. 151-7 et R. 151-8 du code de l'urbanisme, qui ne permettent pas d'interdire les changements de destination et qui ne permettent pas qu'une OAP fixe des règles relevant du règlement du PLU ;
- les dispositions du règlement du PLU interdisant le changement de destination de bâtiments à destination d'hôtel existants méconnaissent les dispositions des articles L. 151-9 et R. 151-30 du code de l'urbanisme ;
- les dispositions du règlement du PLU interdisant le changement de destination de bâtiments à destination d'hôtel existants méconnaissent le droit de propriété, le principe de la liberté d'entreprendre ainsi que l'article 15 de la directive " Services " n° 2006/123/CE ;
- les dispositions du règlement du PLU interdisant le changement de destination de bâtiments à destination d'hôtel existants méconnaissent le principe d'égalité de traitement ;
- cette différence de traitement n'est ni nécessaire ni proportionnée à l'objectif poursuivi par les auteurs du PLU ;
- l'interdiction du changement de destination des hôtels ne correspond pas aux objectifs affichés par le maire de reprise démographique et de limitation des résidences secondaires ;
- elle ne correspond pas non plus aux constats faits dans le diagnostic du rapport de présentation du PLU, qui relève un faible taux de remplissage des lits hôteliers, ni aux justifications des choix retenus figurant dans le rapport de présentation du PLU ;
- elle n'est pas justifiée par les orientations du PADD, qui ne fait qu'exprimer une préférence pour les lits hôteliers et ne s'oppose pas à la création de lits touristiques ;
- elle n'est pas justifiée par le projet de document d'orientation et d'objectifs (DOO) du schéma de cohérence territoriale (SCoT) du pays de Maurienne, qui promeut au contraire une diversification de l'offre d'hébergement ;
- à supposer qu'il faille faire application du PLU approuvé le 9 avril 2013, le projet respecte l'article UB 12 du règlement de ce PLU.
Par des mémoires enregistrés les 16 janvier 2023, 27 août 2024 et 24 septembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Valloire, représentée par Me Defaux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Resideco le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- les moyens, soulevés par voie l'exception, tirés de l'illégalité du plan local d'urbanisme tel qu'arrêté le 12 mars 2020 et approuvé le 20 avril 2021, soit postérieurement à la date de la décision en litige, sont inopérants ;
- aucune injonction de délivrance ne pourra être prononcée, y compris en cas d'annulation de la décision de sursis à statuer, dès lors que le projet ne respecte pas les obligations en termes de places de stationnement fixées par l'article UB 12 du règlement du PLU précédent ; une décision d'opposition à la déclaration préalable a au demeurant été adoptée le 14 octobre 2021.
Par ordonnance du 6 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Maubon, première conseillère,
- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique,
- les observations de Me Rothdiener, représentant la société Resideco,
- et les observations de Me Defaux, représentant la commune de Valloire.
Considérant ce qui suit :
1. Le 15 octobre 2019, la société Resideco a déposé une déclaration préalable portant sur le changement de destination, en habitation, d'un hôtel situé place de l'église à Valloire (Savoie). La société Resideco relève appel du jugement du 20 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 décembre 2019 par laquelle le maire de la commune de Valloire a opposé un sursis à statuer à sa déclaration préalable, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, le tribunal administratif n'a pas omis de statuer, et a suffisamment répondu, aux points 3 et 6 de son jugement, au moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'orientation d'aménagement et de programmation (OAP) n° 2, en particulier en ce qu'elle empiète sur le domaine du règlement du plan local d'urbanisme (PLU). Il a également suffisamment répondu au moyen tiré de l'absence de compromission de l'exécution du PLU, et notamment des objectifs du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) par le projet, au point 15 de son jugement. En ce qui concerne l'illégalité de l'interdiction de changement de destination des hôtels, notamment pour rupture d'égalité entre les hôtels de la commune et atteinte disproportionnée aux droits et libertés des hôteliers, il y a été répondu, de manière suffisante, au point 7 du jugement. Enfin, le point 8 du jugement répond au moyen tiré de l'absence de justification de cette interdiction, sans que l'absence de réponse du tribunal à l'ensemble des arguments de la société ne caractérise une omission à statuer ou une insuffisance de motivation.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces de la procédure de première instance que la commune de Valloire, dans un mémoire du 30 novembre 2021, avait fait valoir en défense devant le tribunal administratif que, " si le tribunal ne faisait pas droit à [l']analyse " selon laquelle les orientations du PADD telles que débattues le 15 février 2018 suffisaient à fonder le sursis à statuer opposé, elle sollicitait la prise en compte de " nouveaux éléments ", au nombre desquels le projet d'OAP n° 2. Ce faisant, la commune a fait valoir un autre motif que celui ayant initialement fondé la décision en litige. Ainsi, la requérante a été, par la seule communication de ce mémoire, mise à même de présenter ses observations sur la demande de substitution de cet autre motif au motif initial. Par suite, c'est sans irrégularité que le tribunal a pu, sans exiger de la commune qu'elle formule en outre une demande expresse de substitution de motifs, examiner la légalité de la décision en litige en considérant qu'elle était fondée sur le motif que le projet était de nature à compromettre l'exécution du futur PLU au regard de l'OAP " touristique ".
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable. " Aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable. / Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus (...) aux articles L. 153-11 et L. 311-2 du présent code (...). / (...) / Le sursis à statuer doit être motivé et ne peut excéder deux ans. / (...) ".
5. En premier lieu, la décision de sursis à statuer du 12 décembre 2019 vise le PLU approuvé le 9 avril 2013 ainsi que le PLU dont l'élaboration a été prescrite le 29 décembre 2015. Elle rappelle la nature du projet, qui prévoit le changement de destination d'un hôtel en cinq logements locatifs, puis précise que le projet est situé dans le " périmètre graphique ", identifié par la carte annexée au PADD, " où doivent se développer de préférence les lits professionnels de type hôtelier ou touristique ". Elle conclut que le projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan. Dès lors, cette décision est suffisamment motivée, et le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
6. En deuxième lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier qu'un débat sur les orientations générales du PADD du projet de PLU de la commune de Valloire s'est tenu lors de la réunion du conseil municipal du 13 février 2018. Le projet de PADD débattu se déclinait en trois axes, dont le dernier était intitulé " Pérenniser le modèle économique " et sous-titré " pour pérenniser les emplois et préserver l'attractivité touristique ". Quatre orientations étaient associées à cet axe, dont la première, " Renforcer l'attractivité touristique par une montée en gamme de l'offre " comportait la mention suivante : " Dans le périmètre défini, et pour les opérations nouvelles, développer de préférence les lits professionnels du type hôtelier ou touristiques ". Au sein de ce PADD figurait un document graphique de synthèse qui identifiait un périmètre, délimité par un quadrilatère correspondant au centre-village de Valloire, englobant le bâtiment concerné par le projet de changement de destination. A ce zonage était associée la légende suivante : " périmètre graphique pour développer de préférence les lits professionnels de type hôtelier ou touristiques ". Dans ces conditions, le projet de PLU était dans un état suffisamment avancé à la date de l'arrêté contesté pour justifier le prononcé d'un sursis à statuer au regard du projet de PADD.
7. D'autre part, cependant, il ressort des pièces du dossier que le projet de la société Resideco, qui consiste à modifier la destination d'un hôtel de vingt-et-une chambres en logements, n'est pas de nature à compromettre, ou à rendre plus onéreuse, l'exécution du futur PLU, au regard de la simple " préférence " pour les lits professionnels de type hôtelier ou touristiques exprimée par le PADD. Dans ces conditions, la société Resideco est fondée à soutenir qu'un sursis à statuer ne pouvait pas lui être opposé au motif que le projet était de nature à compromettre l'exécution du futur PLU au regard du PADD à la date du 12 décembre 2019.
8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. En défense, la commune fait valoir qu'une règle d'interdiction de changement de destination des hôtels situés au sein du périmètre graphique identifié a été élaborée antérieurement à la décision en litige. Il ressort de comptes-rendus de réunions techniques que le principe de l'institution d'une " OAP touristique " a été évoqué 27 mars 2018 et que les modalités de cette OAP, devenue OAP n° 2 " hébergement touristique ", prévoyant notamment que " les hôtels (...) ciblés ne pourront pas changer de destination afin de garantir les lits marchands " ont été précisées lors d'une réunion du 10 août 2018. La commune produit également un projet d'OAP portant la mention " Éléments modifiés suite à la réunion du 10-08 " dont le contenu est plus précis et qui comporte un document graphique identifiant un périmètre au sein duquel " la sous-destination hébergement hôtelier et touristique est obligatoire " et un document graphique identifiant spécifiquement le bâtiment concerné par le projet en litige comme un hôtel, associé à la mention " Les hôtels (...) ciblés ne pourront pas changer de destination afin de garantir les lits marchands ". Il ressort de ces documents, alors même qu'ils n'auraient pas été rendus publics, que le projet d'imposer la pérennisation de la destination hôtelière ou touristique dans le centre-village et notamment d'interdire tout changement de destination des hôtels, était dans un état suffisamment avancé pour pouvoir opposer un sursis à statuer sur le fondement de ce projet.
10. Le projet de la société Resideco, qui vise à modifier la destination de vingt-et-une chambres d'hôtel, transformées en cinq appartements, pour 420 m² de surface de plancher, vers une destination d'habitation, sans autre précision dans le dossier de déclaration préalable, ne garantit pas le maintien d'une vocation touristique des locaux, situés en zone centrale du bourg de Valloire, place de l'église. Le projet est ainsi de nature à compromettre l'exécution du futur PLU au regard de l'OAP n° 2.
11. Par suite, la société Resideco n'est pas fondée à soutenir que la décision de sursis à statuer méconnaît l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme.
12. En troisième lieu, la société requérante soutient que la règle d'interdiction de changement de destination des hôtels qui lui a été opposée est illégale. Toutefois, elle se borne à invoquer l'OAP n° 2 et l'article UA 1 du règlement écrit du PLU dans leur version arrêtée le 12 mars 2020 ou dans leur version approuvée le 29 avril 2021, sans invoquer l'illégalité de la règle d'interdiction de changement de destination des hôtels telle qu'elle lui a été opposée dans le cadre de la décision de sursis à statuer. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'illégalité du PLU arrêté puis approuvé doit être écarté comme inopérant.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Resideco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Resideco est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Valloire tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Resideco et à la commune de Valloire.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente de la formation de jugement,
Mme Claire Burnichon, première conseillère,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
G. MaubonLa présidente,
A.-G. Mauclair
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne à la préfète de la Savoie en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 22LY03377 2