Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 2305419 du 27 novembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 mars 2024, M. A..., représenté par Me Frery, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et l'arrêté du 11 juillet 2023 ;
2°) d'enjoindre à la préfète de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre et de lui délivrer, le temps du réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement, qui a inversé la charge de la preuve sur les liens conservés avec sa famille, et n'a pas cité l'autorisation de travail dont il disposait ainsi que les appréciations élogieuses de son employeur, est insuffisamment motivé ;
- en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ; il n'a pas porté une appréciation globale sur sa situation ;
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire, qui portent une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, méconnaissent l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
La préfète de l'Isère à laquelle la requête a été communiquée n'a pas présenté d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- et les observations de Me Frery, pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant bangladais né le 20 octobre 2004, est entré en France le 5 octobre 2020. Il a été confié le 26 octobre 2020 au service de l'aide sociale à l'enfance. Il a sollicité le 3 mars 2023 la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 11 juillet 2023, le préfet de l'Isère a rejeté la demande de titre de séjour du requérant et assorti ce rejet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. A... relève appel du jugement du 27 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou de " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'après son arrivée en France en octobre 2020 et son intégration en février 2021 en classe UP2A du lycée de l'Edit à Roussillon, M. A... a réalisé en juin 2021 deux semaines de stage au sein de la boulangerie La Mie caline à Vienne. A l'issue de ce stage, les gérants de cette boulangerie, également gérants de la boulangerie de la même enseigne située place des Terreaux à Lyon, ont décidé de le recruter dans le cadre d'un contrat d'apprentissage en vue d'obtenir un CAP d'équipier polyvalent du commerce. Il a obtenu au premier semestre de l'année 2021-2022 des encouragements de l'équipe éducative. Si, au cours du seconde semestre, et ainsi que l'a noté le préfet, la responsable de la formation avait souligné ses absences et la nécessité d'être présent en formation, elle avait également noté qu'il apprenait vite et qu'il avait effectué des progrès de compréhension. Au cours de sa deuxième année de CAP, à l'issue de laquelle le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, les appréciations portées par les enseignants sont correctes. Mais, au-delà des notes obtenues, ses employeurs ont fait état, dans deux attestations, de " tout le bien que nous pensons de C..., tant sur le plan du comportement (politesse, fiable, toujours présent) que professionnel ". Ils ont souligné son implication, son autonomie et sa rapidité d'adaptation ainsi que leur volonté de l'accompagner, après son CAP sur une formation en bac professionnel commerce en alternance pour ensuite lui proposer un CDI. Par ailleurs, les rapports de la structure d'accueil soulignent ses progrès constants, sa très bonne intégration et son autonomie. Enfin, si son père, sa mère et une petite sœur résident dans son pays d'origine et si, ainsi que l'a noté le préfet, son père est mentionné comme la personne à contacter en cas d'urgence sur son passeport délivré en mars 2023 et que le rapport d'évaluation d'âge et d'isolement du 18 août 2020 fait apparaître que sa famille a financé son voyage vers l'Europe, dans le rapport social du 19 janvier 2023, présenté à l'appui de la demande de titre de séjour, la structure d'accueil n'a donné aucun renseignement sur l'existence ou non de liens avec la famille restée dans son pays. Dans un rapport du 3 janvier 2024, certes postérieur à la décision en litige, elle a indiqué que " depuis son départ du Bangladesh, B... n'a plus de nouvelles de sa famille, ce qui l'inquiète particulièrement au quotidien ". Au vu de l'ensemble de ces éléments, et en particulier de l'avis de son employeur et de la structure d'accueil, qui témoignent des capacités d'intégration de M. A... dans la société française, et alors que la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine demeure incertaine , en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu et à la situation de M. A... à la date du présent arrêt, son exécution implique seulement qu'il soit enjoint à la préfète de l'Isère de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois suivant sa notification et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
7. M. A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Frery, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2305419 du 27 novembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de délivrer à M. A... un titre de séjour et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l'Isère de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'État versera à Me Frery une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., au ministre d'État, ministre de l'intérieur et à la préfète de l'Isère.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble.
Délibéré après l'audience du17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00698
kc