Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 21 février 2022 par laquelle la directrice de l'École nationale supérieure de police (ENSP) a prononcé son exclusion définitive de la classe préparatoire talents du service public (CPTSP) de cette école, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux et d'enjoindre à la directrice de l'ENSP de le rétablir dans ses droits.
Par un jugement n° 2204958 du 29 décembre 2023, le tribunal a fait droit à sa demande d'annulation, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal.
Il soutient que :
- le jugement, qui a omis de viser et d'analyser son mémoire du 4 décembre 2023, est irrégulier ;
- le tribunal a fait droit à des moyens inopérants ;
- la décision n'avait pas à être motivée en application de l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en tout état de cause, elle est suffisamment motivée ;
- elle n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire en application de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la matérialité des faits est établie ;
- son comportement n'est pas conforme au règlement intérieur ;
- le moyen tiré du caractère disproportionné de la mesure est inopérant ; il ne pouvait faire l'objet que d'une exclusion de l'établissement ;
- il s'en rapporte à ses écritures présentées devant le tribunal, qu'il a jointes.
Par un mémoire enregistré le 11 avril 2024, M. B... A..., représenté par Me Doyez, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'enjoindre à la directrice de l'ENSP de le rétablir dans ses droits dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés devant le tribunal et la même somme au titre des frais exposés en appel en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- en l'excluant de la classe préparatoire de l'ENSP, la directrice de l'établissement a pris une sanction de nature disciplinaire qui nécessitait de respecter une procédure contradictoire susceptible de préserver les droits de l'élève mis en cause, ce qui n'a pas été fait ainsi que l'a jugé le tribunal ;
- la décision est, ainsi que l'a retenu le tribunal, insuffisamment motivée ;
- la décision repose sur des faits matériellement inexacts ; l'anonymisation des propos tenus dans le cadre de l'enquête administrative ne permet pas de tenir les faits pour établis ; il n'a jamais adopté un comportement ou une tenue contraires au règlement intérieur ; la plainte pour viols a été classée sans suite ;
- la sanction prononcée est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés ; la sanction prononcée est la plus sévère de celles prévues à l'article 10 du décret du 7 octobre 1994 ; il était également possible de ne prononcer qu'une sanction temporaire par application de l'article 5.3 du règlement intérieur.
Par une ordonnance du 2 décembre 2024, l'instruction a été close au 20 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- l'arrêté du 5 août 2021 relatif aux cycles de formation dénommés " Prépas Talents " préparant aux concours d'accès à certaines écoles ou organismes assurant la formation de fonctionnaires ou de magistrats de l'ordre judiciaire ;
- le règlement intérieur de l'école nationale supérieure de police adopté le 26 novembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., qui avait intégré le 1er septembre 2021 la classe préparatoire talents du service public au sein de l'École nationale supérieure de police (ENSP) de Saint-Cyr-au-Mont d'Or, a été définitivement exclu de cette formation par une décision du 21 février 2022 prise par la directrice de l'école, implicitement confirmée sur recours gracieux de l'intéressé. Par jugement du 29 décembre 2023, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. A.... Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation des décisions et mis à la charge de l'État une somme au titre des frais d'instance. Par la voie de l'appel incident, M. A... demande l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'injonction et de porter le montant de la somme mise à la charge de l'État devant le tribunal à 2 500 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. /Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".
3. Après la clôture d'instruction intervenue le 12 mai 2023, le ministre de l'intérieur a déposé devant le tribunal le 4 décembre 2023, outre les pièces que ce dernier lui avait demandé de produire sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, un mémoire en défense ainsi que d'autres éléments. Ce mémoire, qui a été communiqué à la partie adverse le même jour, sans que soit précisé qu'il ne l'était qu'à raison des pièces qui lui étaient jointes et qui avaient été demandées par le tribunal, avec pour effet de rouvrir complètement l'instruction, n'a été ni visé, ni analysé par le tribunal qui s'est borné à mentionner la production des pièces demandées et n'y a pas répondu. Le ministre est fondé à soutenir que le jugement est pour ce motif entaché d'irrégularité et à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal.
Sur la légalité de la décision du 21 février 2022 :
5. Aux termes de l'article 10 de l'arrêté du 5 août 2021 relatif aux cycles de formation dénommés " Prépas Talents " préparant aux concours d'accès à certaines écoles ou organismes assurant la formation de fonctionnaires ou de magistrats de l'ordre judiciaire : " Durant le cycle de formation, les préparationnaires sont placés sous l'autorité du chef d'établissement, et sont soumis aux obligations du règlement intérieur de l'établissement./ Les préparationnaires s'engagent à suivre l'intégralité du cycle de formation et à participer à l'un au moins des concours préparés. ". Les dispositions de l'article 2.2.2 du règlement intérieur de l'ENSP adopté le 26 novembre 2021 prévoient que : " Toute personne se trouvant dans l'enceinte de l'école doit adopter un comportement et une tenue conformes au présent règlement intérieur et adaptés à leur situation et leur statut. ". Selon les dispositions de l'article 2.2.4 du même règlement : " Le directeur peut décider d'exclure temporairement ou définitivement toute personne ne respectant pas les règles fixées par les textes et par le présent règlement intérieur ou toute personne présentant un danger ou une menace pour l'école. ". Les dispositions de l'article 2.2.7 précisent que : " Toute personne accédant ou demeurant à l'école doit respecter la tranquillité et le repos d'autrui, particulièrement entre 22 heures et 6 heures. ". Selon l'article 5.3 du même règlement applicable en particulier aux classes préparatoires talents du service public : " En cas de non-respect du règlement intérieur, de faute grave ou de tout autre comportement incompatible avec les textes en vigueur au sein de la police nationale, l'exclusion définitive ou temporaire de l'élève peut être prononcée à n'importe quel moment de la scolarité à l'issue d'une enquête administrative. Cette décision est prise par le directeur de l'école et notifiée à l'intéressé. ".
6. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; ".
7. Si M. A..., qui était élève de classe préparatoire talents du service public de l'ENSP, n'avait ni la qualité d'élève-fonctionnaire, ni celle de stagiaire-fonctionnaire, et n'entrait pas, de ce fait, dans le champ de la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires, il a fait l'objet d'une mesure d'exclusion définitive prise par le directeur de l'établissement sur le fondement de l'article 5.3 du règlement intérieur. Cette décision présentait, compte tenu de sa finalité, le caractère d'une sanction. Elle devait, par application des articles précités du code des relations entre le public et l'administration, être motivée et précédée d'une procédure contradictoire.
8. En premier lieu, pour prononcer l'exclusion définitive de M. A... de la classe préparatoire talents service public de l'ENSP, la décision mentionne les articles 2.2.2, 2.2.4, 2.2.7, 5.2 et 5.3 du règlement intérieur et comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit qui la fondent. Toutefois, en se bornant à faire état de graves troubles commis dans le cadre de la préparation par M. A... qui auraient été avérés et confirmés par les entretiens réalisés par le chef du département des formations préparatoires, cette décision ne mentionne pas avec précision les faits reprochés à l'intéressé. Rien ne permet de dire que ceux-ci auraient été portés directement à la connaissance de l'intéressé par l'administration, préalablement à son édiction. Par suite M. A... est fondé à soutenir que la décision contestée est entachée d'un défaut de motivation en fait.
9. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'avant l'édiction de la sanction, M. A... a été entendu par la directrice de l'ENSP ou dans le cadre de l'enquête administrative interne, ni que la possibilité de s'exprimer sur la sanction envisagée lui a été offerte. Par suite, en l'absence de respect de la procédure contradictoire préalable prévu par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, la décision contestée est entachée d'un vice de procédure. Ce vice a été de nature en l'espèce à priver M. A... des garanties liées aux droits de la défense et notamment à l'existence d'une procédure contradictoire. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que la décision attaquée doit être également annulée pour ce motif.
10. Ainsi, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision du 21 février 2022 par laquelle la directrice de l'École nationale supérieure de police (ENSP) a prononcé son exclusion définitive de la classe préparatoire talents du service public (CPTSP) de cette école, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
11. M. A... demande qu'il soit enjoint à la directrice de l'ENSP de " le rétablir dans ses droits ". Il doit ainsi être regardé comme demandant à être réintégré dans la classe préparatoire talents du service public de l'ENSP. Toutefois, M. A... a indiqué, dans ses écritures, avoir été reçu au concours externe d'officier de police en 2021 qui est l'un des concours auquel prépare cette formation. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de prononcer l'injonction sollicitée. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés aux litiges :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 29 décembre 2023 est annulé.
Article 2 : La décision du 21 février 2022 par laquelle la directrice de l'École nationale supérieure de police a prononcé l'exclusion définitive de M. A... de la classe préparatoire talents du service public de cette école, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, sont annulées.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... présentées devant le tribunal et devant la cour est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00396
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