Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de l'arrêté du 14 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2208174 du 21 mars 2023, le tribunal a annulé ce refus et enjoint au préfet de l'Isère de délivrer sous trois mois à l'intéressé un titre de séjour et de le mettre sous huit jours en possession dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour valant autorisation de travail.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal.
Il soutient que :
- aucune erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a été commise ;
- seule est justifiée la présence de l'intéressé dans des communautés Emmaüs entre 2015 et 2019, mais pas la nature et la durée des activités exercées ;
- il n'était dans la communauté Emmaüs de Grenoble que depuis juin 2020, sans justifier du caractère réel et sérieux de ses activités ;
- ses perspectives d'intégration professionnelle étaient incertaines, ses formations étant récentes ;
- il s'est maintenu longuement en situation irrégulière ;
- il n'y a pas de vie privée et familiale constituée ;
- aucune incompétence n'a été commise ;
- l'arrêté est motivé ;
- s'agissant de l'article L. 4345-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé n'a jamais concrétisé son projet professionnel ;
- aucune méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme n'est caractérisée ; il s'est maintenu en France malgré des mesures d'éloignement et ne pouvait ignorer les conséquences de ses actes ; ses parents et son frère résident au Monténégro ;
- il n'y a pas d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la mesure d'éloignement est justifiée ;
- la durée de l'interdiction de retour est justifiée.
Par un mémoire enregistré le 11 décembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Schürmann, conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il loue son propre appartement, et travaille pour POINT P depuis le mois de mars 2023 en contrat à durée indéterminée (CDI) ; il a obtenu une autorisation de travail pour le renouvellement de son titre de séjour délivré à la suite du jugement attaqué ; cette intégration démontre qu'il justifiait justement de perspectives professionnelles ;
- il exerce depuis plus de sept ans une activité au sein de l'association ; il a un projet professionnel cohérent ; il a suivi plusieurs formations ; il justifie de sa rémunération durant toutes ses années auprès d'Emmaüs et de sa présence aussi auprès de cette structure ; il démontre son intégration ; la loi n'impose pas de justifier d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ; il est également tuteur pour les travaux d'intérêt général ;
- il y a méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ; il justifie de très nombreuses formations, et d'une intégration professionnelle ; son frère réside en France en situation régulière et le reste de sa famille au Monténégro.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Picard, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du tribunal administratif du Grenoble du 21 mars 2023 qui annulé pour erreur manifeste d'appréciation l'arrêté du 14 novembre 2022 par lequel il a refusé à M. A... B..., ressortissant kosovar entré en France en 2013, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
2. Aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles : " Les organismes assurant l'accueil ainsi que l'hébergement ou le logement de personnes en difficultés et qui ne relèvent pas de l'article L. 312-1 peuvent faire participer ces personnes à des activités d'économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle (...) ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par un étranger sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger, dont la présence en France ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public, est accueilli dans un organisme de travail solidaire et justifie de trois années d'activité ininterrompue auprès d'un ou plusieurs organismes relevant de cette catégorie. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, qui maîtrise le français, a occupé depuis 2015 dans la communauté Emmaüs différents postes pour lesquels il a donné entièrement satisfaction, justifiant entretenir de bonnes relations avec les autres compagnons, les donateurs et les clients, et avoir suivi à partir de 2021, en complément de l'expérience accumulée, plusieurs formations avec comme objectif d'occuper le poste de préparateur de commandes/magasinier, un type de métier pour lequel, d'après une enquête professionnelle de Pôle Emploi, existaient en Isère des besoins de recrutement. Au demeurant, à la suite du jugement attaqué, il a obtenu en mars 2023 un travail comme magasinier. Par ailleurs, l'intéressé, qui ne constitue pas une menace pour l'ordre public, a un frère en situation régulière en France. Si l'intéressé est célibataire et sans enfants, a conservé des attaches au Monténégro ou au Kosovo et s'est maintenu sur le territoire en dépit de deux mesures d'éloignement en 2015 et 2020, il apparait ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce que, comme le tribunal l'a jugé, eu égard au caractère réel et sérieux de ses activités et de ses perspectives d'intégration professionnelle, le préfet, qui par les motifs et moyens invoqués ne justifie pas de ce que les conditions d'attribution d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'auraient pas été réunies, a, en refusant de lui délivrer un tel titre de séjour, commis une erreur manifeste d'appréciation.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a fait droit à la demande de M. B....
6. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère et les conclusions de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le président, rapporteur,
V-M. Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY01347
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