Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 15 décembre 2020 par laquelle le directeur du centre hospitalier Pierre Oudot lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions de six semaines, dont deux avec sursis, à compter du 1er janvier 2021.
Par un jugement n° 2100630 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août 2023 et 3 septembre 2024, le centre hospitalier Pierre Oudot, représenté par Me Tissot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le centre hospitalier soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier ; il n'est pas suffisamment motivé dès lors qu'il ne se prononce pas sur les conditions procédurales applicables au statut de lanceur d'alerte ni n'explique en quoi les faits divulgués par M. B... constitueraient une menace grave et un risque de dommages irréversibles entrant dans le champ d'application de ce dispositif ;
- les faits relevés sont constitutifs d'une faute de nature à justifier l'édiction d'une sanction ;
- M. B... n'est pas fondé à se prévaloir du dispositif des lanceurs d'alerte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Muridi, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier Pierre Oudot une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'il pouvait se prévaloir du dispositif de protection garanti aux lanceurs d'alerte ;
- la sanction en litige est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée de disproportion et méconnaît les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Une ordonnance du 27 novembre 2024 a fixé la clôture de l'instruction au 30 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bensmaïne pour le centre hospitalier Pierre Oudot et de Me De Rivaz pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 15 décembre 2020, le directeur du centre hospitalier Pierre Oudot a prononcé à l'encontre de M. B..., infirmier en poste à l'EHPAD Delphine Neyret, la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions de six semaines dont deux avec sursis. La sanction est fondée sur le motif tiré de ce qu'en rendant publiques des informations internes, l'agent a manqué à ses devoirs de discrétion professionnelle, de réserve et de loyauté. Le centre hospitalier Pierre Oudot relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. D'une part, en application de l'article 39 du décret du 6 février 1991 susvisé : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : (...) 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une période déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée. (...) La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. ".
3. D'autre part, selon l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. ". Aux termes de l'article 8 de cette loi : " I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. / En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. / En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. / II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public. / (...) ".
4. Pour estimer que M. B... était fondé à se prévaloir de la protection garantie aux lanceurs d'alerte prévue par les dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016, le tribunal a considéré, après avoir relevé que la dangerosité des températures relevées au sein de l'EHPAD Delphine Neyret en période de canicule était établie, malgré le protocole mis en place dans l'établissement en de telles circonstances, qu'en participant à la divulgation publique de ces faits, M. B... avait dénoncé une menace grave et un risque de dommages irréversibles dont il a eu personnellement connaissance et qu'il a voulu faire cesser après avoir évoqué la situation lors d'un entretien avec le directeur de l'établissement en juin 2019, juste après une vague de canicule.
5. Dans son courrier du 22 juillet 2019 adressé au maire de Bourgoin-Jallieu, M. B... a fait état de températures élevées durant l'été dans la plupart des chambres de l'établissement, de l'insuffisance de climatiseurs au sein de l'EHPAD Delphine Neyret et a sollicité une aide financière de la commune, du département et de la région. Dans l'interview qu'il a accordée au journal " Le Dauphiné libéré " dans son édition du 16 décembre 2019, il a réitéré ces mêmes propos. Il ressort des pièces versées au dossier que si le relevé des températures produit, uniquement pour l'été 2020 d'ailleurs, fait état de plusieurs journées durant lesquelles les températures ont excédé les 30 degrés C au sein de certaines salles ou chambres de l'établissement, le centre hospitalier justifie avoir respecté les recommandations de l'Agence Régionale de Santé en la matière et avoir veillé à un contrôle journalier des températures la journée et la nuit, avoir acquis pour l'année 2019 46 ventilateurs et 5 climatiseurs et pour l'année 2020 30 ventilateurs et 20 climatiseurs permettant ainsi de pourvoir chaque chambre de l'établissement d'un ventilateur ou d'un climatiseur. Il justifie également de la pose en 2019, de filtres anti-UV sur les fenêtres des chambres les plus exposées, de l'achat de plusieurs machines à glaçons, d'un congélateur et de l'utilisation de brumisateurs. Il résulte de ces éléments que l'insuffisance de climatiseurs et ventilateurs relevée par M. B... a été palliée par l'établissement au cours des années 2019 et 2020. Les informations délivrées par ce dernier tant au maire de Bourgoin-Jallieu qu'à la presse, qui concernent d'éventuels dysfonctionnements au sein de l'établissement, ne peuvent être qualifiés d'alerte au sens de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 précité, qui impose le signalement d'une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général. Au surplus, en l'espèce, aucun danger grave et imminent ou aucun risque de dommages irréversibles n'étant caractérisé, rien ne justifiait que les informations délivrées par M. B... soient directement rendues publiques en vertu de l'article 8 de la même loi. Par suite, c'est à tort que le tribunal a considéré que M. B... était fondé à se prévaloir de la protection légale octroyée aux agents publics par les dispositions précitées et qu'il a déclaré nulle de plein droit la sanction édictée.
6. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et la cour.
Sur les autres moyens soulevés :
7. D'une part, la décision en litige, après avoir visé notamment la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, celle du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière et le décret du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnées à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 précitée, fait mention des conditions dans lesquelles M. B... s'est adressé au maire de Bourgoin-Jallieu le 22 juillet 2019 et au journal " Le Dauphiné Libéré " témoignant selon le centre hospitalier de manquements à son obligation de discrétion, de réserve et de loyauté. Alors même qu'elle ne rappelle pas les propos tenus par l'intéressé, cette décision, qui énonce ainsi les griefs retenus, comporte les considérations de droit et de fait qui la fondent et est, par suite, suffisamment motivée.
8. D'autre part, aux termes de l'article 1-1 du décret du 6 février 1991 précité : " (...) II. - Sans préjudice de celles qui leur sont imposées par la loi, les agents mentionnés à l'article 1er du présent décret sont soumis aux obligations suivantes : / 1° Ils sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le code pénal et sont liés par l'obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et informations dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Sous réserve des dispositions réglementant la liberté d'accès aux documents administratifs, toute communication de documents de service à des tiers est interdite, sauf autorisation expresse de l'autorité dont ils dépendent. (...) ". Aux termes de l'article 39 du décret précité : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; / 3° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre jours à six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et de quatre jours à un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; / 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. / La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. (...) ". Aux termes de l'article 39-2 du décret du 6 février 1991 précité : " Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal. ".
9. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
10. En l'espèce, en révélant au public par l'intermédiaire du courrier adressé au maire de Bourgoin-Jallieu en août 2019 et dans un journal local en décembre 2019 des éléments relatifs au fonctionnement de l'EHPAD Delphine Neyret au sein duquel il était employé, M. B..., qui ne conteste pas la teneur des propos formulés qui ont été de nature à perturber le bon fonctionnement du service et à entacher l'image de l'établissement, a manqué à l'obligation de discrétion professionnelle et au devoir de réserve, qui s'imposent à tous les agents publics. Ces faits sont constitutifs de fautes de nature à justifier légalement le prononcé d'une sanction disciplinaire.
11. Au regard de la nature des faits reprochés et des fonctions de l'agent et alors même que l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'une précédente sanction disciplinaire, l'autorité disciplinaire n'a pas entaché la sanction d'exclusion temporaire de fonctions de six semaines dont deux avec sursis infligée à M. B... de disproportion et n'a ainsi pas commis d'erreur d'appréciation.
12. Enfin, en sanctionnant un manquement à l'obligation de discrétion professionnelle et au devoir de réserve de M. B..., le centre hospitalier Pierre Oudot n'a pas porté atteinte à la liberté d'expression ou la liberté d'opinion de ce dernier, garanties notamment par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le centre hospitalier Pierre Oudot est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré nulle de plein droit la sanction édictée à l'encontre de M. B... le 15 décembre 2020. La demande présentée par M. B... devant le tribunal doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier Pierre Oudot, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement d'une somme au centre hospitalier Pierre Oudot au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100630 du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal ainsi que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Pierre Oudot au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Pierre Oudot et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 8 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, président assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-NérisLe président,
Jean-Yves Tallec
Le greffier en chef,
Cédric Gomez
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier
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N° 23LY02694