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30/04/2025 | FRANCE | N°23LY02124

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 30 avril 2025, 23LY02124


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La commune de Nolay a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum M. B... A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est, représentée par son liquidateur Me Sabourin, la société GCBAT et la société Cominex à lui verser la somme de 84 684 euros sur le fondement de la garantie décennale, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle, en réparation des désordres affectant le re

vêtement de la place de la commune, outre prise en charge des frais et honoraires d'expertise liqui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Nolay a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum M. B... A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est, représentée par son liquidateur Me Sabourin, la société GCBAT et la société Cominex à lui verser la somme de 84 684 euros sur le fondement de la garantie décennale, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle, en réparation des désordres affectant le revêtement de la place de la commune, outre prise en charge des frais et honoraires d'expertise liquidés à la somme de 17 027,48 euros et des intérêts au taux légal.

Par jugement n° 1900272 du 26 avril 2023, le tribunal a mis hors de cause la société Cabinet d'études Marc Merlin (article 1er), a condamné solidairement M. A... et la société GCBAT à verser à la commune de Nolay la somme de 84 684 euros sur les fondements décennal et contractuel (article 2), a mis les frais et honoraires d'expertise solidairement à la charge de M. A... et de la société GCBAT (article 3), a mis solidairement à la charge des mêmes la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4), a condamné M. A... à garantir la société GCBAT à hauteur de 40% des condamnations prononcées aux articles 2, 3 et 4 (article 5), a condamné la société GCBAT à garantir M. A... à hauteur de 5 % des condamnations prononcées aux articles 2, 3 et 4 (article 6) et a rejeté le surplus des conclusions des parties (article 7).

Procédure devant la cour

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le numéro 23LY02124 le 26 juin 2023 et le 19 janvier 2024, la société GCBAT, représentée par Me Hebmann, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il la condamne et de rejeter la demande, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la condamnation prononcée ;

2°) de condamner M. A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est, représentée par son liquidateur Me Sabourin et la société Cominex à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nolay la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas réparti 100 % de la contribution à la dette entre les codébiteurs ;

- la commune a commis une faute contribuant à la réalisation du désordre dès lors qu'elle n'a pas affecté la place à sa destination initiale qui était d'accueillir des piétons et non des véhicules ;

- le montant des travaux a été surévalué, des devis ayant été établis à des montants de 64 968,24 euros TTC et 54 767,04 euros TTC ;

- elle est fondée à appeler en garantie la société Cabinet d'études Marc Merlin, dès lors qu'elle faisait partie du groupement de maîtrise d'œuvre et qu'elle a participé aux réunions, et la société Cominex, qui a fourni les pierres posées ;

- la cour doit fixer la part de responsabilité de la société SATP Sud Est.

Par mémoires enregistrés le 13 septembre 2023, le 10 novembre 2023 et le 18 octobre 2024, la société Cominex, représentée par Me Maurin, conclut au rejet de la requête et des conclusions dirigées contre elle, et demande à la cour :

1°) de condamner M. A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est et la société GCBAT à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de M. A..., de la société Cabinet d'études Marc Merlin, de la société SATP Sud Est et de la société GCBAT la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de sa responsabilité en tant que fournisseur des pierres posées ;

- en tout état de cause, elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de sa mission dès lors qu'elle n'était pas fabricant et qu'aucun vice affectant les pierres ne peut lui être reproché ;

- en cas de condamnation, elle est fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la société SATP Sud Est, qui a effectué la pose défectueuse, des membres du groupement de maîtrise d'œuvre, M. A... et la société Cabinet d'études Marc Merlin, à raison d'une conception imprécise et d'un défaut de suivi des travaux, de la commune de Nolay qui a modifié le projet, et de la société GCBAT pour ne pas avoir effectué de contrôle de la couche inférieure de la place.

Par mémoires enregistrés le 6 novembre 2023, le 9 janvier 2024 et le 9 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Lime-Jacques, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en tant qu'il le condamne et de rejeter toute conclusion dirigée contre lui ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter le montant de la condamnation à 35 000 euros HT et de condamner la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société GCBAT et la société Cominex à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nolay ou de tout succombant la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas réparti 100 % de la contribution à la dette entre les codébiteurs ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les demandes dirigées contre la SATP Sud Est étaient irrecevables, dès lors que ces demandes ne tendaient pas à une condamnation mais à la fixation de sa part de responsabilité ;

- les désordres n'étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs compte tenu de leur caractère apparent à la date de réception, et cette dernière n'ayant jamais été prononcée ;

- les réserves n'ayant jamais été levées, seule la responsabilité contractuelle des constructeurs pouvait être engagée ;

- en modifiant l'affectation de la place créée et en s'abstenant d'avoir recours à un contrôleur technique et de faire réaliser les missions EXE et OPC, la commune a commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;

- s'agissant de la responsabilité décennale, les désordres ne lui sont pas imputables ;

- s'agissant de sa responsabilité contractuelle, il n'a commis aucune faute ;

- le montant des travaux de reprise étant limité à 35 000 euros, la condamnation doit être ramenée à ce montant ;

- la condamnation doit être prononcée hors taxe ;

- il est fondé à appeler en garantie la société Cabinet d'études Marc Merlin, qui n'a pas, en qualité de spécialiste VRD, exigé un contrôle des nivellements et de la portance, la société GCBAT, qui n'a pas contrôlé le nivellement des couches inférieures, de la SATP Sud Est qui a confectionné un mortier friable et de la société Cominex en qualité de fabricant.

Par mémoire enregistré le 19 décembre 2023, la commune de Nolay, représentée par Me Gourinat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société GCBAT la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est fondée à solliciter la condamnation des constructeurs à lui verser la somme correspondant aux travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination, peu important que les travaux finalement réalisés aient un coût inférieur ;

- la responsabilité de la société GCBAT est engagée au titre de la garantie décennale due par les constructeurs à raison du lot n° 2, le défaut d'exécution du support n'étant pas apparent à la date de réception ;

- M. A... a commis un manquement à sa mission DET engageant sa responsabilité au titre de la garantie décennale due par les constructeurs ;

- la responsabilité des constructeurs peut également être retenue au titre de la garantie décennale à raison du lot n° 3, l'ampleur et la gravité des conséquences des désordres n'ayant pu être déterminées dans toute leur étendue que lors de l'expertise ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de M. A..., ce dernier n'ayant pas prévu une épaisseur de mortier suffisante ni prescrit de contrôles de nivellement, de portance et de fabrication du mortier ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité ;

- dès lors qu'elle ne relève pas d'un régime fiscal lui permettant de déduire tout ou partie de la taxe de celle qu'elle a perçue à raison de ses propres opérations, la condamnation doit être prononcée TTC.

Par mémoire enregistré le 25 septembre 2024, la société Cabinet d'études Marc Merlin, représentée par Me Balon, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) de condamner in solidum M. A..., la société GCBAT, la société SATP Sud-est et la société Cominex à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de la société GCBAT la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'est pas intervenue sur les travaux affectés de désordres ainsi qu'en témoigne la répartition des honoraires au sein du groupement ;

- le caractère solidaire du groupement ne saurait lui être opposé compte tenu de cette répartition des honoraires ;

- elle est fondée à appeler en garantie M. A..., la société GCBAT, la société SATP Sud-est et la société Cominex compte tenu des fautes relevées par l'expert.

II. Par une requête et des mémoires enregistrés sous le numéro 23LY02152 le 23 juin 2023, le 6 novembre 2023, le 9 janvier 2024 et le 9 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Lime-Jacques, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900272 du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon en tant qu'il le condamne et de rejeter toute conclusion dirigée contre lui ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter le montant de la condamnation à 35 000 euros HT et de condamner la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société GCBAT et la société Cominex à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nolay ou de tout succombant la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les demandes dirigées contre la SATP Sud Est étaient irrecevables, dès lors que ces demandes ne tendaient pas à une condamnation mais à la fixation de sa part de responsabilité ;

- les désordres n'étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs compte tenu de leur caractère apparent à la date de réception, et la réception n'ayant jamais été prononcée ;

- les réserves n'ayant jamais été levées, seule la responsabilité contractuelle des constructeurs pouvait être engagée ;

- en modifiant l'affectation de la place créée et en s'abstenant d'avoir recours à un contrôleur technique et de faire réaliser les missions EXE et OPC, la commune a commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;

- s'agissant de la responsabilité décennale, les désordres ne lui sont pas imputables ;

- s'agissant de sa responsabilité contractuelle, la faute qu'il a commise au stade du suivi d'exécution n'est pas de nature à engager sa responsabilité à hauteur du niveau retenu et il n'a commis par ailleurs aucune faute ;

- le montant des travaux de reprise étant limité à 35 000 euros, la condamnation doit être ramenée à ce montant ;

- la condamnation doit être prononcée hors taxe ;

- il est fondé à appeler en garantie la société Cabinet d'études Marc Merlin, qui n'a pas, en qualité de spécialiste VRD, exigé un contrôle des nivellements et de la portance, la société GCBAT, qui n'a pas contrôlé le nivellement des couches inférieures, de la SATP Sud Est qui a confectionné un mortier friable et de la société Cominex en qualité de fabricant ;

Par mémoires enregistrés le 24 août 2023, le 10 novembre 2023 et le 18 octobre 2024, la société Cominex, représentée par Me Maurin, conclut au rejet de la requête et toute conclusion dirigée contre elle, et demande à la cour :

1°) de condamner M. A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est et la société GCBAT à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de M. A..., de la société Cabinet d'études Marc Merlin, de la société SATP Sud Est et de la société GCBAT la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de sa responsabilité en tant que fournisseur des pierres posées ;

- en tout état de cause, elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de sa mission dès lors qu'elle n'était pas fabricant et qu'aucun vice affectant les pierres ne peut lui être reproché ;

- en cas de condamnation, elle est fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la société SATP Sud Est, qui a effectué la pose défectueuse, des membres du groupement de maîtrise d'œuvre, M. A... et la société Cabinet d'études Marc Merlin, à raison d'une conception imprécise et d'un défaut de suivi des travaux, de la commune de Nolay qui a modifié le projet et de la société GCBAT pour ne pas avoir effectué de contrôle de la couche inférieure de la place.

Par mémoire enregistré le 19 décembre 2023, la commune de Nolay, représentée par Me Gourinat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est fondée à solliciter la condamnation des constructeurs à lui verser la somme correspondant aux travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination, peu important que les travaux finalement réalisés aient un coût inférieur ;

- la responsabilité de la société GCBAT est engagée au titre de la garantie décennale due par les constructeurs à raison du lot n°2, le défaut d'exécution du support n'étant pas apparent à la date de réception ;

- M. A... a commis un manquement à sa mission DET engageant sa responsabilité au titre de la garantie décennale due par les constructeurs ;

- la responsabilité des constructeurs peut également être retenue au titre de la garantie décennale à raison du lot n°3, l'ampleur et la gravité des conséquences des désordres n'ayant pu être déterminées dans toute leur étendue que lors de l'expertise ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de M. A..., ce dernier n'ayant pas prescrit une épaisseur de mortier suffisante ni prescrit de contrôles de nivellement, de portance et de fabrication du mortier ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité ;

- dès lors qu'elle ne relève pas d'un régime fiscal lui permettant de déduire tout ou partie de la taxe de celle qu'elle a perçue à raison de ses propres opérations, la condamnation doit être prononcée TTC.

Par mémoire enregistré le 25 septembre 2024, la société Cabinet d'études Marc Merlin, représentée par Me Balon, conclut au rejet de la requête, et demande à la cour :

1°) de condamner in solidum M. A..., la société GCBAT, la société SATP Sud-est et la société Cominex à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'est pas intervenue sur les travaux affectés de désordres ainsi qu'en témoigne la répartition des honoraires au sein du groupement ;

- le caractère solidaire du groupement ne saurait lui être opposé compte tenu de cette répartition des honoraires ;

- elle est fondée à appeler en garantie M. A..., la société GCBAT, la société SATP Sud-est et la société Cominex compte tenu des fautes relevés par l'expert.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- les conclusions de Mme C...,

- les observations de Me Hebmann pour la société GCBAT, de Me Gourinat pour la commune de Nolay, de Me Lime pour M. A... et de Me Balon pour le Cabinet d'études Marc Merlin.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'une opération, engagée avec le département de la Côte-d'Or en 2002, d'aménagement de la voie principale traversant son territoire, la commune de Nolay a entrepris en 2012 des travaux de création d'une place publique sur les emprises d'un îlot d'immeubles démolis au croisement de la rue de la République et de la rue Saint-Pierre. La mission de maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement solidaire composé de M. B... A..., mandataire et de la société Cabinet d'études Marc Merlin par acte d'engagement du 15 novembre 2012. Les travaux du lot n° 2 Gros œuvre ont été confiés à la société Pascal Guinot Construction par acte d'engagement du 7 août 2013 et ceux du lot n° 3 Revêtement de sols scellés, à la société Travaux publics.com par acte d'engagement du 18 novembre 2013. La société Travaux publics.com a sous-traité ces prestations à la société SATP Sud Est. La fourniture des pierres du lot n° 3 a été assurée par la société Cominex. Les travaux du lot n° 2 ont été réceptionnés sans réserve le 18 décembre 2014, alors que ceux du lot n° 3 ont donné lieu à l'émission de réserves qui n'ont pas été levées. La commune de Nolay a constaté dès le mois de septembre 2014 un défaut de scellement et d'adhérence des dalles du revêtement de la place. A la demande de la commune, un expert judiciaire a été désigné par le président du tribunal administratif de Dijon aux fins de déterminer la cause de ces désordres et de proposer les travaux en vue d'y remédier. L'expert a remis son rapport le 27 novembre 2018.

2. La commune de Nolay a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner in solidum M. A..., la société Cabinet d'études Marc Merlin, la société SATP Sud Est, représentée par son liquidateur Me Sabourin, la société GCBAT venant aux droits de la société Pascal Guinot Construction et la société Cominex à lui verser la somme de 84 684 euros, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle, en réparation des désordres affectant le revêtement de la place, 17 027,48 euros au titre des frais d'expertise ainsi que les intérêts au taux légal.

3. Par jugement du 26 avril 2023, le tribunal a mis hors de cause la société Cabinet d'études Marc Merlin (article 1er), a condamné solidairement M. A... et la société GCBAT à verser à la commune de Nolay la somme de 84 684 euros sur les fondements décennal et contractuel (article 2), a mis les frais d'expertise d'un montant de 17 027,48 euros solidairement à la charge de M. A... et de la société GCBAT (article 3), a mis solidairement à la charge des mêmes la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4), a condamné M. A... à garantir la société GCBAT à hauteur de 40 % des condamnations prononcées aux articles 2, 3 et 4 (article 5), a condamné la société GCBAT à garantir M. A... à hauteur de 5 % des condamnations prononcées aux articles 2, 3 et 4 (article 6) et a rejeté le surplus des conclusions des parties (article 7).

4. La société GCBAT, d'une part, M. A..., d'autre part, relèvent appel principal de ce jugement par deux requêtes, enregistrées sous les numéros 23LY02124 et 23LY02152 qui ont trait au même litige et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un même arrêt. La commune de Nolay demande, à titre incident, la condamnation des autres constructeurs au titre de la garantie décennale. La société Cabinet d'études Marc Merlin et la société Cominex présentent des conclusions d'appel provoqué.

Sur la régularité du jugement entrepris :

5. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la circonstance que la contribution à la dette des coauteurs fixée par le tribunal n'atteint pas 100 % n'affecte pas la régularité du jugement.

6. En deuxième lieu, si une action peut être engagée contre une société postérieurement à la publication de la clôture des opérations de liquidation, dès lors que sa personnalité morale subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés, une telle action n'est recevable qu'à la condition qu'un mandataire ad hoc ait été désigné par décision de justice pour la représenter dans l'instance.

7. Il est constant que la SARL SATP Sud Est a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 27 novembre 2019. M. A... s'est abstenu de solliciter auprès du tribunal de commerce la désignation d'un mandataire ad hoc, en dépit de la demande qui lui avait été faite par le tribunal administratif de Dijon. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en rejetant comme irrecevables ses conclusions dirigées contre cette société, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité.

8. En dernier lieu, les conclusions d'appel en garantie des participants à l'exécution d'un marché public de travaux à l'encontre les uns des autres peuvent être présentées devant le juge administratif, du seul fait de cette qualité, à condition qu'aucun contrat de droit privé ne régisse leurs relations et, dans ce cas, l'action présentée est de nature quasi-délictuelle. A cet égard, un fournisseur a la qualité de participant à l'exécution d'un marché public de travaux.

9. Il s'ensuit que les conclusions d'appel en garantie formées par M. A... contre la société Cominex, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces deux intervenants à l'opération de travaux aient été contractuellement liés entre eux, relèvent de la juridiction administrative, ainsi que l'a régulièrement jugé le tribunal.

Sur les conclusions d'appel principal :

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs :

10. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La garantie décennale ne s'applique pas à des désordres qui étaient apparents lors de la réception de l'ouvrage.

11. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du procès-verbal de constat établi par un huissier le 11 avril 2016 ainsi que du rapport d'expertise, que les désordres litigieux se matérialisent uniquement par un défaut de scellement des pierres assurant le pavement de la place. La circonstance que des travaux des lots Gros œuvre et Revêtement de sols scellés aient été nécessaires à la réalisation du revêtement de cette place n'est pas de nature à créer des désordres distincts, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal.

12. Toutefois, il résulte de l'instruction, et, notamment, du compte-rendu de la réunion de chantier du 19 septembre 2014, que les agents de la police municipale ont constaté que les dalles en pierre grise " sonnaient le creux ", ce qui révélait nécessairement qu'elles ne reposaient pas sur un support uniforme. Il était par conséquent manifeste, à la date des opérations de réception, le 18 décembre 2014, que les travaux de gros œuvre ayant permis la pose de ces dalles étaient affectés de malfaçons, ces dalles étant placées en équilibre instable sur une sous-couche irrégulière. Un tel désordre, qui présentait un caractère apparent à la date des opérations de réception du lot n° 2, ne saurait, ainsi, engager la responsabilité décennale des constructeurs. Il s'ensuit que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que sa responsabilité était engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs impliqués dans l'exécution du lot n° 2. Par voie de conséquence, la société GCBAT ne pouvait être condamnée sur ce même fondement.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de M. A... :

S'agissant du principe de la condamnation :

13. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrages publics à des prestataires de droit privé, alors applicable : " Les études de projet ont pour objet : a) De préciser par des plans, coupes et élévations, les formes des différents éléments de la construction, la nature et les caractéristiques des matériaux et les conditions de leur mise en œuvre (...) ". Aux termes de l'article 9 de ce décret : " La direction de l'exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : a) De s'assurer que les documents d'exécution ainsi que les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions des études effectuées ; b) De s'assurer que les documents qui doivent être produits par l'entrepreneur, en application du contrat de travaux ainsi que l'exécution des travaux sont conformes audit contrat ; c) De délivrer tous ordres de service, établir tous procès-verbaux nécessaires à l'exécution du contrat de travaux, procéder aux constats contradictoires et organiser et diriger les réunions de chantier (...) e) D'assister le maître de l'ouvrage en cas de différend sur le règlement ou l'exécution des travaux ".

14. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport d'expertise, d'une part, que, s'agissant de la conception de l'ouvrage, M. A... a prévu, à l'article 3.2.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) commun à l'ensemble des lots, l'installation de dalles en pierre naturelle d'une épaisseur, limitée à 4 cm, insuffisante pour l'accueil de véhicules, ainsi que de joints entre les dalles de 8 mm lesquels, compte tenu de leur largeur, de l'absence de nivellement de la couche de fondation et du phénomène de dessication du mortier, a rendu les dalles instables. Par ailleurs, s'agissant de la direction de l'exécution des contrats, M. A... ne s'est pas assuré du nivellement de la couche de fondation ni de la qualité du mortier utilisé pour le jointoiement des pierres. La circonstance que le CCTP prévoit, à l'article 2.1.14, que le maître de l'ouvrage et l'architecte se réservent le droit de faire effectuer tous les prélèvements et essais de matériaux nécessaires, alors qu'il est constant que M. A... s'est abstenu de faire procéder à de tels essais, ne saurait l'exonérer de sa responsabilité dans les missions de conception et de contrôle lui incombant. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir n'avoir commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle.

15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et, notamment, de la délibération du conseil municipal du 6 février 2013 et du CCTP, que, dès la phase de projet, la place devait accueillir deux parkings d'une capacité de vingt emplacements. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en affectant partiellement l'ouvrage à la circulation automobile, la commune de Nolay en aurait fait un usage non conforme à sa conception initiale et aurait ainsi commis une faute de nature à exonérer le maître d'œuvre de sa propre responsabilité. De même, si la commune n'a pas fait appel à un contrôleur technique, une telle circonstance, dont il n'est pas démontré qu'elle aurait contribué à la survenue des malfaçons, n'est pas constitutive d'une faute exonératoire.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport d'expertise, que les travaux de reprise impliquent l'enlèvement de la totalité du dallage, lequel, même dans sa partie non encore atteinte par le phénomène de descellement, a vocation, compte tenu des vices affectant les fondations et le mortier de scellement et de la faible épaisseur des pierres employées, à le subir à terme, ainsi que la reprise de la couche de fondation et le remplacement des pierres naturelles par un enrobé. Se fondant sur un devis établi le 26 novembre 2018 par la société Pascal Guinot Travaux publics, l'expert a évalué le montant de ces travaux à 84 684 euros TTC. La circonstance que la société qui a établi ce devis est distincte de celle qui a réalisé les travaux n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant de ce devis. En revanche, M. A... produit un devis détaillé, établis par la société Rougeot le 18 juin 2019, pour un montant de 54 767, 04 euros TTC, pour des opérations strictement identiques à celles prévus par la société Pascal Guinot Travaux publics et de nature à assurer la réparation des malfaçons. La responsabilité contractuelle de M. A... n'étant engagée qu'à raison des travaux du lot n° 3, il y a toutefois lieu de déduire de ce devis les postes Démolition et évacuation du mortier (4 250 euros), reprofilage en grave bitume (6 660 euros) et mise en œuvre grave bitume (9 315 euros), soit 20 225 euros. Il s'ensuit que M. A... est fondé à demander la réduction de la condamnation, fixée par le tribunal à 84 684 euros TTC, à la somme de 34 542,04 euros TTC.

17. En dernier lieu, les collectivités territoriales bénéficiant, pour les prestations visées par l'article 256 B du code général des impôts, d'une présomption de non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à M. A... d'apporter des éléments de nature à renverser cette présomption. En se bornant à affirmer qu'il appartient à la commune de Nolay de démontrer qu'elle ne peut récupérer la taxe sur la valeur ajoutée laquelle constitue ainsi une charge non récupérable, M. A... ne justifie pas de l'assujettissement de la commune à la taxe. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la condamnation devrait être ramenée à son montant hors taxe.

18. Il s'ensuit que M. A... et la société GCBAT sont fondés à soutenir que leur responsabilité ne pouvait être engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs et que M. A... est fondé à demander que le montant de l'indemnité qu'il a été condamné à verser à la commune de Nolay sur le fondement de sa responsabilité contractuelle soit ramené de 84 684 euros TTC à 34 542,04 euros TTC.

Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Nolay :

19. Il ne résulte pas de l'instruction que la réception définitive des travaux du lot n° 3 ait été expressément prononcée. Les malfaçons, affectant la jointure et la stabilité des dalles formant le pavement de la place, ayant donné lieu à l'émission de réserves lors des opérations de réception, le 18 décembre 2014, qui n'ont jamais été levées, la réception ne pouvait être regardée comme acquise à la date à laquelle le désordre est apparu. Enfin, la prise de possession de l'ouvrage par la commune ne pouvait pas valoir levée de réserves. Ainsi, la responsabilité décennale des constructeurs ayant participé à ces travaux ne pouvait être engagée. Il s'ensuit que la commune de Nolay n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que la responsabilité de M. A... n'était pas engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs à raison des travaux du lot n° 3.

Sur les conclusions d'appel provoqué :

20. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la responsabilité de M. A... est engagée sur le terrain de sa responsabilité contractuelle. Eu égard à l'importance des fautes qu'il a commises, telles que rappelées au point 11, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a fixé sa part de responsabilité à 40 %.

21. En deuxième lieu, la société GCBAT, qui était uniquement chargée du lot n° 2 Gros œuvre, n'a commis aucune faute à l'origine des causes de désordre trouvant leur origine dans la réalisation du lot n° 3. Par suite, la société GCBAT est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle devait supporter une part de 5 % de la condamnation.

22. En troisième lieu, M. A..., qui se borne à faire valoir que la société Cabinet d'études Marc Merlin, en sa qualité de membre du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, est responsable envers le maître d'ouvrage de l'exécution de l'ensemble des prestations contractuelles du marché de maîtrise d'œuvre, ne démontre toutefois pas que sa cotraitante aurait commis une faute, dans les opérations qui lui étaient confiées, ayant contribué à la survenue du désordre qu'il a été condamné à indemniser. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que cette société devrait le garantir de cette condamnation.

23. En quatrième lieu, M. A..., qui contrairement à la demande de régularisation diligentée par le tribunal, n'a pas sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc de la société SATP Sud Est, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à que cette société soit condamnée à le garantir de sa propre condamnation.

24. En cinquième lieu, si la différence de porosité des pierres utilisées a pu accentuer le phénomène de descellement, cette différence résulte des prescriptions du CCTP, qui prévoyait notamment que les pierres de Buxy prescrites pouvaient être remplacées, s'agissant des dalles rouges, par des pierres Acienda. La société Cominex, qui s'est bornée à fournir des pierres conformes à celles commandées et non défectueuses, n'a, en conséquence, commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

25. Il s'ensuit que la société GCBAT est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à garantir M. A... à hauteur de 5 % de la condamnation et que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses appels en garantie formés à l'égard des autres constructeurs.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et la société GCBAT sont fondés à soutenir que leur responsabilité ne pouvait être engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs et que M. A... est fondé à demander que le montant de l'indemnité qu'il a été condamné à verser à la commune de Nolay sur le fondement de sa responsabilité contractuelle soit ramené de 84 684 euros TTC à 34 542,04 euros TTC.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter l'ensemble des demandes formées par les parties sur le fondement de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900272 du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon est annulé en tant qu'il prononce la condamnation solidaire de M. A... et de la société GCBAT à verser à la commune de Nolay la somme de 84 684 euros TTC (article 2) et qu'il condamne la société GCBAT à garantir M. A..., à hauteur de de 5 % de la condamnation prononcée à l'article 2 (article 6).

Article 2 : M. A... est condamné à verser à la commune de Nolay, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la somme de 34 542,04 euros TTC.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Nolay, à M. A..., à la société GCBAT, à la société Cabinet d'études Marc Merlin, à la société SATP Sud Est et à la société Cominex.

Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Une greffière,

2

N° 23LY02124-23LY02152


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02124
Date de la décision : 30/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : SCP THEMIS AVOCATS & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-30;23ly02124 ?
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