Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 1er février 2024 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois.
Par un jugement n° 2401067 du 6 février 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 mai 2024, M. A..., représenté par Me Dachari, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, alors qu'en application du 3° de l'article R. 431-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il disposait d'un délai de deux mois à compter de son dix-huitième anniversaire pour présenter une demande d'asile et qu'il n'était âgé de dix-huit ans que depuis un mois à la date de l'arrêté, et qu'en application du 2° de ce même article, et en sa qualité de jeune majeur pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, il pouvait se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du même code ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le refus de délai de départ volontaire est illégal du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ; il est entaché d'une erreur de fait et d'un défaut d'examen particulier de sa situation, alors qu'il n'est pas sans domicile mais réside chez son frère depuis la fin de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance ; le préfet s'est à tort fondé sur le 1° et le 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public et que le risque de fuite n'est pas avéré ; il justifie de circonstances particulières au sens de l'article L. 612-3 de ce code et la mesure est manifestement disproportionnée au regard de sa situation personnelle ;
- le préfet n'a pas procédé à l'examen particulier de sa situation avant de décider d'une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il justifie de circonstances particulières au sens de l'article L. 612-10 du même code ; la mesure est manifestement disproportionnée.
La requête a été communiquée au préfet du Puy-de-Dôme qui n'a pas présenté d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité afghane, né le 31 décembre 2005, est entré en France en 2021 selon ses déclarations. Il a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département du Cantal à compter du 16 septembre 2021. Le 21 février 2023, il a déposé une demande d'asile, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 24 octobre 2023. Par arrêté du 1er février 2024, le préfet du Puy-de-Dôme l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné un pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Par un jugement du 6 février 2024 dont M. A... relève appel, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé la décision portant interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur le bien-fondé :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...). ". Aux termes de l'article L. 542-1 du même code : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. (...) ". Selon l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. (...) ".
3. Aux termes de l'article R. 431-5 de ce code : " Si l'étranger séjourne déjà en France, sa demande est présentée dans les délais suivants : (...) 2° Au plus tard la veille de son dix-neuvième anniversaire, pour l'étranger mentionné aux articles (...) L. 423-22 ; (...) 3° Au plus tard, deux mois après la date de son dix-huitième anniversaire, s'il ne remplit pas les conditions de délivrance de l'un des titres de séjour mentionnés au 2°. (...) ". Aux termes de l'article L. 423-22 du même code : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".
4. L'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi ou une convention internationale prévoit qu'un étranger doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Et il résulte notamment des articles L. 611-1 et R. 431-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un étranger entré mineur en France peut demander un titre de séjour dans les deux mois suivant sa majorité et qu'il ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français que s'il s'est abstenu de solliciter un titre pendant cette période.
5. A la date de la décision attaquée, la demande d'asile de M. A... avait été définitivement rejetée. Par ailleurs et contrairement à ce qu'il soutient, M. A..., qui ne suit aucune formation, ne remplissait pas les conditions pour se voir remettre un titre de séjour de plein droit par application de l'article L. 423-22 ci-dessus. Toutefois, il n'est pas contesté qu'à la date de l'arrêté en litige, M. A... était âgé de dix-huit ans et un mois. Par suite, et alors que le délai de deux mois dont il disposait à compter de sa majorité pour demander un titre de séjour en application des dispositions précitées du 3° de l'article R. 431-5 n'était pas expiré, il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
6. Il résulte de ce qui précède M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Il y a lieu, par suite d'annuler cette décision, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant refus d'octroyer un délai de départ volontaire et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
8. Compte tenu de ses motifs, le présent arrêt implique seulement que le préfet du Puy-de-Dôme procède au réexamen de la situation de M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen et de lui allouer pour ce faire un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Dachary, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de cet avocat au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 6 février 2024 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination.
Article 2 : Les décisions du préfet du Puy-de-Dôme du 1er février 2024 portant obligation de quitter le territoire sans délai et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Puy-de-Dôme de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Dachary la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
La rapporteure,
I. Boffy
Le président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01489
kc