Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'établissement public voies navigables de France (VNF) a demandé au tribunal administratif de Lyon de constater que les faits relevés par procès-verbaux du 12 octobre 2018 et du 27 avril 2021 constituent une contravention de grande voirie réprimée par l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, de condamner M. A... B... au paiement d'une amende de 3 500 euros et de lui enjoindre d'évacuer l'emplacement du domaine public fluvial qu'il occupe irrégulièrement dans le délai d'un mois et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
Par jugement n° 2107447 du 28 mars 2023, le tribunal a condamné M. B... au paiement d'une amende de 5 000 euros, lui a enjoint de libérer l'emplacement qu'il occupe au PK 1.000 de la rive droite de la Saône, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et l'a condamné à verser à VNF la somme de 350 euros au titre des frais d'établissement du procès-verbal du 27 avril 2021 ;
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 30 mai 2023 et mémoires enregistrés le 10 février 2025 et le 21 mars 2025 (ce dernier non communiqué), M. B..., représenté par la SELARL JL avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de VNF ;
2°) de mettre à la charge de la VNF la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a prononcé une amende supérieure à celle qui était demandée ;
- le refus de lui attribuer un emplacement constitue un agissement discriminatoire méconnaissant l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques n'est pas applicable au stationnement d'un bateau sur le domaine public, de sorte que seule l'amende prévue par l'article L. 2132-26 de ce code, d'un montant maximal de 1 500 euros, pouvait être appliquée ;
- l'amende qui lui a été infligée méconnaît ainsi le principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'action publique était prescrite à la date du jugement ;
- les procès-verbaux du 12 octobre 2018 et du 27 avril 2021 ne lui ont été notifiés que le 11 mai 2021, de sorte que le délai de dix jours prévu par l'article L. 774-2 du code de justice administrative n'a pas été respecté, méconnaissant ainsi les droits de la défense ;
- la situation résulte du comportement de VNF qui n'a pas régularisé sa situation de façon injustifiée et méconnaît le principe de non-transmissibilité des conventions d'occupation temporaire, ce qui constitue une différence de traitement entre les usagers constitutive d'une rupture d'égalité et d'une discrimination ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la décision implicite de rejet née du silence de VNF à la suite de sa demande de conclusion de convention d'occupation du domaine public le 17 avril 2009 n'était pas irrecevable ;
- l'astreinte prononcée au titre de l'action domaniale est disproportionnée.
Par mémoire enregistré le 31 août 2023, VNF, représenté par la AARPI CLL avocats, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- les conclusions de Mme D... ;
- et les observations de Me Darmon pour VNF.
Considérant ce qui suit :
1. Par procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 12 octobre 2018, VNF a constaté que le bateau Coalescence dont M. B... est propriétaire stationnait au PK. 3.100 de la rive gauche de la Saône, au niveau de la commune de Lyon. Celui-ci s'étant déplacé au PK 1.000 de la rive droite de la Saône au niveau de la commune de La Mulatière, à compter du 19 octobre 2018, un nouveau procès-verbal a été dressé le 27 avril 2021. M. B... relève appel du jugement du 28 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamné au paiement d'une amende de 5 000 euros pour avoir enfreint l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques et l'a enjoint de libérer cet emplacement sous astreinte de 150 euros par jour passé un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Sur l'action publique :
2. Aux termes de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les (...) débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait (...), se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'autorité administrative compétente ".
3. En premier lieu, les dispositions précitées visent à maintenir le domaine public fluvial dans un état permettant qu'il en soit fait un usage conforme à sa destination et à assurer la sécurité de la navigation. Il s'applique à tout objet qui fait obstacle à un tel usage. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient M. B..., le stationnement sans droit ni titre de son bateau portant sur le domaine public fluvial constitue une infraction aux dispositions précitées et lui fait ainsi encourir une amende de 150 à 12 000 euros et que le tribunal a pu appliquer ce texte sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines.
4. En deuxième lieu, il n'appartient qu'au juge de moduler le montant de l'amende dans la limite du plafond fixé par les textes, en fonction de la gravité de l'atteinte portée au domaine public, sans égard au montant réclamé par le gestionnaire de la dépendance domaniale qui n'est, d'ailleurs, pas tenu d'exprimer une demande en ce sens. Il suit de là qu'alors même que la demande de VNF se bornait à demander que soit infligée une amende de 3 500 euros, le tribunal a pu, sans excéder son office, prononcer une amende d'un montant supérieur soit 5 000 euros, qu'il y a lieu pour la cour de confirmer, eu égard à l'atteinte portée à la circulation sur le domaine public fluvial.
5. En troisième lieu, d'une part, en vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin. En vertu de l'article 7 de ce code puis, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, de l'article 9-2 du même code, peuvent seules être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite de nature à interrompre la prescription en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif. Ces actes d'instruction ou de poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous les auteurs, y compris ceux qu'ils ne visent pas
6. D'autre part, aux termes du I de l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 : " L'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (...) est prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 inclus ". Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 : " Les dispositions de la présente ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, sont applicables sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 (...) ". Et aux termes de l'article 3 de cette ordonnance : " Les délais de prescription de l'action publique (...) sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'au terme prévu à l'article 2 ", soit le 10 août 2020.
7. S'agissant du procès-verbal du 12 octobre 2018, il résulte de l'instruction que VNF a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une première demande enregistrée le 17 mai 2019 sous le n° 1903828, qui a interrompu la prescription. En application des dispositions précitées, celle-ci a été suspendue à compter du 12 mars 2020 jusqu'au 10 août 2020. Or, il ressort des visas du jugement du 2 février 2021 ayant statué sur cette demande que le premier mémoire en défense a été enregistré au greffe de ce tribunal, le 29 juillet 2020, dont la communication a de nouveau interrompu la prescription. La prescription a ensuite de nouveau été interrompue par la notification du jugement puis par la nouvelle saisine du tribunal, le 22 septembre 2021. S'agissant du procès-verbal du 27 avril 2021, la prescription a également été interrompue à cette dernière date, puis de nouveau, pour les deux procès-verbaux, par la communication de la demande à l'avocat du défendeur et par celle de la dernière ordonnance de clôture de l'instruction, puis du jugement, respectivement le 25 janvier 2022, le 7 décembre 2022 et 30 mars 2023. Par suite, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal se serait à tort abstenu d'opposer la prescription de l'action publique.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L 774-2 du code de justice administrative : " dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet doit faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal ".
9. S'il résulte de l'instruction que M. B... n'a eu notification régulière des deux procès-verbaux que le 11 mai 2021 en méconnaissance des dispositions précitées, ce délai n'est pas impératif, comme il le reconnait d'ailleurs lui-même. Alors que, s'agissant du procès-verbal du 27 avril 2021, le délai n'a été dépassé que de quelques jours et que, s'agissant de celui du 12 octobre 2018, l'intéressé avait déjà été informé de son existence dès le 19 avril 2019, il ne résulte pas de l'instruction que ce retard ait constitué un quelconque obstacle à ce qu'il rassemble des moyens de preuve utiles à sa défense, l'intéressé ne contestant au demeurant pas la matérialité des faits. Ainsi, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le non-respect du délai prévu par les dispositions précitées l'aurait privé de de ses droits à la défense.
10. En cinquième lieu, la légalité d'une décision refusant d'octroyer une autorisation d'occupation du domaine public, qui peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir et donner lieu, le cas échéant, au prononcé d'une injonction à délivrer une telle autorisation, est sans incidence sur la légalité de l'action publique, comme d'ailleurs de l'action domaniale, sanctionnant une occupation passée sans droit ni titre.
11. Si M. B... fait valoir qu'il a effectué de nombreuses demandes de régularisation, s'il estime que chaque changement de propriétaire aurait dû libérer un emplacement d'occupation du domaine public et ne pas donner lieu à la transmission à son successeur et s'il explique qu'il est victime d'une rupture d'égalité et d'un traitement discriminatoire pour l'octroi d'une telle autorisation en méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces arguments sont sans incidence sur la légalité de l'action publique dès lors que faute d'avoir obtenu la délivrance d'une telle autorisation, il était occupant sans droit ni titre du domaine public.
Sur l'action domaniale :
12. Compte tenu du temps écoulé depuis le début de l'occupation irrégulière du domaine public et du refus persistant de l'intéressé de libérer l'emplacement qu'il occupe, il n'y a pas lieu de modifier l'astreinte de 150 euros par jour prononcée par le tribunal.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamné à payer une amende de 5 000 euros et lui a enjoint de libérer l'emplacement qu'il occupe au PK 1.000 de la rive droite de la Saône, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Sur les frais de procès :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le paiement des frais exposés par VNF en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B..., est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à voies navigables de France.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
M. Bertrand Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.
Le rapporteur,
B. C...Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY01845