Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'ordonner la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux des années 2014 et 2015 ainsi que des pénalités correspondantes mis à sa charge.
Par une ordonnance n° 2105655 du 15 décembre 2023, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 février 2024 et le 6 août 2024, M. A..., représenté par Me Tournoud, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de renvoyer l'affaire devant les premiers juges ;
3°) à défaut, de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.
Il soutient que :
- par un arrêt n° 21LY02810 du 2 mars 2023, la cour ayant épuisé sa compétence sur le terrain du bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge ainsi que sur la régularité de la procédure, le présent recours est limité aux pénalités appliquées au montant des rappels, qui ressortent d'une cause juridique distincte de celles déjà jugées et qui n'a pas été invoquée antérieurement ;
- dans son jugement du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble ne s'est pas prononcé sur des moyens propres aux pénalités, le maintien de celles-ci n'étant que la conséquence de la validation des rappels sur le terrain du bien fondé et sur celui de la procédure, de sorte qu'aucune autorité de la chose jugée par ce jugement ne peut être opposée ;
- dès lors que le contribuable qui fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations, la réclamation déposée contre les rappels résultant de la proposition de rectification du 6 décembre 2017 était parfaitement recevable, pour avoir été déposée avant le 31décembre 2017 ;
- la majoration de 80 % est insuffisamment motivée sur les considérations de fait qui en constituent le fondement ;
- l'administration ne démontre pas en quoi son activité imputée, qui n'est pas illicite, aurait été exercée de manière indépendante, à titre habituel et constant au sens de la jurisprudence ;
- une activité est occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales lorsque le contribuable n'a ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, ni souscrit les déclarations fiscales qui lui incombent, ces deux conditions étant cumulatives ;
- la seule défaillance déclarative est donc exclue du dispositif, de sorte que la majoration de 80 % appliquée aux rappels entrepris dans la catégorie des bénéfices non commerciaux est mal fondée ;
- la majoration de 80 % appliquée aux rappels entrepris est excusable en ce qu'elle procède d'une simple erreur ;
- s'agissant des sanctions appliquées aux sommes imposées entre ses mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, le montant des minorations est sans commune mesure avec celui invoqué par le service ;
- l'administration ne saurait se prévaloir seulement du taux de la minoration des revenus déclarés au regard des revenus réellement perçus aux fins de caractériser un manquement délibéré susceptible de justifier l'application de la majoration de 40 %.
Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions d'appel aux fins de décharge, en ce qu'elles portent sur les rappels d'impôt sur le revenu à hauteur de la fraction afférente aux revenus distribués et sur les rappels de prélèvements sociaux mis à sa charge au titre des années 2014 et 2015, ainsi que sur la majoration de 40 % dont ont été assortis ces rappels, sont irrecevables au regard de la réclamation préalable du 23 mai 2021 qui ne portait que sur le dégrèvement des rappels d'impôt sur le revenu mis à sa charge au titre des années 2014 et 2015 à concurrence de la fraction afférente aux bénéfices non commerciaux, ainsi que des pénalités correspondantes ;
- s'agissant des impositions supplémentaires mises à la charge du requérant au titre des années 2014 et 2015 à concurrence de la fraction afférente aux bénéfices non commerciaux et des pénalités correspondantes, la requête d'appel fondée sur une contestation des pénalités ressortant d'une cause juridique identique, est également irrecevable compte tenu de l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 17 juin 2021 et par la cour de céans dans son arrêt du 2 mars 2023 ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 24 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée le 30 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SA Editions Ambre, société de droit suisse, qui exerçait une activité d'édition d'ouvrages et disposait de bureaux pris en location au Touvet (Isère) dont M. A... était dirigeant et détenait 60 % du capital, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière d'impôt sur les sociétés, sur les exercice clos le 31 décembre 2014 et le 31 décembre 2015 à l'issue de laquelle l'administration a estimé qu'elle disposait en France d'un établissement stable justifiant son assujettissement à l'impôt sur les sociétés En conséquence de ce contrôle et d'un contrôle sur pièces, M. et Mme A... ont été assujettis, au titre des années 2014 et 2015, à des compléments d'impôt sur le revenu résultant de l'inclusion dans leurs revenus imposables, d'une part, de remboursements de frais et de dépenses comptabilisées en charges par la SA Editions Ambre dont l'administration a estimé qu'elles n'avaient pas été exposées dans l'intérêt de la société et qu'elle a imposées entre les mains de M. A... en tant que revenus distribués par l'établissement stable sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts et, d'autre part, de sommes facturées par celui-ci à la société au titre de travaux de mise en page que l'administration a imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux selon la procédure d'évaluation d'office de l'article L. 73-2° du livre des procédures fiscales. L'administration fiscale a appliqué la majoration de 40 %, pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts aux compléments d'impôt sur le revenu et aux contributions sociales établis au titre des revenus de capitaux mobiliers et la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1728-1 du code prévue en cas de découverte d'une activité occulte aux compléments d'impôt sur le revenu et aux contributions sociales établis au titre de l'activité non commerciale. Par un jugement n° 200706 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et de la majoration appliquée de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. Par un arrêt n° 21LY02810 du 2 mars 2023, la présente cour a rejeté l'appel interjeté par M. A... à l'encontre de ce jugement. Par une réclamation en date du 23 mai 2021, M. A... a contesté à nouveau l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux mis à sa charge au titre des années 2014 et 2015 à la suite de la proposition de rectification n° 2120 du 6 décembre 2017. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet par l'administration fiscale le 8 août 2021 au motif qu'elle était tardive. Par une ordonnance n° 2105655 du 15 décembre 2023, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté comme tardive et par suite manifestement irrecevable, sa demande aux fins d'ordonner la décharge des rôles supplémentaires d'impôts sur le revenu et de prélèvements sociaux des années 2014 et 2015 ainsi que des pénalités correspondantes mis à sa charge. Par la présente requête, M. A... relève appel de cette ordonnance, demande le renvoi de cette affaire devant le tribunal administratif de Grenoble et à titre subsidiaire, doit être regardé, compte tenu des moyens qu'il invoque, comme demandant la décharge des pénalités de 40 % et de 80 % correspondantes aux cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014 et 2015.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Selon l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales, le contribuable qui désire contester tout ou partie d'une imposition doit d'abord adresser une réclamation au service territorial de l'administration fiscale dont dépend le lieu d'imposition. Aux termes de l'article R. 196-1 de ce livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement (...) ". Aux termes de l'article de l'article R. 196-3 du même livre : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de redressement de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations. ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'un contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification dispose, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai égal à celui fixé à l'administration pour établir l'impôt, lequel expire, s'agissant de l'impôt sur le revenu, le 31 décembre de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la proposition de rectification lui a été régulièrement notifiée. La notification postérieure de la mise en recouvrement des impositions en cause n'a pas d'incidence sur ce délai.
4. Aux termes de l'article 10 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 : " I - Sont suspendus à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 23 août 2020 inclus et ne courent qu'à compter de cette dernière date, s'agissant de ceux qui auraient commencé à courir pendant la période précitée, les délais : / 1° Accordés à l'administration pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition et appliquer les intérêts de retard et les sanctions en application des articles L. 168 à L. 189 du livre des procédures fiscales ou de l'article 354 du code des douanes lorsque la prescription est acquise au 31 décembre 2020 ; (...). ".
5. Ces dispositions qui prévoient la suspension du délai de prescription doivent être regardées comme autorisant symétriquement la suspension du délai de forclusion des actions visant à la contestation des impositions ayant bénéficié de la suspension du délai de reprise.
6. Il résulte de l'instruction que les impositions en litige des années 2014 et 2015, qui ont été mises en recouvrement le 30 septembre 2018, ont fait l'objet d'une proposition de rectification datée du 6 décembre 2017. En application des dispositions des deux premiers alinéas du I de l'article 10 de l'ordonnance du 25 mars 2020, l'administration a bénéficié, du fait de la suspension intervenue du 12 mars au 23 août 2020, d'une prorogation du délai de reprise expirant le 31 décembre 2020 jusqu'au 14 juin 2021. Symétriquement, le délai spécial prévu à l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales dont bénéficiait M. A... pour contester les rectifications expirait également à la date du 14 juin 2021. Ainsi, la réclamation introduite par M. A... le 23 mai 2021, n'était pas tardive. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable et, par suite, à demander l'annulation de cette ordonnance.
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Grenoble pour qu'il statue à nouveau sur la demande de M. A....
Sur les dépens :
8. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées par l'appelant à ce titre doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance du 15 décembre 2023 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Grenoble.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Haïli, président-assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Djebiri, première conseillère,
- M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 avril 2025.
Le président-rapporteur,
X. Haïli
L'assesseure la plus ancienne
C. Djebiri
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00408