Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015 et présenté au directeur départemental des finances publiques de l'Isère une réclamation ayant le même objet.
Par un jugement n° 2005018, 2202810 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble, auquel la réclamation a été transmise d'office, a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 juin 2023 et le 16 juillet 2024, M. B..., représenté par Me Tournoud, demande à la cour :
1°) d'annuler ou de réformer ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- en considérant comme acquise la thèse de l'administration sur la qualification juridique de l'acte du 23 décembre 2015, le tribunal a méconnu son office ;
- le tribunal a commis des erreurs de droit et s'est mépris sur les faits ;
Sur le bien-fondé du jugement :
- la rectification issue de la proposition de rectification du 28 mai 2018 qui se fonde sur l'article 111 c) du code général des impôts, n'est pas motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- la réponse aux observations du contribuable sur le principe et le quantum de la taxation en nature de revenus de capitaux mobiliers est insuffisamment motivée ;
- dans la mesure où le service s'est implicitement mais nécessairement fondé sur la procédure instituée par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, il était tenu de lui offrir les garanties instituées par cette même disposition.
- le service n'a pas motivé sa réponse en ne se prononçant pas sur l'engagement de non-concurrence signalé au contrat du 23 décembre 2015 ;
- l'administration fiscale a méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales en ne l'informant pas de l'origine des renseignements obtenus auprès des tiers lui ayant permis d'établir la liste des clients de la société Exaeco et la date à laquelle les intéressés sont devenus clients de cette société ;
- le contrat conclu le 23 décembre 2015 comportait la cession de ses propres clients et un engagement de respect de la clientèle de la société Exaeco ;
- la rémunération de cette clause s'élève à 315 603 euros et relève de la qualification de plus-value professionnelle ;
- le versement en cause a fait l'objet d'une inscription explicite dans la comptabilité de l'entreprise et ne saurait être qualifié de libéralité occulte imposable sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts ;
- à défaut, les rappels ne peuvent en tout état de cause être maintenus dès lors que les sommes versées relèvent de bénéfices non commerciaux ;
- ces sommes constituent le prix du droit de présentation de la clientèle, soit des bénéfices non commerciaux éligibles au régime des plus-values à long termes et pour le solde, le prix de l'engagement de non concurrence qui figure au contrat ;
- en réplique, la demande de substitution de base légale de l'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, le priverait de la possibilité de soumettre à la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires la question du montant de son bénéfice non commercial ;
- par ailleurs, les bases imposables devront être réduites dans la mesure où la majoration appliquée de 25 % au titre de l'article158, 7, 1° du même code est mal fondée au vu de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'Homme en date du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France.
Par des mémoires, enregistré le 14 décembre 2023 et le 15 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, si la cour devait admettre que la somme de 315 603 euros a été versée en contrepartie d'un engagement de non-concurrence, il y a lieu de procéder à une substitution de base légale, ladite somme relevant des bénéfices non commerciaux, et devant être imposée, non pas selon le régime des plus-values professionnelles visées aux articles 93 quater et 39 duodecies et suivants du code général des impôts mais selon le barème progressif de droit commun de l'impôt sur le revenu et la substitution de base légale ne le privant d'aucune garantie.
Par une ordonnance du 16 juillet 2024, la clôture d'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu le 2 septembre 2024.
Par une ordonnance du 30 septembre 2024, l'instruction a été rouverte.
Par une ordonnance du 29 octobre 2024, la clôture a été fixée le 15 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Hakkar, représentant M. B... ;
Une note en délibéré présentée pour M. B... par Me Tournoud a été enregistrée le 25 février 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a exercé, à titre individuel, sa profession d'expert-comptable et de commissaire aux comptes jusqu'au 1er mai 1996, date à laquelle il a conclu avec la SARL Exaeco dont il était le gérant, un contrat de location civile portant sur sa clientèle d'expertise comptable moyennant le paiement d'une redevance qu'il a facturée jusqu'au 19 décembre 2015. Par un acte du 15 décembre 2001, il a cédé à cette société une partie de la clientèle donnée en location moyennant un prix de 112 000 euros. Lorsqu'il a été admis à la retraite, M. B... a, par acte du 23 décembre 2015, cédé à la SARL Exaeco, dont les titres ont été intégralement acquis par un acte du même jour par la société @Com.Expertise Rhône Alpes, d'une part, l'intégralité de la clientèle d'expertise comptable exploitée par la société dans ses locaux de Gières (Isère) moyennant un prix de 360 000 euros et, d'autre part, sa clientèle de commissariat aux comptes moyennant un prix de 26 000 euros. Dans sa déclaration de bénéfices non commerciaux n° 2035 souscrite au titre de l'année 2015, M. B... a déclaré les éléments incorporels cédés le 23 décembre 2015, d'un montant de 379 977 euros, dont 359 100 euros pour l'activité d'expertise comptable et 25 450 euros pour l'activité de commissariat aux comptes, en tant que plus-value professionnelle à long terme relevant des dispositions des articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts impliquant une exonération d'impôt sur le revenu et de contributions sociales sur le fondement de l'article 238 quindecies du code général des impôts, à concurrence de 219 342 euros, et une exonération d'impôt sur le revenu sur le fondement de l'article 151 septies A du code à concurrence de 160 635 euros. M. B... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur l'année 2015. A l'issue de ce contrôle et d'une vérification de comptabilité de la SARL Exaeco, devenue SAS Exaeco le 1er décembre 2015, diligentée parallèlement, le vérificateur, constatant que la cession du 23 décembre 2015 avait porté sur l'intégralité de la clientèle d'expertise comptable de M. B..., alors que celui-ci n'avait acquis aucun droit patrimonial sur la clientèle développée après 1996, a estimé que le prix de cession de la clientèle relevait, à concurrence de seulement 44 397 euros, du régime des plus-values professionnelles à long terme exonérées et que le prix acquitté par la société était, à hauteur de 315 603 euros, constitutif d'une libéralité imposable entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts. Constatant par ailleurs que la redevance de location de la clientèle d'expertise comptable, fixée à 10 % du chiffre d'affaires, versée à M. B..., comptabilisée en charge de l'exercice clos en 2015 par la SAS Exaeco pour un montant de 30 870 euros, était assise sur l'intégralité de la clientèle exploitée par la société alors que celle-ci était, à cette date, propriétaire d'une partie de cette clientèle, le vérificateur a estimé que la SAS Exaeco avait, dans cette mesure, commis un acte anormal de gestion et imposé l'avantage correspondant, évalué à 27 056 euros, entre les mains de M. B... sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts. En conséquence de la réintégration dans son revenu imposable de ces revenus de capitaux mobiliers majorés du coefficient de 1,25 prévu au 2° de l'article 158-7 du code, M. B... a été assujetti, au titre de l'année 2015, à un complément d'impôt sur le revenu, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et aux contributions sociales. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 11 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après les avoir jointes, a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ainsi que sa réclamation, ayant le même objet, qui lui avait été soumise d'office par le directeur départemental des finances publiques, procédant de l'imposition de la cession de la clientèle à la SAS Exaeco, à hauteur de 315 603 euros, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si l'appelant soutient que les premiers juges ont dénaturé les faits et commis diverses erreurs de droit ou de qualification juridique dans leur réponse apportée aux moyens soulevés, de tels moyens ne relèvent pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé. Les moyens tirés de prétendues irrégularités du jugement attaqué ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.
5. Il résulte de l'instruction que, pour déterminer la clientèle que M. B... avait constituée dans le cadre de son activité individuelle qu'il donnait en location à la SAS Exaeco depuis le 1er mai 1996, le vérificateur s'est fondé sur les listes de clients annexées aux actes de cession de 2001 et 2015 communiquées par M. B... lui-même dans le cadre de la vérification de comptabilité dont il a fait l'objet en matière de bénéfices non commerciaux au titre de l'année 2015 et a retenu les date de création légale qui figurent sur les registres d'informations légales accessibles au public pour identifier les clients de M. B... à la date du 1er mai 1996. Il s'ensuit que les renseignements sur lesquels il s'est fondé n'ont pas été obtenus auprès de tiers et que l'obligation de communication ne s'étendant pas aux informations librement accessibles au public, l'administration fiscale n'a pas méconnu l'obligation d'information du contribuable sur l'origine et la teneur des documents requise par les dispositions précitées.
6. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rehaussements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.
7. Il ressort de la proposition de rectification n° 2120 du 28 mai 2018 adressée à M. et Mme B..., concernant les conséquences de la vérification de la comptabilité de l'activité libérale d'expertise-comptable et de commissaire aux comptes de M. B..., et de celle de la vérification de comptabilité de la SAS Exaeco dont il était le dirigeant jusqu'au 23 décembre 2015, sur l'imposition personnelle de M. et Mme B..., qu'elles exposent les motifs des rehaussements envisagés, leur fondement légal ainsi que la catégorie de revenus et l'année d'imposition dont il s'agit. En particulier, ladite proposition de rectification mentionne les raisons pour lesquelles le service vérificateur a estimé que c'était à tort que M. B... avait considéré qu'il avait disposé de droits patrimoniaux sur l'intégralité de la clientèle qu'il avait cédé à la société Exaeco par l'acte de cession du 23 décembre 2015 et qui l'ont conduit à taxer, entres les mains de ce dernier, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers la libéralité correspondant à la partie du prix stipulé dans l'acte et excédant la valeur de la clientèle dans sa consistance à la date de mise en location.
8. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ". L'exigence de motivation qui s'impose à l'administration dans ses relations avec le contribuable vérifié en application du dernier alinéa de cet article s'apprécie au regard de l'argumentation de celui-ci.
9. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 3 juillet 2018, M. B... a présenté des observations sur la proposition de rectification n° 2120 du 28 mai 2018 adressée à M. et Mme B... au terme de laquelle le service vérificateur a estimé que le prix de cession de la clientèle relevait, à concurrence de seulement 44 397 euros, du régime des plus-values professionnelles à long terme exonérées et que le prix acquitté par la SAS Exaeco était, à hauteur de 315 603 euros, constitutif d'une libéralité imposable entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts. Dans ce courrier, M. B... a soutenu que la somme en litige, rémunérant un droit de présentation de la clientèle et un engagement de non-concurrence était imposable, à tout le moins à hauteur d'une quotité, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et non pas dans celle des revenus de capitaux mobiliers. Par une réponse aux observations du contribuable n° 3926 du 20 août 2018, portant sur la rectification du bénéfice non commercial et par une réponse aux observations du contribuable n° 3926 du 20 août 2018 portant sur le revenu global, l'administration fiscale a répondu, de façon circonstanciée aux différents arguments soulevés par lui dans ses observations en réponse à ladite proposition de rectification, et notamment sur les motifs pour lesquels l'intégralité, et non seulement une partie, de la somme en cause de 315 603 euros relevait de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Si l'appelant soutient, sans au demeurant préciser la référence de l'extrait cité, que " Dans sa réponse du 20 août 2018, l'administration fiscale lui oppose le fait qu'en ne déposant pas, malgré de telles observations, de déclaration rectificative visant à soumettre l'intégralité de la somme en cause à taxation au titre des bénéfices non commerciaux, il n'a pas entendu la faire imposer dans cette catégorie ", la critique de la pertinence des motifs retenus par le service vérificateur relève de l'appréciation du bien-fondé de l'imposition, et est sans incidence sur la motivation de la réponse aux observations du contribuable.
10. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité ".
11. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que fait valoir l'appelant, en n'admettant pas l'interprétation conférée par M. B... à la clause dite de " respect de la clientèle " stipulée dans l'acte de cession du 23 décembre 2015, pour lui en donner une qualification juridique différente de simple clause accessoire indissociable de la cession, l'administration fiscale n'a pas entendu écarter ce contrat au motif qu'il aurait été conclu de manière fictive ou, le requérant recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes, dans le seul but d'éluder l'impôt. Dans ces conditions, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que l'administration fiscale a entendu, implicitement mais nécessairement, réprimer un abus de droit. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition est irrégulière à défaut de saisine du comité prévu à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
12. D'une part, aux termes de l'article 93 du code général des impôts applicable aux bénéfices commerciaux : " Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession. (...). Il tient compte des gains ou des pertes provenant de la réalisation des éléments d'actifs affectés à l'exercice de la profession, soit des cessions de charges ou d'offices ainsi que de toutes indemnités reçues en contrepartie de la cessation de l'exercice de la profession ou du transfert d'une clientèle ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession, sans que cet avantage soit assorti d'une contrepartie. Dans le cas où le vendeur et l'acquéreur sont liés par une relation d'intérêts, l'intention d'octroyer et de recevoir une libéralité est présumée.
13. D'autre part, si la convention par laquelle un professionnel libéral donne en location à une société la clientèle civile qu'il exploitait à titre personnel conduit celui-ci à poursuivre son activité sous une autre forme, sans qu'il y ait cessation d'activité, elle n'a pas le caractère d'un contrat de location-gérance au sens des articles L. 144-1 et suivants du code de commerce. Une telle convention ne confère notamment au bailleur aucun droit patrimonial sur l'accroissement ultérieur de la clientèle de la société lié à l'activité même de celle-ci pendant la durée de la location. Ainsi, si la clientèle d'une société d'expertise comptable constitue en principe un tout, cette circonstance n'a pas pour effet de conférer un droit patrimonial sur l'intégralité de cette clientèle à l'associé qui a donné en location à cette société, antérieurement à cette cession, sa clientèle personnelle.
14. Il résulte de l'instruction que, pour fonder les impositions en litige, l'administration fiscale a estimé que, dans le cadre de la cession du 23 décembre 2015, M. B... avait cédé à la SAS Exaeco les éléments incorporels et corporels du fonds civil d'expertise comptable sis 7 allée du Pérou à Gières (Isère) et que cette cession avait porté sur l'intégralité de la clientèle exploitée par cette société, c'est-à-dire à la fois sur celle initialement constituée par M. B... et que celui-ci avait donnée en location depuis le 1er mai 1996 à la société, d'une part, et celle développée par celle-ci après cette date, d'autre part. Par suite, distinguant la clientèle civile donnée en location par M. B... à la SAS Exaeco, depuis 1996, de la clientèle résultant du fruit de l'activité de cette société, l'administration fiscale a estimé que la SAS Exaeco avait acquis du requérant une clientèle dont il n'était que partiellement propriétaire, de sorte que le prix de la cession, réalisée à une prix anormalement élevé, constituait une libéralité consentie à M. B... pour la partie excédant la valeur de la clientèle dans sa consistance à la date de la mise en location, ne comportant pas de contrepartie pour la société. Le service a fixé le montant de ladite libéralité à 315 603 euros, par différence entre le prix total de vente de la clientèle d'expertise comptable exploitée, soit 360 000 euros, et la valeur en 2015 de la clientèle donnée en location depuis 1996, soit 44 397 euros, et a taxé cette somme entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement de l'article 111 c. du code général des impôts.
15. M. B... soutient que l'acte du 23 décembre 2015 ne comportait que la cession de ses propres clients, c'est-à-dire des huit clients qui faisaient l'objet d'une location de clientèle civile depuis 1996, le surplus du prix étant en revanche uniquement destiné à rémunérer la clause par laquelle il s'engageait à respecter la clientèle de la SAS Exaeco, clause assimilable à une clause de non-concurrence. Toutefois, il résulte des stipulations mêmes de la convention dont s'agit que la cession et son évaluation incluent l'intégralité de la clientèle d'expertise comptable exploitée, y compris celle résultant du fruit de l'activité de la SAS Exaeco depuis la date de mise en location de la clientèle de M. B... en 1996. Alors qu'il n'est pas sérieusement contesté que la cession en litige est intervenue à la date à laquelle M. B... cessait son activité et faisait valoir ses droits à la retraite, il ne résulte pas de ces mêmes stipulations, notamment des articles I g) et h), que les parties cocontractantes aient entendu rétribuer une clause de non-concurrence s'imposant à M. B..., lesdites clauses se bornant à lui interdire l'exécution de travaux d'expertise comptable concernant les dossiers des clients listés en annexe C existant à la date de l'acte de cession du 23 décembre 2015.
16. En revanche, l'administration fiscale n'établit ni même n'allègue l'intention de la société d'accorder une libéralité à M. B... et l'intention de ce dernier de recevoir de telles libéralités. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction qu'existerait à la date de la cession dont s'agit une relation d'intérêt entre la société et M. B..., dirigeant de droit et détenteur des titres jusqu'au 21 décembre 2015. Par suite, M. B..., qui a en outre déclaré le gain tiré de cette cession au titre de ses revenus de l'année 2015 comme une plus-value professionnelle à long terme, est fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a imposé la somme de 315 603 euros comme un avantage occulte sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.
17. Le ministre intimé demande, à titre subsidiaire, que la somme en litige, initialement imposée entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux commerciaux, soit imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
18. L'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
19. Si M. B... soutient que la substitution de base légale demandée par l'administration le prive de la garantie tenant à la possibilité de saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, la qualification catégorielle de la somme en litige relève d'une question de droit ne ressortissant pas à la compétence de ladite commission et, d'ailleurs, la commission dans son avis du 17 septembre 2019 s'est déclarée incompétente pour qualifier la catégorie dans laquelle l'indemnité due à raison de la clause de non-concurrence est imposable. En outre, cette substitution ne soulève aucune question que le contribuable n'aurait pas été en mesure de soumettre à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de la procédure suivie à son égard.
20. Il s'ensuit que la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, qui ne prive le contribuable d'aucune garantie en matière de procédure d'imposition, doit être accueillie. Par suite, la somme litigieuse, initialement imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, doit être imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
21. Par conséquent, M. B... est seulement fondé à demander la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015 à raison de la différence entre la base résultant de l'application à tort par l'administration des règles d'assiette propres à la catégorie de revenus de capitaux mobiliers et la base résultant de l'application des règles d'assiette propres à la catégorie des bénéfices non commerciaux à laquelle se rattache la somme de 315 603 euros en litige issue de la cession de sa clientèle d'expertise-comptable.
22. Par voie de conséquence, l'application du coefficient de 1,25 prévu au 2° de l'article 158-7 du code général des impôts ne constituant pas un chef de rectification autonome, il y a lieu de prononcer la décharge du supplément d'impôt sur le revenu et des contributions sociales résultant de l'application de la majoration de 25 % de la base de l'année 2015.
23. Il résulte de l'ensemble ce que qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen propre aux contributions sociales, que l'appelant est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble ne lui a pas accordé, dans cette mesure, une réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur les frais liés au litige :
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est accordé à M. B... la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, à concurrence, d'une part, de l'imposition de la somme de 315 603 euros issue de la cession de sa clientèle d'expertise-comptable, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et non dans celle des revenus de capitaux mobiliers, et, à concurrence, d'autre part, de la fraction correspondant à la majoration de 25 % de la base appliquée sur le fondement du 2° de l'article 158-7 du code général des impôts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le jugement n° 2005018, 2202810 du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 mars 2025.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY02110