Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL CH Bonnegarde a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2019 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer une autorisation pour la création d'une microcentrale hydroélectrique utilisant les eaux du torrent de Bonnegarde sur la commune de la Plagne-Tarentaise, et d'enjoindre audit préfet de lui délivrer l'autorisation sollicitée.
Par un jugement n° 2000903 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 7 août 2023, et deux mémoires, enregistrés les 29 mai et 12 novembre 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SARL CH Bonnegarde, représentée par Me Remy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2019 du préfet de la Savoie ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car il n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe de participation du public en raison du changement de circonstances de fait qui a eu lieu à l'issue de l'enquête publique ;
- l'arrêté contesté a été pris au terme d'une procédure méconnaissant les dispositions du second alinéa de l'article R. 123-18 du code de l'environnement dès lors que le procès-verbal qui lui a été communiqué n'était pas accompagné d'une présentation du projet concurrent de la société Sumatel et qu'elle n'a pas été en mesure de répondre aux observations du commissaire enquêteur ;
- l'enquête publique est entachée de plusieurs vices qui ont nui à la bonne information du public, privé le pétitionnaire de la garantie de pouvoir présenter utilement ses observations à l'issue de l'enquête et exercé une influence sur le sens de la décision du préfet ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 211-1 du code de l'environnement et L. 311-5 du code de l'énergie ;
- le préfet a commis un détournement de pouvoir en organisant une mise en concurrence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2024, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 17 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 12 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Kabra, représentant la société SARL CH Bonnegarde.
Une note en délibéré, enregistrée le 18 février 2025, a été présentée par la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Considérant ce qui suit :
1. La société CH Bonnegarde a déposé en octobre 2015 une demande d'autorisation de création d'une microcentrale hydroélectrique utilisant les eaux du torrent de Bonnegarde sur le territoire de la commune de La Plagne-Tarentaise, instruite selon les modalités de l'expérimentation d'autorisation unique de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014. Par un jugement du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté en raison du non-respect de la procédure contradictoire prévue à l'article R. 214-12 du code de l'environnement. Les services de l'Etat ont repris l'instruction de cette demande et ont transmis à la société CH Bonnegarde, par un courrier du 16 septembre 2019, un projet de refus d'autorisation auquel elle a répondu par lettre du 25 octobre 2019. Par un arrêté du 26 décembre 2019, le préfet de la Savoie a refusé de délivrer à la société à responsabilité limitée (SARL) CH Bonnegarde l'autorisation sollicitée, au motif que le site du projet retenu dans la demande d'autorisation environnementale du pétitionnaire " fait l'objet d'une demande de concession dans le cadre d'un projet concurrent dont les impacts sur l'environnement ne sont pas objectivement disproportionnés ", que ce projet concurrent présente une " meilleure utilisation de la ressource hydrique ", et qu'il " procède d'une meilleure optimisation énergétique du fait d'un productible annuel significativement supérieure ". La SARL CH Bonnegarde relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " I. Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ; / 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; / 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; / 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; / 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; / 5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; / 6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ; / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. / Un décret en Conseil d'État précise les critères retenus pour l'application du 1°. / II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; / 3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. (...). ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code, dans sa version applicable au litige : " II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également (...) / 8° La prise en compte des critères mentionnés à l'article L. 311-5 du code de l'énergie, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité en application de l'article L. 311-1 de ce code ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 311-5 du code de l'énergie : " L'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité est délivrée par l'autorité administrative en tenant compte des critères suivants : 1° L'impact de l'installation sur l'équilibre entre l'offre et la demande et sur la sécurité d'approvisionnement, évalués au regard de l'objectif fixé à l'article L. 100-1 ; 2° La nature et l'origine des sources d'énergie primaire au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 ; 3° L'efficacité énergétique de l'installation, comparée aux meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable; 4° Les capacités techniques, économiques et financières du candidat ou du demandeur ; 5° L'impact de l'installation sur les objectifs de lutte contre l'aggravation de l'effet de serre. / L'autorisation d'exploiter doit être compatible avec la programmation pluriannuelle de l'énergie ".
4. Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l'un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l'autorité administrative compétente, lorsqu'elle autorise au titre de cette police de l'eau des installations ou ouvrages de production d'énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage.
5. Le projet de la SARL CH Bonnegarde consiste à capter les eaux du torrent de Bonnegarde à une altitude de 1 450 mètres NGF pour les turbiner à une altitude d'environ 758 mètres NGF. Il prévoit un débit d'équipement de 0,65 m³/s égal à 0,97 le module du cours d'eau avec une chute de 683 mètres, soit une puissance maximale brute développée par l'aménagement projeté de 4 356 kW, en limite du seuil de la concession de service public établi à 4 500 kW. Contrairement à ce que le ministre soutient en défense, si la décision de refus de délivrer l'autorisation demandée par la société pour la création d'une microcentrale hydroélectrique utilisant les eaux du torrent de Bonnegarde rappelle qu'il relève de l'autorité administrative de prendre en compte la gestion optimale de la ressource en eau afin de favoriser notamment l'efficacité énergétique des installations autorisées, et vise les 5° et 6° de l'article L. 211-1 du code de l'environnement et l'article L. 311-5 du code de l'énergie, cette décision n'est fondée ni sur le caractère non optimal de l'efficacité énergétique du projet présenté, ni sur la circonstance que celui-ci aurait révélé une insuffisante conciliation des intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement et ne permettrait pas une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, ou qu'il méconnaîtrait les objectifs de l'article L. 311-5 du code de l'énergie. Au demeurant, à supposer même que ce motif relatif à l'optimalité du projet constitue le fondement de la décision contestée, une telle appréciation ne relève pas du contrôle que l'administration doit opérer sur la valorisation économique de l'eau dans le cadre du respect de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et de la conciliation dont elle a la charge entre la préservation du patrimoine hydraulique et le développement du potentiel de production électrique propre à chaque ouvrage. Il ressort des termes de la décision de refus opposée à la SARL requérante que son projet, placé sous le régime de l'autorisation, a été refusé par seule comparaison avec un projet de concession sur le même site présenté par un tiers, révélant un potentiel de production électrique supérieur au potentiel de l'ouvrage projeté. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le préfet n'a porté aucune appréciation sur les mesures prescrites dans la demande d'autorisation, de nature à répondre aux objectifs précédemment mentionnés dans le cadre de l'utilisation efficace de la ressource en eau sollicitée, en l'espèce les eaux du torrent de Bonnegarde. En s'abstenant de procéder à cet examen, le préfet a méconnu les principes rappelés au point 4 et les prescriptions résultant des dispositions des articles L. 211-1 du code de l'environnement et L. 311-5 du code de l'énergie.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la SARL CH Bonnegarde est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Il y a par suite lieu d'annuler ce jugement et l'arrêté contesté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté du préfet de la Savoie retenu par le présent arrêt, et en l'absence de toute consultation ou publication de l'avis en vue de la création d'une concession hydroélectrique sur le torrent de Bonnegarde sur le territoire des communes d'Aime-la-Plagne et de La Plagne-Tarentaise, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de réexaminer la demande d'autorisation environnementale présentée par la SARL CH Bonnegarde.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 juin 2023 et l'arrêté du 26 décembre 2019 du préfet de la Savoie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Savoie de réexaminer la demande de la SARL CH Bonnegarde.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL CH Bonnegarde une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée CH Bonnegarde, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 18 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2025.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY02600