La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2025 | FRANCE | N°24LY01307

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 27 février 2025, 24LY01307


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2023 par lequel le préfet de la Savoie l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.



Par un jugement n° 2400400 du 16 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 6 mai 2024, Mme B..., représentée p

ar Me Huard, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;



2°) d'enjoindre au préfet de Savoie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2023 par lequel le préfet de la Savoie l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Par un jugement n° 2400400 du 16 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Huard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) d'enjoindre au préfet de Savoie de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que le préfet n'a pas fixé le pays de destination qui doit assortir une décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle a soulevé le moyen tiré d'un défaut d'examen de sa situation personnelle quant aux éléments dont elle a justifié au regard du conflit en Ukraine ; le jugement n'a répondu à ce moyen que par une motivation stéréotypée ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la motivation de la décision est stéréotypée et occulte les éléments de sa situation personnelle ;

- elle a été privée de son droit à être entendue préalablement à la décision d'éloignement ;

- le préfet n'a pas procédé à l'examen particulier de sa situation personnelle, notamment quant au conflit armé en Ukraine ;

- le préfet n'a pas fixé le pays de destination qui doit assortir une décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle ne fixe aucun pays de destination ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un courrier du 31 janvier 2025, la cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions de Mme B... tendant à l'annulation d'une décision fixant le pays de renvoi, lesquelles sont dirigées contre un acte inexistant.

Par un mémoire enregistré le 4 février 2025, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., de nationalité ukrainienne, déclare être entrée en France le 3 septembre 2019. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) rendue le 4 mai 2021 et confirmée le 21 février 2022 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Sa demande de réexamen de sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'OFPRA rendue le 28 février 2023 et confirmée le 7 novembre 2023 par la CNDA. Par un arrêté du 21 décembre 2023, le préfet de la Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme B... relève appel du jugement du 16 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Mme B... soutient que le magistrat désigné par le président du tribunal n'a pas répondu à ses moyens, opérants, tirés de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français du fait de l'absence de décision fixant le pays de destination et du défaut d'examen de sa situation particulière et que la motivation du jugement serait stéréotypée. Toutefois, le jugement vise ces moyens auxquels il répond en ses points 4 et 6 notamment. Par suite, et alors que le magistrat désigné n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par Mme B..., cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'une omission à répondre à un moyen ni qu'il est insuffisamment motivé.

Sur la recevabilité des conclusions de première instance :

4. Il ressort de l'arrêté contesté du 21 décembre 2023, et plus particulièrement de son dispositif, que le préfet de la Savoie n'a pris aucune décision fixant le pays de destination. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation d'une telle décision, dont Mme B... n'a pas fait l'objet, sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

7. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été convoquée en préfecture à la date du 21 septembre 2023, par un mail du 12 septembre 2023 qui l'invitait à présenter " tous les éléments nécessaires " pour l'examen des " conditions pour obtenir une carte de séjour ". Si Mme B... indique qu'à défaut d'avoir été informée qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement elle n'a pas pu présenter des observations sur sa situation personnelle et familiale et sur les risques encourus en cas de retour dans son pays d'origine, elle ne fait toutefois valoir aucun élément qu'elle n'aurait pas été en mesure de présenter lors de son déplacement en préfecture qui aurait été susceptible d'avoir une influence sur la décision d'éloignement et qui aurait pu conduire le préfet à prendre une décision différente. Elle indique d'ailleurs qu'elle aurait présenté à cette occasion une demande de protection temporaire en qualité de ressortissante ukrainienne en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire pour certaines catégories de personnes déplacées. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu son droit à être entendue.

9. En deuxième lieu, la décision rappelle le caractère récent de l'entrée en France de Mme B..., la circonstance que ses demandes d'asile et de réexamen au titre de l'asile ont été rejetées par l'OFPRA et par la CNDA, que l'intéressée, qui a passé l'essentiel de son existence hors de France, n'y a pas d'autre attache que la présence de sa mère, en situation régulière, avec laquelle elle n'a toutefois pas vocation à résider. Si Mme B... soutient qu'elle a vainement fait part d'éléments au préfet sur la situation en Ukraine, il n'en reste pas moins que de tels éléments demeuraient sans effet utile sur une décision d'éloignement, et le préfet, dont rien ne permet de dire qu'il n'aurait pas procédé à l'examen particulier de la situation de Mme B..., n'était pas tenu de motiver sa décision d'éloignement sur ce point. Les moyens tirés d'un défaut de motivation de l'arrêté contesté, qui comporte les éléments de droit et de faits sur lesquels il repose, et d'examen de la situation personnelle de l'intéressée, ne peuvent qu'être écartés.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du CESEDA : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office. ".

11. La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de l'obligation de quitter le territoire français. Elle est ainsi sans incidence sur la légalité de la décision d'éloignement. Dès lors, la circonstance que l'administration n'édicte pas dans un même acte l'obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi de l'intéressé est sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement, mais fait seulement obstacle à ce qu'elle puisse être exécutée d'office. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale du fait de l'absence de décision fixant le pays de destination, et de l'obstacle qu'une telle absence constituerait pour son exécution d'office.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (..). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ".

13. Il ressort des pièces du dossier que l'entrée en France de Mme B... est récente, que ses demandes d'asile ont été rejetées, qu'elle est célibataire et sans enfant à charge, qu'elle a vécu l'essentiel de son existence hors de France, en Ukraine et en Russie. Son frère est également en situation irrégulière. Si la mère de la requérante, dont le mari est décédé en Ukraine en 2021, a obtenu la qualité de réfugiée en France, Mme B..., âgée de quarante-quatre ans à la date de la décision, n'a toutefois pas vocation à résider avec sa mère, qui n'est ni à sa charge ni en situation de dépendance. Mme B..., qui ne se prévaut d'aucun élément d'intégration particulier sur le territoire français, ne peut être regardée comme ayant en France le centre de ses intérêts. Dès lors, la décision contestée n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

14. En dernier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent utilement être soulevés au soutien de conclusions tendant seulement à l'annulation d'une décision portant obligation de quitter le territoire français.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.

Délibéré après l'audience du 13 février 2025 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.

La rapporteure,

I. BoffyLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01307

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01307
Date de la décision : 27/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-27;24ly01307 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award