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13/02/2025 | FRANCE | N°23LY03789

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 13 février 2025, 23LY03789


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 2 mai 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.



Par un jugement n° 2305294 du 9 novembre 2023, le tribunal a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. B... un

titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois et après remis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 2 mai 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2305294 du 9 novembre 2023, le tribunal a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois et après remise sous quinzaine d'une autorisation provisoire de séjour et de travail.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée au tribunal par M. B....

Il soutient que :

- l'arrêté ne porte au requérant aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

- le signataire de cet arrêté bénéficiait d'une délégation de signature dument publiée ;

- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français sont suffisamment motivées ;

- le refus de séjour ne méconnaît pas l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires enregistrés le 22 octobre 2024 et le 4 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Alampi, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;

- il est entaché de l'incompétence de son signataire ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- son droit d'être entendu avant que ne soit prise l'obligation de quitter le territoire français a été méconnu ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée de l'incompétence de son signataire ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la fixation du pays de destination est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Evrard.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 9 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 2 mai 2023 rejetant la demande de titre de séjour de M. B... présentée sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur le motif d'annulation du tribunal :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant turc né le 20 juin 1990, a épousé en France, le 26 mars 2022, une compatriote titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle régulièrement renouvelée depuis 2016. Toutefois, l'intimé est entré récemment en France, le 17 août 2020, selon ses déclarations, et n'a jamais été admis au séjour, à l'exception de la période durant laquelle sa demande d'asile a été instruite. A la date de la décision en litige, le mariage était récent, les photographies et pièces produites ne permettant pas d'établir l'existence d'une communauté de vie qui l'aurait précédé, et aucun enfant n'était né de cette union. Il n'est fait état d'aucun élément faisant obstacle à ce que les intéressés poursuivent leur vie privée et familiale en Turquie, pays dont ils sont tous les deux ressortissants et les craintes de M. B... en cas de retour dans ce pays n'ont pas été regardées comme établies par la Cour nationale du droit d'asile et ne le sont pas non plus dans la présente instance. Enfin, ni la présence d'oncles et de tantes ainsi que de cousins, ni l'exercice par l'intimé d'une activité professionnelle ponctuelle ne sauraient démontrer l'existence d'une vie privée et familiale ancienne, intense et stable en France. Dans ces circonstances, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que la décision refusant d'admettre M. B... au séjour ne porte à l'intéressé aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et ne méconnaît pas les stipulations citées au point 2. Il s'ensuit que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le refus de séjour pour ce motif.

4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

Sur les autres moyens :

5. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme D... C..., attachée principale, cheffe du service de l'immigration et de l'intégration, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par arrêté du préfet de l'Isère du 26 juillet 2022. Cet arrêté de délégation, librement accessible sur le site internet de la préfecture, a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de l'Isère du même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français en litige doit être écarté.

6. En deuxième lieu, le préfet de l'Isère a statué sur une demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par M. B..., lequel a ainsi été en mesure d'exposer utilement les motifs pour lesquels il estimait devoir être autorisé à séjourner sur le territoire français. En outre, l'intimé ne fait état d'aucun élément qui, s'il avait été connu de l'administration, aurait pu faire obstacle à ce qu'il soit éloigné. Le préfet de l'Isère n'a ainsi pas méconnu le droit de M. B... d'être entendu avant d'adopter les décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français en litige.

7. En troisième lieu, l'arrêté en litige, qui fait état des circonstances attachées à la vie privée et familiale de l'intimé, et, notamment, à son mariage et à son activité professionnelle, mentionne l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et est, par suite, suffisamment motivé, sans que M. B... puisse utilement invoquer la circonstance qu'il ne se réfère pas précisément à ses bulletins de salaire et à ceux de son épouse, lesquels ont été au demeurant produits postérieurement à son adoption.

8. En quatrième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige, motivé ainsi qu'il a été dit au point 7, que le préfet de l'Isère a, contrairement à ce que prétend M. B..., préalablement procédé à un examen de sa situation particulière, notamment de l'atteinte portée à sa situation privée et familiale. Le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit, par suite, être écarté.

9. En cinquième lieu, dans les circonstances de l'espèce, telles que rappelées au point 3, l'obligation de quitter le territoire français en litige ne porte pas au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, elle n'a pas méconnu les stipulations citées au point 2 et n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Si M. B... soutient qu'il a fui la Turquie en raison de son appartenance à la communauté kurde, il se borne à se référer à un article de la presse nationale française et n'apporte aucune pièce de nature à établir qu'il serait exposé dans son pays d'origine à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions précitées lui en attribuent la charge. Le moyen tiré de ce que la fixation du pays de destination serait entachée d'erreur d'appréciation des risques encourus en cas de retour en Turquie ne peut, ainsi, qu'être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 2 mai 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. En conséquence, le jugement n° 2305294 du tribunal administratif de Grenoble du 9 novembre 2023 doit être annulé. La demande d'annulation présentée par M. B... devant le tribunal administratif à l'encontre de l'arrêté du 2 mai 2023 doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. B... d'une somme au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2305294 du 9 novembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY03789


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03789
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : ALAMPI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;23ly03789 ?
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