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06/02/2025 | FRANCE | N°23LY01218

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 5ème chambre, 06 février 2025, 23LY01218


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 2102315 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.



Procédure devant la cour



Par un

e requête et un mémoire, enregistrés le 6 avril 2023 et le 17 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2102315 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 avril 2023 et le 17 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 6 décembre 2022 ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme C... devant le tribunal administratif et de rétablir totalement l'imposition.

Il soutient que :

- tous les associés d'une société civile immobilière doivent avoir le même taux de rendement interne de leur investissement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la SAS CESR 69 ayant consenti à avoir un taux de rendement interne nettement inférieur à celui de ses associés personnes physiques ;

- la SAS CESR 69 a consenti à prendre un risque financier supérieur à celui de ses autres associés, notamment en consentant une avance en compte courant bloquée sur plus de quinze ans rémunéré seulement au taux de 1,5 % et alors qu'elle est la seule garante auprès des banques ; une telle avance peut être assimilée économiquement à des quasi-fonds propres affectés spécifiquement à la réalisation du projet immobilier compte tenu de ces caractéristiques, ce qui justifie qu'elle soit prise en compte dans le calcul du taux de rendement interne global du projet pour chacun des associés ;

- la participation de la SAS CESR 69 au financement du bien immobilier à la place des autres associés aurait dû normalement se traduire par la constatation d'une créance à l'actif de son bilan ; à défaut, elle a abandonné cette créance, ce qui constitue une libéralité occulte ;

- dans le cadre de l'effet dévolutif, les autres moyens soulevés par Mme C... en première instance doivent être écartés.

Par des mémoires enregistrés le 26 juillet 2023 et le 6 mars 2024, Mme C..., représentée par Me Farhat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinet, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,

- et les observations de Me Adrien Plasse, représentant Mme D... C....

Considérant ce qui suit :

1. La SAS CESR 69, contrôlée à 97,86 % par la SAS C... Finances investissement et management (CFIM), laquelle était contrôlée et dirigée par M. A... C... et ses enfants, puis à compter de son décès, le 16 décembre 2012, par son fils M. B... C..., qui détient la majorité des actions, et par sa fille Mme F... E..., exerce son activité dans le secteur de la formation à la conduite. Suivant une décision collective des associés du 2 février 2015, le capital social de la société civile immobilière (SCI) Rameau II, créée le 29 avril 2014 avec un capital de 10 000 euros, a été augmenté d'une somme de 20 000 euros par apports en numéraire et par création de 20 000 nouvelles parts sociales, portant les participations de M. B... C... et Mme F... E..., de Mme D... C..., de M. G... E... et de la SAS CESR 69 respectivement à 17,5 % pour les deux premiers, 2 % pour la troisième, 3 % pour le quatrième et 60 % pour la SAS CESR 69. Le même jour, les associés personnes physiques ont cédé l'usufruit temporaire de l'ensemble de leurs parts à la SAS CESR 69 sur une durée de 17 ans pour un montant de 75 000 euros. Le 7 octobre 2015, la SCI Rameau II a acquis, au moyen de prêts bancaires, en vente en l'état futur d'achèvement, un ensemble immobilier à usage d'activités et de bureaux sur une parcelle de terrain située à Vaulx-en-Velin, cet ensemble immobilier ayant vocation à être loué à la SAS CESR 69 afin qu'elle puisse y exercer son activité et les agencements spécifiques devant lui être vendus. A l'issue d'un contrôle sur pièces ayant donné lieu à une proposition de rectification du 20 octobre 2017, le service vérificateur a estimé que les associés personnes physiques avaient bénéficié d'un avantage occulte consenti par la SAS CESR 69. Mme D... C..., associée à hauteur de 2 % dans la SCI Rameau II et détentrice de 5 % des droits rapportés aux seules personnes physiques porteuses de parts dans cette SCI, a été regardée comme bénéficiaire de distributions occultes pour un montant de 29 150 euros. Les rappels d'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de contribution sur les hauts revenus en résultant ont été mis en recouvrement le 30 septembre 2019. Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge en droit et pénalités de ces impositions, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie relève appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.

2. Pour mettre à la charge de Mme C... les impositions en litige, l'administration fiscale a estimé que la SAS CESR 69 avait commis un acte anormal de gestion en s'associant au sein de la SCI Rameau II avec des personnes physiques auxquelles elle aurait concédé une libéralité en prenant la majeure partie des risques financiers, en apportant la principale ressource financière et en retirant de l'opération un taux de rendement interne largement inférieur à celui de ces associés, auxquels elle a, au surplus, acheté l'usufruit de 40 % des parts de la SCI Rameau II. Elle en a déduit que, soit la SAS CESR 69, compte tenu de ses apports en capital et en compte courant, aurait dû posséder 98,11 % du capital de la SCI Rameau II, soit les associés personnes physiques auraient dû apporter 604 000 euros de plus que le capital qu'ils ont investi, à savoir 12 000 euros. Elle a également estimé que la SAS CESR 69 aurait dû comptabiliser à son bilan explicitement la créance de 604 000 euros supposément détenue sur ses associés personnes physiques au sein de la SCI Rameau II et qu'à défaut que soit retracée en comptabilité " sa décision définitive de ne jamais faire valoir sa créance nette de 604 000 euros, c'est-à-dire d'accorder un avantage sans contrepartie du même montant ", cette somme constituait un revenu distribué imposable sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts.

3. D'une part, l'acte anormal de gestion doit être regardé comme celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. D'autre part, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / (...). ".

4. Lorsqu'une société a pris en charge des dépenses incombant normalement à un tiers ou a mis à sa disposition des sommes sans que la comptabilisation de cette opération ne révèle, par elle-même, l'octroi d'un avantage, il appartient à l'administration, si elle entend faire application des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts pour imposer, dans les mains du tiers, cette somme, d'établir, d'une part, que la prise en charge de cette dépense ne comportait pas de contrepartie pour la société, et d'autre part, qu'il existait une intention, pour celle-ci, d'octroyer, et pour le tiers, de recevoir, une libéralité. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.

5. Le fait, pour une société commerciale de participer au capital d'une société civile immobilière avec des associés personnes physiques, par ailleurs actionnaires et mandataires sociaux de cette société commerciale, dans le cadre d'un projet immobilier visant au développement de son activité ne constitue pas en soi, un acte ne relevant pas d'une gestion commerciale normale ni même la présomption d'un tel acte, mais relève de l'opportunité de ses choix de gestion, alors même que le rendement escompté de cette participation au capital de la société civile immobilière ne serait pas identique pour chacun des associés concernés. L'administration n'étant pas autorisée à s'immiscer dans les choix de gestion des entreprises, elle ne peut utilement remettre en cause le principe même d'une association entre la SAS CESR 69 et de personnes physiques au sein de la SCI Rameau II au motif qu'elle se serait davantage enrichie en réalisant seule cette opération. L'administration fiscale fait par ailleurs valoir que la SAS CESR 69 assume la majeure partie des risques financiers de l'opération portée par la SCI Rameau II, dès lors qu'elle apporte la principale ressource financière via l'inscription d'une somme de 1 762 968 euros à son compte courant d'associé dans la SCI, rémunéré, comme celui des autres associés, à 1,5 %, ce qui aurait comme conséquence que la SAS CESR 69 retirerait de l'opération un taux de rendement interne largement inférieur à celui de ces associés, et souligne que la SAS CESR 69 a, au surplus, acheté l'usufruit de 40 % des parts de la SCI Rameau II à ses associés personnes physiques, ce qui a permis à ces derniers de recevoir des liquidités. Toutefois, elle ne démontre aucunement l'existence d'un appauvrissement, même relatif, de la SAS CESR 69, dont elle n'a analysé aucun des avantages que le montage en cause représente pour elle. Ainsi, et conformément à la proportion de parts qu'elle détient dans la SCI Rameau II, la SAS CESR 69 ne remboursera que 60 % de l'emprunt contracté pour l'opération en cause, la circonstance que les garanties mises en place par les organismes bancaires soient plus contraignantes pour elle que pour ses associés personnes physiques étant sans incidence sur ce constat, ces derniers restant débiteurs, en qualité de nus-propriétaires, de 40 % de l'emprunt contracté en vue de permettre à la SAS CESR 69 d'exercer son activité. Par ailleurs, elle bénéficiera, pendant dix-sept années, des dividendes dont elle a acquis la propriété auprès de ses associés, dont l'administration n'a pas calculé le montant, ni a fortiori soutenu que le prix d'acquisition était excessif. Enfin, l'administration ne démontre nullement, en se bornant à l'affirmer, que la somme inscrite au crédit du compte courant d'associé de la SAS CESR 69, utilisée pour la réalisation de l'opération lui permettant d'exercer son activité, devrait être regardée comme un abandon de créance au profit des autres associés, au motif que le taux d'intérêt de ce compte n'assurerait pas une rémunération proportionnée au risque pris par sa titulaire. Ainsi, à défaut d'avoir démontré un quelconque appauvrissement de la SAS CESR 69 et un quelconque acte anormal de gestion, l'administration fiscale ne pouvait déduire des éléments qui précèdent que celle-ci aurait abandonné une créance de 604 000 euros au profit de ses associés, devant être inscrite au bilan de la SCI Rameau II. Il suit de là que l'administration n'était pas fondée à imposer des revenus distribués entre les mains des associés personnes physiques sur le fondement des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à la demande présentée par Mme C....

Sur les frais du litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera 2 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et à la ministre chargée des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente de chambre,

Mme Vinet, présidente-assesseure,

Mme Soubié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2025.

La rapporteure,

C. VinetLa présidente,

C. Michel

La greffière,

F. Bossoutrot

La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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N° 23LY01218

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01218
Date de la décision : 06/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables - Revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : Mme MICHEL
Rapporteur ?: Mme Camille VINET
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : PIERRE-ANTOINE FARHAT AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-06;23ly01218 ?
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