Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'une part, d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2020 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont il a été victime le 5 août 2016 et l'a placé en congé de maladie ordinaire, d'autre part, d'enjoindre au SDIS de reconnaître l'imputabilité au service de son accident, de le placer en congé de maladie imputable au service à compter du 5 août 2016 et de procéder, en conséquence, à la reconstitution de ses droits à rémunération et au remboursement des honoraires médicaux et des frais afférents, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2007649 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et enjoint au SDIS de la Drôme de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident subi par M. B..., de placer ce dernier en congé de maladie imputable au service à compter du 5 août 2016 pour la durée des arrêts de maladie correspondants, et de procéder, en conséquence, à la reconstitution de ses droits à rémunération.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mai et 26 décembre 2023, le SDIS de la Drôme, représenté par Me Vivien, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 21 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de celui-ci une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen de défense qu'il avait présenté, relatif à l'existence d'une faute personnelle et de circonstances particulières de nature à détacher l'accident du service, ni sur sa demande de substitution de motifs, que le tribunal n'a pas davantage analysée ;
- il sollicite une substitution de motifs tirée de l'absence d'établissement des faits et de l'existence d'un état antérieur et d'une faute de l'agent ;
- l'arrêté n'est entaché d'aucune illégalité externe ou interne.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Hammerer, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du SDIS de la Drôme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- les observations de Me Radi, représentant le SDIS de la Drôme, et celles de Me Hammerer, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., sapeur-pompier professionnel depuis 1991, a intégré le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme en 2004 au grade de capitaine. Le 8 septembre 2014, il a été victime de douleurs dorsales alors qu'il soulevait des dossiers, pour lesquelles il a été placé en congé de maladie reconnue imputable au service jusqu'au 15 septembre 2014 aux termes d'une décision du directeur départemental du 18 décembre 2014. Le 10 août 2015, M. B... a déclaré être de nouveau victime de douleurs, également reconnues imputables au service par un courrier du 2 novembre 2015 du chef de groupement des ressources humaines, pour lesquelles il a été placé en congé de maladie avec prise en charge de ses soins, telle que préconisée par l'expert, jusqu'au 17 novembre 2015. Le 5 août 2016, M. B... a de nouveau subi des douleurs lombaires en déplaçant des dossiers. A la suite de cet accident, le SDIS a saisi la commission de réforme, laquelle a rendu le 11 octobre 2016 un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de cet accident. Par un arrêté du 14 novembre 2016, le SDIS a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cet accident. Cet arrêté ayant été annulé par le tribunal administratif par un jugement n° 1700170 du 24 septembre 2019 en raison de vices de forme, le SDIS a de nouveau saisi la commission de réforme, laquelle a émis un avis défavorable le 10 septembre 2020. Par un arrêté du 12 octobre 2020, le président du conseil d'administration du SDIS a une nouvelle fois refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 5 août 2016. Le 13 août 2020, M. B... a sollicité la reconnaissance de sa pathologie lombaire comme maladie professionnelle, demande au titre de laquelle la commission de réforme réunie le 14 octobre 2021 a rendu un avis défavorable. Par un arrêté du 10 novembre 2021, la présidente du conseil d'administration du SDIS a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de cette affection. Le recours exercé par M. B... contre cette décision a été rejeté par un courrier du 8 février 2022. Par une ordonnance n° 2201263 du 16 mai 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande d'expertise de son état de santé présentée par M. B....
2. Par un jugement n° 2007649 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 12 octobre 2020 et enjoint au SDIS de la Drôme de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 5 août 2016, de placer M. B... en congé de maladie imputable au service à compter de cette date pour la durée des arrêts de maladie correspondants, et de procéder, en conséquence, à la reconstitution de ses droits à rémunération. Par un jugement n° 2201261 du 25 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a en revanche rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2021. Le SDIS relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 12 octobre 2020.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ressort des écritures de première instance que le SDIS de la Drôme sollicitait une substitution de motifs portant sur l'absence d'accident intervenu le jour de la déclaration de M. B.... En s'abstenant de statuer sur cette demande de substitution de motifs et ainsi d'examiner ce moyen de défense, qui n'était pas inopérant, le tribunal administratif de Grenoble a entaché son jugement d'une omission à statuer. Le SDIS est par suite fondé, pour ce motif d'irrégularité, à en obtenir l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la légalité de l'arrêté du 12 octobre 2020 :
5. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ".
6. Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il en est ainsi lorsque la pathologie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service est en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec le service. L'existence d'un état antérieur, même évolutif, ne permet toutefois d'écarter l'imputabilité de l'état d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état a déterminé, à lui seul, l'incapacité professionnelle de l'intéressé.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les douleurs lombaires de M. B... se sont déclarées le 5 août 2016, sur le lieu et dans le temps de son service, et à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, alors qu'il déplaçait des dossiers. Sur ce point, la remise en cause au contentieux par le SDIS de la Drôme des déclarations de M. B..., s'agissant de la réalité de l'accident invoqué, ne repose sur aucun élément précis, alors que l'arrêté du 12 octobre 2020 a visé la déclaration d'accident effectuée par l'agent le 5 août 2016 et le certificat médical établi le même jour au soutien de cette déclaration. Le requérant a également produit en première instance la feuille d'alerte du centre de traitement des alertes et la " fiche bilan secouriste " le concernant, datées du 5 août 2016, l'ensemble de ces documents faisant état des douleurs au dos ressenties par lui. L'administration, qui fait d'ailleurs parallèlement valoir l'existence d'une faute commise par M. B... à avoir porté une charge inadéquate ou mal exécuté une tâche anodine, n'est donc pas fondée à soutenir, par la voie d'une demande de substitution de motifs, que M. B... n'apporterait pas la preuve de la matérialité des faits accidentels, répondant aux conditions rappelées au point 6, dont il se prévaut.
8. D'autre part, si le rapport médical du 9 août 2016 du médecin de prévention conclut que les lésions sont " en lien avec un état antérieur évoluant pour son propre compte " et " principalement imputables à la déficience de la colonne lombaire ", il n'a pas retenu de caractère exclusif de cet état antérieur à l'origine de l'accident, quand bien même le poste de travail occupé ne comprendrait, selon ce même praticien, aucun facteur de pénibilité ni aucune sollicitation pour le rachis. Le SDIS ne peut en outre se prévaloir de ce que ce rapport mentionne également que l'origine de cet accident n'a pas de relation directe, certaine et déterminante avec le service, alors qu'il résulte des principes rappelés au point 6 que seule la condition de lien direct est requise pour caractériser l'imputabilité au service de l'accident. De la même manière, les conclusions de l'expert qui a examiné M. B... en 1999 et dont il résulte que ce dernier présente des " hernies intra spongieuses séquelles de l'adolescence, anomalie transitionnelle pouvant être considérée comme congénitale et un pincement lombosacré état d'origine dégénérative " ne sont pas de nature à révéler que l'existence de cet état antérieur aurait déterminé, à elle seule, l'incapacité professionnelle de l'intéressé dix-sept ans après ces constatations, et alors que ces pathologies ne l'empêchaient pas de travailler. Il ressort en revanche des conclusions de l'expertise médicale du 19 mai 2017 du médecin spécialiste en rhumatologie, que les douleurs de M. B... survenues le 5 août 2016 ainsi que certaines lésions concomitantes présentent un lien direct et certain avec le mouvement en torsion de port d'un dossier lourd effectué à son bureau. Enfin, tant la nature administrative des tâches confiées à M. B... que le caractère anodin de l'acte ayant conduit à la douleur subie par lui ne font pas obstacle à la constatation d'un lien direct entre cet évènement et le service. La circonstance opposée par le SDIS de la Drôme que M. B... ait été considéré comme guéri avec retour à l'état antérieur à l'occasion de ses précédents accidents de service, en particulier le 13 octobre 2015, ainsi qu'il ressort du compte-rendu de l'expertise médicale établi le même jour, ne permet pas davantage de conclure que l'existence d'un état antérieur évolutif serait seule à l'origine de l'accident déclaré du 5 août 2016 ni d'exclure la survenance d'un évènement de même nature quelques mois plus tard, quand bien même la commission de réforme a émis un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service le 11 octobre 2016 puis le 10 septembre 2020. L'ensemble de ces éléments ne relèvent par suite ni d'une faute personnelle, s'agissant même du port d'un dossier en connaissance des problèmes de santé rencontrés sur ce point par l'agent et connus de lui, ni d'une autre circonstance particulière détachant cet évènement du service. Dans ces conditions, et alors que des accidents survenus les 8 septembre 2014 et 10 août 2015, affectant également la zone lombaire de l'agent, ont été reconnus imputables au service, M. B... est fondé à soutenir que le SDIS de la Drôme a commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de son accident survenu le 5 août 2016.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande, que l'arrêté du 12 octobre 2020 par lequel le président du conseil d'administration SDIS de la Drôme a refusé de reconnaître l'imputabilité de l'accident subi par M. B... le 5 août 2016 au service et a placé celui-ci en congé de maladie ordinaire doit être annulé.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. L'annulation, par le présent arrêt, de cet arrêté implique qu'il soit enjoint au SDIS de la Drôme de reconnaître l'imputabilité au service de cet accident, de placer M. B... en congé de maladie imputable au service à compter du 5 août 2016 pour la durée des arrêts de maladie correspondants, et de procéder, en conséquence, à la reconstitution de ses droits à rémunération ainsi qu'à la prise en charge des soins médicaux liés à cet accident.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du SDIS de la Drôme présentées sur leur fondement et dirigées contre M. B..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions formulées par M. B... sur le fondement des mêmes dispositions et de mettre à la charge du SDIS une somme de 2 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 21 février 2023 du tribunal administratif de Grenoble et l'arrêté du 12 octobre 2020 par lequel le président du conseil d'administration du SDIS de la Drôme a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident de M. B... du 5 août 2016 et l'a placé en congé de maladie ordinaire sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au SDIS de la Drôme de reconnaître l'imputabilité au service de cet accident et de placer M. B... en congé de maladie imputable au service à compter du 5 août 2016 pour la durée des arrêts de maladie correspondants, et de procéder, en conséquence, à la reconstitution de ses droits à rémunération et à la prise en charge des soins médicaux liés à cet accident.
Article 3 : Le SDIS de la Drôme versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2025.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au préfet de la Drôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY01531