Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 23 août 2022 par lequel la préfète de l'Allier a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202302 du 22 mars 2024, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 avril 2024, M. B..., représenté par Me Jauvat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre à la préfète de l'Allier, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", " salarié " ou " travailleur temporaire " ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 300 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en ce qui concerne le refus de titre de séjour : la décision est entachée d'un vice de procédure, faute pour le préfet d'avoir saisi la commission du titre de séjour ; il justifie suffisamment de son identité et de sa civilité par les actes qu'il produit et les critiques émises par la police aux frontières ne permettent pas de renverser la présomption d'authenticité instaurée par l'article 47 du code civil, la décision étant entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de droit sur ces points ; elle est par suite entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît l'article L. 423-23 de ce code ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours est illégale du fait de l'illégalité du refus de délivrer un titre de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfète de l'Allier a présenté un mémoire, enregistré le 15 janvier 2025 après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant malien qui prétend être né le 10 octobre 2003 à Lakamané, a déclaré être entré mineur sur le territoire français le 21 novembre 2019 et a été placé auprès du service départemental d'aide sociale à l'enfance de l'Allier. Il relève appel du jugement du 22 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 23 août 2022 par lesquelles la préfète de l'Allier a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Sur le refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 de ce code : " la vérification des actes d'état civil étrangers est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de sa date de naissance et de son âge, M. B... a produit au soutien de sa demande de titre de séjour un jugement supplétif d'acte de naissance n° 593 du 14 février 2020, tenant lieu d'acte de naissance en marge du registre de l'état civil de Lakamané pour l'année 2003, transcrit le 2 mars 2020, et un extrait d'acte de naissance n° 43 du 2 mars 2020, dit volet n° 3. La direction zonale de la police aux frontières a émis un avis défavorable sur la régularité de ces documents le 24 février 2022, dont il résulte que, pour l'extrait d'acte de naissance, la mention du numéro d'identification nationale (NINA) attribué à la naissance ou à l'adoption, pour lequel un espace est réservé, fait défaut et que son signataire, soit le 3ème adjoint au maire de la commune de Lakamane, n'était pas compétent pour l'établir au regard de l'article 93 du code des personnes et de la famille malien. Pour le jugement supplétif, le rapport indique que sa date de rédaction est la même que celle de la production de l'extrait de l'acte de naissance, " ce qui est impossible au regard de la législation malienne " et, par ailleurs, que les délais légaux de transcription ne sont pas respectés. Si M. B... soutient que le 3ème adjoint au maire pouvait avoir reçu délégation du maire, les éléments du dossier ne permettent pas de s'assurer de la régularité d'une telle délégation. S'il est vrai, ainsi que le souligne M. B..., que le jugement supplétif a été rendu le 14 février 2020 et l'acte de naissance établi le 2 mars 2020, cette dernière date correspond à la date de transcription au registre, dont M. B... ne conteste pas qu'elle ne respecterait pas les délais légaux. Par ailleurs, la date de déclaration apparaissant sur l'acte de naissance, par une personne portant le même nom et les mêmes éléments de civilité que le père du requérant, dont il a déclaré qu'il était décédé, est identique à la date de l'audience et à la date du jugement. Si M. B... a produit en première instance une copie de sa carte d'identité consulaire n° 2337248 délivrée le 12 juin 2023, qui ne comporte pas davantage le numéro NINA, cette pièce est, par elle-même, dépourvue de toute force probante pour l'application de l'article 47 du code civil dès lors qu'elle ne constitue pas un acte d'état civil, et pouvait être délivrée au vu des documents d'état-civil précités dont l'authenticité n'est pas établie.
5. M. B... a par ailleurs produit de nouvelles pièces, non examinées par la police aux frontières, constituées d'un nouveau jugement supplétif en date du 22 décembre 2022 n° 5072, transcrit le 11 février 2023 sous le numéro 249, d'un nouvel acte de naissance établi le 11 février 2023, toujours par le 3ème adjoint au maire de la commune de Lakamané, et d'une copie d'extrait d'acte de naissance. Cette dernière comporte au verso différents tampons du tribunal de grande instance du district de Bamako, ainsi que le sceau du chef de section Consulats établis au Mali qui apparait sous la date du 31 mars 2023, et le sceau du ministère des affaires étrangères et de la coopération qui apparait sous la date 3 avril 2023. Sont également apposées deux signatures. Le second jugement supplétif d'acte de naissance, malgré le caractère normalement unique d'un tel document, n'offre pas davantage de garanties, étant par ailleurs non sécurisé et ne mentionnant pas davantage que le premier jugement les nom et prénom du greffier en chef, signataire de l'acte. A la date d'établissement de chacun de ces actes, et même si l'intéressé est né avant l'entrée en vigueur de la loi n° 06-040 du 11 août 2006 instituant le numéro NINA, ce dernier était obligatoire.
6. En dépit de la reconnaissance de sa minorité par le juge des enfants, il apparaît donc ici que les éléments évoqués ci-dessus étaient suffisants pour remettre en cause l'authenticité des documents d'état civil produits par M. B... à l'appui de sa demande de titre de séjour et renverser la présomption dont il bénéficiait à cet égard. Au surplus, le caractère réel et sérieux de la formation suivie n'est pas établi par les éléments du dossier, et notamment ses bulletins de note pour l'année 2021-2022, alors que ses résultats sont restés justes tout au long de l'année, que de nombreuses absences ont été relevées et qu'au troisième trimestre il a été " mis en garde pour le travail ", l'intéressé ayant par ailleurs conservé des liens réguliers dans son pays d'origine.
7. Dans ces conditions, le préfet, qui ne s'est pas cru lié par l'avis de la direction zonale de la police, a pu sans erreur de fait ni de droit ni erreur manifeste d'appréciation, refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, (...) et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République " et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., arrivé récemment sur le territoire français, célibataire et sans enfant, n'y justifie d'aucune attache particulière, quand bien même il a obtenu son CAP en juin 2023, au demeurant postérieurement à la décision attaquée. Dès lors, la décision contestée n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Ainsi, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, la préfète de l'Allier n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En l'absence d'élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter le moyen invoqué à l'encontre de la décision portant refus de délivrer un titre de séjour, tenant au défaut de saisine de la commission du titre de séjour.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français serait illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.
12. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
Sur la décision fixant le pays de destination :
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, la décision fixant le pays de destination n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfère de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025
La rapporteure,
I. Boffy
Le président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01150
kc