Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 11 janvier 2024 par lesquelles la préfète de l'Allier lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par jugement n° 2400094 du 18 janvier 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 février 2024 et le 24 septembre 2024, M. B..., représenté par Me Gauché (AARPI Ad'vocare), demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions de la préfète de l'Allier du 11 janvier 2024 ;
2°) d'enjoindre à la préfète de l'Allier de lui délivrer un récépissé, dans le délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de procéder à l'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son avocat en cas d'attribution de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il écarte les moyens tirés du défaut d'examen préalable à l'adoption de la décision fixant le pays de renvoi et de la méconnaissance de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la décision l'assignant à résidence ;
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le premier juge s'est abstenu, en méconnaissance de l'article L. 614-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de solliciter la production du dossier détenu par le préfet, pourtant nécessaire pour répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le premier juge a, à tort, neutralisé l'illégalité entachant la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;
- le premier juge a entaché son jugement d'erreurs de droit et d'appréciation en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, celui tiré de la méconnaissance de l'article L. 721-4-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celui tiré de la méconnaissance de l'article L. 731-1 du même code ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été adoptée en méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il vit en France depuis l'âge de dix ans ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision lui refusant tout délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est illégale compte tenu de l'existence de circonstances humanitaires ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation particulière ;
- elle méconnaît les articles L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et du refus de délai de départ volontaire ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, sa présence ne constituant pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision l'assignant à résidence est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment en l'absence de toute preuve des diligences accomplies par le préfet.
Par mémoire enregistré le 20 septembre 2024, la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.
Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mars 2024.
Par courrier du 5 décembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible, en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre d'office au préfet territorialement compétent de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. B... et de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de deux mois, conformément à l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si elle devait faire droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par M. B....
Par mémoire du 6 décembre 2024, M. B... a produit des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.
Il expose souscrire à ce moyen.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité russe, relève appel du jugement du 18 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions de la préfète de l'Allier du 11 janvier 2024 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur le fond du litige :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction applicable au jour de la décision litigieuse : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
3. Il est constant que M. B... est né le 9 septembre 2004 et qu'il a ainsi atteint l'âge de treize ans le 9 septembre 2017. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des certificats de scolarité qu'il produit, qu'à cette date, il était scolarisé en France depuis plus de trois ans. Il a ensuite poursuivi son cursus sur le territoire français, de la classe de cinquième à celle de terminale professionnelle, à laquelle il était inscrit, ainsi qu'aux épreuves du baccalauréat professionnel, au titre de l'année scolaire 2023/2024. Enfin, il justifiait être hébergé auprès de la même association depuis le mois de juillet 2022. Dans ces conditions, M. B... justifie avoir résidé habituellement en France de ses treize ans à la date de la mesure d'éloignement litigieuse. Par suite, il est fondé à soutenir, par un moyen nouveau en appel, que la préfète de l'Allier ne pouvait lui faire obligation de quitter le territoire français sans méconnaître le 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. L'obligation de quitter le territoire français opposée à M. B... étant ainsi entachée d'illégalité, les décisions dont elle est assortie fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours doivent, par voie de conséquence, également être annulées.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande d'annulation et à demander l'annulation des décisions de la préfète de l'Allier du 11 janvier 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
7. Le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la délivrance à M. B... d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de l'Allier, ou au préfet territorialement compétent, de lui délivrer cette autorisation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, jusqu'au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois.
8. En second lieu, l'exécution du présent arrêt implique également que la préfète de l'Allier, ou le préfet territorialement compétent, fasse supprimer le signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de l'Allier, ou au préfet territorialement compétent, de faire procéder à cette suppression dans un délai de quinze jours.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Gauché, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce dernier de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2400094 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 18 janvier 2024, ainsi que les décisions de la préfète de l'Allier du 11 janvier 2024 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination de son éloignement, interdiction de retour sur le territoire français et assignation à résidence, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de M. B... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Gauché la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Aline Evrard, présidente,
M. Bertrand Savouré, premier conseiller,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
S. CorvellecLa présidente,
A. Evrard
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00361