Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de Chambéry d'annuler la décision du 16 juillet 2012, par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 1907203 du 30 mars 2020, le tribunal administratif de Grenoble, auquel a été transmise la demande de M. A... en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018, a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 20LY01899 du 31 mars 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.
Par une décision n° 468256 du 24 juillet 2024, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt précité et a renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour
L'affaire ainsi renvoyée a été enregistrée le 24 juillet 2024 sous le n° 24LY02136.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 novembre 2024, le ministre des armées et des anciens combattants conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'infirmité de M. A... a été constatée le 23 août 1993, en-dehors des délais de présomption, et ne trouve pas sa cause dans la mission poursuivie au Cambodge ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 29 novembre 2024.
Par une décision du 20 novembre 2024, la nouvelle demande d'aide juridictionnelle formée par M. A... a été rejetée. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par une ordonnance du président de la cour du 13 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jeudi, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... était caporal-chef sous contrat dans l'armée de terre jusqu'à sa radiation des contrôles en 1997. Il a sollicité le 13 octobre 2010 une pension pour l'infirmité résultant d'une hépatite C chronique, dont il attribue l'origine aux conditions sanitaires dans lesquelles il a servi, du 4 décembre 1992 au 12 juin 1993, au Cambodge, dans le cadre de la mission Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC). Par une décision du 16 juillet 2012, le ministre de la défense a rejeté cette demande de pension. Sur transmission du tribunal des pensions de Chambéry, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. A... contestant cette décision. Par un arrêt n° 20LY01899 du 31 mars 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement. Par une décision n° 468256 du 24 juillet 2024, le Conseil d'Etat, saisi du pourvoi de M. A..., a annulé l'arrêt précité et a renvoyé l'affaire à la cour. M. A... demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 mars 2020 et la décision du 16 juillet 2012, et d'enjoindre à l'administration de lui verser la pension due au titre des séquelles de son infection au virus de l'hépatite C à un taux qui ne saurait être inférieur à 20 % pour cette infirmité, à compter du 13 octobre 2010, à titre subsidiaire, à un taux d'au moins 10 %.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le droit à pension :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date d'ouverture du droit à pension allégué par le requérant, soit le 12 juin 1993 : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le trentième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers. (...)/ La présomption [ainsi] définie (...) s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, si les conditions sont réunies pour que l'intéressé puisse bénéficier du régime de présomption légale d'imputabilité, cette présomption ne peut être écartée que lorsque l'administration apporte une preuve contraire établissant qu'une cause étrangère au service est à l'origine de façon directe et certaine de l'infirmité invoquée ou de son aggravation. Une telle preuve contraire ne saurait résulter d'une simple hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle. En outre, pour l'application de la condition de délai permettant de bénéficier de la présomption d'imputabilité au service, le juge des pensions doit retenir la date du constat officiel de la première manifestation d'une maladie et non la date de diagnostic de la maladie qui peut être posé au-delà du délai.
4. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment des trois rapports d'expertise judiciaire des 8 janvier 2015, 15 octobre 2016 et 18 mars 2019, que si les tests de recherche de l'hépatite C utilisés à partir de 1991, dits de deuxième génération, étaient fiables à 95 %, la recherche de l'hépatite C n'était alors systématique que dans le cadre de dons du sang. La sérologie effectuée sur M. A... le 21 janvier 1992, soit environ onze mois avant son départ, n'a pas été effectuée à l'occasion d'un don du sang, n'a pas recherché la présence de marqueurs de l'hépatite C, et n'a ainsi mis en évidence qu'une absence de contamination à l'hépatite B. Aucun élément ne permet cependant d'attester d'une absence de contamination de M. A... à l'hépatite C à cette date. En outre, si M. A... fait état des conditions sanitaires générales très dégradées de la mission à laquelle il a participé durant sept mois, et de son exposition personnelle directe au risque de contamination par sa participation active au brancardage de populations civiles blessées et dans lesquelles la forte prévalence des hépatites notamment était reconnue par la littérature médicale, il n'établit pas davantage que le risque auquel il était exposé se trouvait augmenté par des blessures aux mains, susceptibles d'être une voie de contamination par contact avec du sang contaminé. Dès lors, aucune de ces circonstances ne permet d'établir que l'infirmité dont le requérant est atteint résulterait ou ne résulterait pas de l'une des causes prévues à l'article L. 2 cité au point 2.
5. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à son retour de mission au Cambodge, le 12 juin 1993, M. A... a subi des prélèvements sanguins dont les analyses ont mis en évidence des anomalies hématologiques établies par deux bilans, le 27 juillet 1993 par un laboratoire privé et le 3 août 1993 par l'hôpital d'instruction des armées Laveran, lesquelles ont conduit les autorités militaires à déclarer l'intéressé inapte au service outre-mer. Les investigations menées dans leur prolongement, dont une sérologie positive le 16 août 1993, ont établi un diagnostic d'infection au virus de l'hépatite C, ultérieurement identifiée de génotype 3. Contrairement à ce qu'indique le ministre des armées, l'affection au titre de laquelle M. A... demande une pension a ainsi été constatée, au regard des analyses de sang opérées qui ont révélé des anomalies, dans le délai imparti pour la constatation de la maladie et au retour d'une opération de service au sens de l'article L. 3 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Ainsi, et quand bien même il n'aurait pas déposé de déclaration d'un éventuel accident de contamination par contact sanguin dans l'exercice de ses fonctions pendant sa mission, M. A... bénéficie de la présomption d'imputabilité au service prévue par le 2° de cet article.
6. Si l'administration fait état du comportement personnel à risque de l'intéressé avant son incorporation et jusqu'à son départ en mission qui l'a exposé à des risques de contamination par ce virus et de la circonstance que son profil cicatriciel correspondait à un profil d'usager de drogues statistiquement associé à de telles contaminations, elle se borne à reproduire l'ensemble des analyses précises réalisées par les trois experts successivement commis à cet effet. Ainsi, en l'absence d'autres éléments, notamment médicaux, elle n'apporte pas la preuve dont elle a la charge de nature à renverser la présomption retenue au point précédent, et n'établit pas que la contamination de M. A... relève de manière directe et certaine d'une cause étrangère au service.
En ce qui concerne le taux d'invalidité :
7. Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui reprend les dispositions de l'ancien article L. 6 de ce même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande (...). ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit se placer à la date de la demande de pension de l'intéressé pour évaluer ses droits à pension militaire d'invalidité, et notamment le taux d'invalidité résultant de l'infirmité en cause, soit en l'espèce, pour l'infirmité liée à l'hépatite dont souffre M. A..., au 13 octobre 2010.
8. D'une part, aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa version applicable au litige : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique (...) ". Aux termes de l'article L. 5 du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 4, les pensionnés ou postulants à pension à raison d'infirmités résultant de blessures reçues ou de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service accompli : / (...) Soit (...) au cours d'opérations ouvrant droit au bénéfice de campagne double ou en captivité, ont droit à pension si l'invalidité constatée atteint le minimum de 10 % (...) ". Aux termes de l'article L. 121-6 de ce code, dans sa version actuelle : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-5, ont droit à pension, dès que l'invalidité constatée atteint le minimum de 10 %, les militaires dont les infirmités résultent de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service lorsque celui-ci est accompli (...) 3° En opérations extérieures (...) ". Ces dernières dispositions, bien qu'intervenues postérieurement au fait générateur à la date duquel les droits à pension de l'intéressé doivent être normalement appréciés, sont susceptibles d'affecter ces droits dès lors que le législateur a entendu leur donner une telle portée. Il y a ainsi lieu de retenir que l'infirmité dont M. A... reste atteint du fait de l'hépatite C réputée contractée en service est susceptible d'ouvrir droit à une pension d'invalidité dans la mesure où celle-ci est au moins égale à 10 %.
9. D'autre part, aux termes de l'article L. 9 du même code : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 % (...) ". Et aux termes de son article L. 10 : " Les degrés de pourcentage d'invalidité (...) correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général ". Enfin, selon l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors applicable, repris à l'article L. 125-8 : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante./ A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. (...) ". Aux termes de l'article L. 26 de ce code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ".
10. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions de l'expertise du 15 mars 2019, et au vu de la gêne fonctionnelle engendrée dans le temps par l'infirmité résultant de la pathologie dont M. A... est désormais guéri, que le taux d'invalidité correspondant aux séquelles de l'infection au virus de l'hépatite C qu'il a subie doit être évalué à 10 %. Le requérant étant déjà titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % à raison de séquelles de fractures des corps vertébraux dues à une blessure reçue à l'occasion de ses activités militaires, le taux d'invalidité de sa pension doit être fixé, pour la deuxième infirmité, proportionnellement à la validité restante, soit 9 %. Il s'ensuit que le taux global de l'invalidité dont M. A... reste atteint s'élève à 19 %.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et qu'il peut bénéficier d'une pension militaire d'invalidité au taux de 19%.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent arrêt implique que la pension militaire d'invalidité de M. A... soit liquidée en tenant compte d'un taux de 19 % pour ses infirmités à compter du 13 octobre 2010, date de la demande de pension formée par l'intéressé au titre de sa seconde infirmité. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées d'y procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
13. Conformément à l'article 1231-6 du code civil, M. A... a droit aux intérêts au taux légal afférents aux sommes dues au titre des arrérages de pension, à compter de cette même date.
Sur les frais d'expertise :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat les frais des expertises judiciaires ordonnées par le tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Savoie les 20 octobre 2014, 1er avril 2016 et 6 juillet 2018.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au bénéfice de M. A....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 30 mars 2020 du tribunal administratif de Grenoble et la décision du 16 juillet 2012 du ministre de la défense sont annulés.
Article 2 : Il est attribué à M. A..., à compter du 13 octobre 2010, une pension militaire d'invalidité au taux global de 19 %. Les arrérages de la pension militaire d'invalidité seront assortis des intérêts au taux légal à compter de cette même date.
Article 3 : Les frais des expertises ordonnées par le tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Savoie sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02136