Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Formations Professionnelles Foréziennes a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 29 juin 2022 par laquelle le directeur des politiques sociales de la Caisse des dépôts et consignations a prononcé son déréférencement de la plateforme dématérialisée " mon compte formation " pour une durée de neuf mois.
Par un jugement n° 2205222 du 31 janvier 2023, le tribunal a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 31 mars et 20 octobre 2023, la Caisse des dépôts et consignations, représentée par Me Givord, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société tendant à l'annulation de la décision du 29 juin 2022 ;
3°) de mettre à la charge de la société Formations Professionnelles Foréziennes la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun élément ne permet de s'assurer, d'une part, que la minute du jugement est conforme à l'article R. 741-2 du code de justice administrative puisqu'en particulier son mémoire en défense du 30 novembre 2022 n'a pas été analysé et, d'autre part, qu'elle a été signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le tribunal a fait droit au moyen tiré de ce que la procédure contradictoire aurait été irrégulière faute pour la caisse des dépôts et consignations, durant celle-ci, d'avoir précisément identifié les conditions non respectées et les manquements reprochés, alors qu'un tel moyen n'avait pas été soulevé par la société demanderesse qui s'était bornée à critiquer l'absence de formalisme des échanges, l'absence d'échange oral et l'absence d'avis de la commission ad hoc ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs qui remet en cause son bien-fondé ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision attaquée était insuffisamment motivée en fait alors que l'absence de réponse à la demande de justifications qui lui avait été adressée constituait une motivation suffisante ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que la société avait été privée de la garantie de la procédure contradictoire ; la lettre d'observation du 5 mai 2022 comportait l'énoncé précis des griefs retenus à l'encontre de la société Formations Professionnelles Foréziennes ; l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration n'impose pas que l'administration informe la personne de la possibilité de consulter son dossier ;
- elle se trouvait dans une situation de compétence liée, en l'absence d'appréciation d'une situation de fait, rendant inopérants les moyens tirés du défaut de motivation et d'irrégularité de la procédure ;
- pour les motifs exposés dans son mémoire en défense présenté devant le tribunal auquel elle renvoie, aucun des autres moyens soulevés par la société Formations Professionnelles Foréziennes devant le tribunal n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 18 septembre 2023, la société Formations Professionnelles Foréziennes, représentée par Me Dufaud, conclut au rejet de la requête et qu'il soit mis à la charge de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par la Caisse des dépôts et consignations ne sont pas fondés ;
- elle n'a pas été en mesure de présenter des observations faute de pouvoir identifier les griefs qui lui étaient opposés.
Par une ordonnance du 23 octobre 2023, l'instruction a été close au 13 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- les conditions générales d'utilisation de la plateforme " Mon compte formation " applicable aux relations entre la Caisse des dépôts et consignations et les organismes de formation ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Givord, pour la Caisse des dépôts et consignations ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 29 juin 2022, la Caisse des dépôts et consignation a prononcé le déréférencement de la société Formations Professionnelles Foréziennes, organisme de formation professionnelle référencé sur la plateforme publique " Mon compte formation ", pour une durée de neuf mois. Par un jugement du 31 janvier 2023, dont la Caisse des dépôts et consignation relève appel, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...). / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. " Le jugement attaqué, qui a visé et analysé le mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2022 pour la Caisse des dépôts et consignations, contient les différentes mentions prévues à l'article R. 741-2 du code de justice administrative. Le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait ces dispositions doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Il ressort des pièces de la procédure que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures requises par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'une irrégularité, faute d'être revêtu des signatures du président, du rapporteur et du greffier, doit être écarté.
4. En troisième lieu, à l'appui de sa demande, la société a notamment fait valoir que la procédure contradictoire, telle que prévue par l'article 7 des conditions générales d'utilisation du service dématérialisé, a été méconnue au motif que " le courrier du 6 mai 2022 a été adressé [à] un grand nombre d'organismes de formation indistinctement et selon les mêmes termes " sans " faire état des suites données par la Caisse des dépôts et consignations à la demande de la société (...) d'avoir un échange oral sur les griefs opposés aux formations ACRE ". Le tribunal a pu, sans irrégularité, analyser les écritures de la société comme soulevant un moyen tiré de ce que le courrier du 6 mai 2022 était insuffisamment précis sur les griefs formulés à l'encontre de la société. Par suite, la Caisse des dépôts et consignation n'est pas fondée à soutenir que le tribunal a irrégulièrement relevé d'office ce moyen.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal :
5. Pour annuler la décision du 29 juin 2022, le tribunal s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de ce que cette décision n'était pas suffisamment motivée et, d'autre part, que la procédure contradictoire préalable n'avait pas été respectée.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-2 de ce code : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ". Aux termes de l'article L. 211-2 de ce code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) 2° Infligent une sanction ".
7. D'autre part, aux termes de l'article R. 6333-6 du code du travail : " Lorsque la Caisse des dépôts et consignations constate un manquement de l'un des prestataires mentionnés à l'article L. 6351-1 aux engagements qu'il a souscrits, elle peut, selon la nature du manquement, lui prononcer un avertissement, refuser le paiement des prestations, demander le remboursement des sommes qu'elle lui a indûment versées et suspendre temporairement son référencement sur le service dématérialisé mentionné à l'article L. 6323-9. Ces mesures, proportionnées aux manquements constatés, sont prises après application d'une procédure contradictoire et selon des modalités que les conditions générales d'utilisation du service dématérialisé précisent. ". L'article 13 de ces conditions générales prévoit : " 13.1.1. En présence de tout différend entre la CDC d'une part et les OF ou Titulaires de compte d'autre part, les Parties conviennent d'appliquer la présente procédure aux fins de tenter de trouver un accord amiable. La CDC adresse par tout moyen physique ou dématérialisé permettant d'en garantir la date de réception, à la partie en manquement, une lettre d'observations. / A réception de la lettre d'observations, le Titulaire du compte ou l'Organisme de formation concerné bénéficie d'une période d'échange et de dialogue pour discuter des constats et observations adressés. / Cette période est dite " Période Contradictoire ". / Durant cette Période Contradictoire, le Titulaire du compte ou l'Organisme de formation peut, dans un délai précisé par la CDC dans la lettre d'observations qui ne peut être inférieur à 8 (huit) jours calendaires, formuler ses observations écrites, apporter les précisions nécessaires, faire part d'un éventuel désaccord, ou bien fournir tout document utile. (...) Au terme de la Période Contradictoire, la CDC notifie la décision par tout moyen physique ou dématérialisé permettant d'en garantir la date de réception. / Cette décision précise les suites données par le Titulaire du compte ou l'Organisme de formation aux demandes qui lui ont été adressées par la CDC et s'il y a lieu les éventuelles mesures décidées à la suite du contrôle effectué et, le cas échéant, là décision de non-paiement ou de recouvrement des sommes versées ".
8. Il résulte de ces dispositions que la décision litigieuse, qui présente le caractère d'une sanction administrative, doit être précédée d'une procédure contradictoire, laquelle vise à informer l'intéressé avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre.
9. Il ressort des pièces du dossier que la Caisse des dépôts et consignations a adressé le 5 avril 2022 à tous les organismes de formation ayant au moins une offre active dans " EDOF dédiée à l'action création/reprise d'entreprise ", un courriel indiquant que le " service contrôle a examiné les offres publiées visant cette action et a identifié des contenus de formation inappropriés et/ou ne respectant ni le décret n° 2020-1228 du 8 octobre 2020 ni les règles d'éligibilité entrées en vigueur le 01/11/2020 " et demandant en conséquence aux sociétés de se mettre en conformité. Après avoir reçu cette note, la gérante de la société a demandé à la Caisse des dépôts et consignations un entretien oral afin de préciser les critères que sa société ne respectait pas. Aucune réponse ne lui a été apportée. Une seconde note, du 2 mai 2022, rappelait aux organismes de formation leurs obligations portant sur la justification de l'éligibilité de leurs formations au dispositif d'aide. Elle précisait qu'en mai 2022 la Caisse des dépôts et consignations assurerait une vérification de l'ensemble des organismes de formation et procèderait aux diligences nécessaires en cas de non-conformité. Par mail du 5 mai 2022, la gérante de la société Formations Professionnelles Foréziennes a reçu une " notification d'ouverture de la procédure contradictoire prévue à l'article 3 des conditions générales d'utilisation de Mon Compte Formation " reprenant les obligations générales des organismes de formation sur la justification de l'éligibilité de leurs formations au dispositif d'aide. Ce courrier indiquait " il est constant que les actions de formation à la création et reprise d'entreprise (ACRE) que vous proposez ne remplissent pas ces critères. C'est pourquoi, un rappel à l'ordre de mettre vos actions de formation en conformité vous a été adressé le 5 avril 2022. / Vous disposiez d'un délai de cinq jours pour mettre vos offres en conformité en procédant à leur modification ou leur suppression. / Malgré ce rappel à l'ordre, vos actions de formation n'ont pas été mises en conformité et ne respectent donc toujours pas les conditions d'éligibilité applicables aux actions de formation ACRE ". Ce courrier lui donnait un délai de trois semaines pour formuler ses observations écrites et faire connaître à la Caisse des dépôts et consignations les diligences prises pour remédier à cette non-conformité. Puis, par décision du 29 juin 2022, après avoir indiqué que la société n'avait pas apporté d'éléments de nature à démontrer que ses formations répondaient aux critères d'éligibilité, la Caisse des dépôts et consignations, qui ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour prononcer une telle sanction du seul fait que la société n'avait pas présenté de justificatifs, a procédé au déréférencement de la société pour une durée de neuf mois.
10. Si le courrier du 5 mai 2022 se présentait comme le lancement de la procédure contradictoire et faisait formellement état de griefs dirigés contre la société, il se bornait en réalité à rappeler les obligations légales de tout formateur. Il ne comportait pas l'énoncé des griefs retenus à l'encontre de la société Formations Professionnelles Foréziennes et qui ont fondé la décision en litige, à savoir le fait qu'elle n'a pas apporté d'éléments justifiant du caractère éligible de ses formations, ce qui n'était au demeurant pas clairement demandé par ce courrier. La Caisse des dépôts et consignations aurait dû, en l'espèce, soit directement faire état de griefs précis, si elle en avait connaissance soit, dans un premier temps, demander à la société Formations Professionnelles Foréziennes de justifier de l'éligibilité des formations offertes, puis, dans un second temps, une fois les manquements déterminés, à savoir soit le non-respect de l'un ou l'autre des critères d'éligibilité soit l'absence de présentation de tout justificatif sur l'éligibilité de ses formations, mettre en œuvre la procédure contradictoire prévue par le code des relations entre le public et l'administration et l'article 13 des conditions générales. La société Formations Professionnelles Foréziennes, qui n'a pas pu formuler d'observations sur des griefs précis a, en l'espèce, été privée d'une garantie. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a fait droit au moyen tiré de ce que la procédure avait été irrégulière en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire.
11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre motif d'annulation retenu par le tribunal et de se prononcer sur une éventuelle contradiction entre les motifs du jugement, que la Caisse des dépôts et consignations n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé sa décision. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme que la société Formations Professionnelles Foréziennes demande au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de la Caisse des dépôts et consignations est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Formations Professionnelles Foréziennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Caisse des dépôts et consignations et à la société Formations Professionnelles Foréziennes.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY01150
kc