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19/12/2024 | FRANCE | N°24LY01169

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 19 décembre 2024, 24LY01169


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 27 novembre 2023 par lesquelles le préfet de la Vienne a prononcé son expulsion du territoire français, a procédé au retrait de sa carte de résident de dix ans et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2311087 du 15 mars 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et un mé

moire, enregistrés les 25 avril et 27 mai 2024, M. C... A..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :



1°) à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 27 novembre 2023 par lesquelles le préfet de la Vienne a prononcé son expulsion du territoire français, a procédé au retrait de sa carte de résident de dix ans et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2311087 du 15 mars 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 avril et 27 mai 2024, M. C... A..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :

1°) à titre principal, de constater l'abrogation des décisions d'expulsion et fixant le pays de destination, et d'en tirer toutes conséquences de droit ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement et ces décisions d'expulsion et fixant le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui restituer sa carte de résident dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à l'Etat de lui délivrer un visa de retour sur le territoire français ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet a implicitement mais nécessairement abrogé les décisions d'expulsion en fixant le pays de destination ;

- le jugement attaqué est entaché d'insuffisance de motivation sur les moyens tirés de l'erreur de droit dans l'application de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'erreur de fait, de dénaturation de la décision d'expulsion, des pièces du dossier et de la nature du contrôle sur la menace grave à l'ordre public ;

- la décision d'expulsion est entachée d'erreur de droit et de défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'erreurs de fait relativement aux liens entretenus avec son père, sa mère, sa sœur et son frère ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation de la menace grave à l'ordre public ;

- elle est entachée d'erreur de droit dans l'application de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision désignant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'expulsion ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Un mémoire présenté par le préfet de la Vienne a été enregistré le 21 novembre 2024 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Porée, premier conseiller,

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,

- et les observations de Me Sabatier représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de Côte d'Ivoire, né le 25 novembre 2002, entré régulièrement sur le territoire français le 9 novembre 2018, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa long séjour valable du 30 octobre 2018 au 28 janvier 2019 délivré au titre du regroupement familial demandé par sa mère, a obtenu une carte de résident valable du 19 mai 2021 au 18 mai 2031. Après un avis défavorable à son expulsion émis par la commission départementale d'expulsion du 17 novembre 2023, le préfet de la Vienne a, par des décisions du 27 novembre 2023, décidé d'expulser M. A... du territoire français, retiré la carte de résident de dix ans sur le fondement du 1° de l'article R. 432-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 15 mars 2024 en tant que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en annulation des décisions d'expulsion et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions de non-lieu à statuer :

2. Si M. A... soutient que s'il a été invité, par message téléphonique de la préfecture, à venir récupérer sa carte de résident de dix ans et à régler les timbres fiscaux de 225 euros, il ne le démontre pas. Au demeurant, le préfet, qui a d'ailleurs mis à exécution la décision d'expulsion, ne peut être regardé comme ayant implicitement abrogé les décisions d'expulsion et fixant le pays de destination. Par suite, les conclusions de non-lieu à statuer doivent être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de se prononcer sur tous les arguments de M. A..., a retenu, au point 3 de son jugement, que le préfet n'avait pas commis d'erreur de fait en retenant que le requérant n'était pas dépourvu d'attache en Côte d'Ivoire où réside son père, et a répondu au point 10 de son jugement, de manière suffisamment circonstanciée, au moyen tiré de l'erreur de droit dans l'application de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué ne serait pas suffisamment motivé sur ce point doit être écarté.

4. En second lieu, M. A... soutient que le tribunal administratif a commis une erreur de fait, a dénaturé la décision d'expulsion, les pièces du dossier, ainsi que la nature de son contrôle sur la menace grave à l'ordre public. De tels moyens ne relèvent pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé.

Sur la légalité des décisions :

5. En premier lieu, la décision prononçant l'expulsion de M. A... du territoire français mentionne que l'intéressé est défavorablement connu des services de police et de justice pour quatre infractions, qu'il a nié ou minimisé ces faits et a indiqué méconnaître ses obligations dans le cadre de la peine prononcée avec sursis probatoire, devant la commission départementale d'expulsion, qu'il n'exprime aucun remords ni aucune forme de repentance sur les faits commis, qu'il a été hospitalisé d'office à deux reprises en 2022 pour des troubles psychiatriques sévères, alors même qu'il avait déclaré se sentir en bonne santé et ne pas comprendre les raisons de sa première hospitalisation, et qu'il a fugué lors de son séjour au centre hospitalier. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'erreur de droit et du défaut d'examen particulier de la situation personnelle du requérant, doivent être écartés.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ".

7. L'autorité compétente pour prononcer une mesure d'expulsion d'un étranger, qui a pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public qui pourraient résulter du maintien d'un étranger sur le territoire français, doit caractériser l'existence d'une menace grave au vu du comportement de l'intéressé et des risques objectifs que celui-ci fait peser sur l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une menace grave à l'ordre public pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

8. Il ressort du procès-verbal et de l'avis de la commission d'expulsion que M. A... a fait l'objet d'une convocation en vue d'une composition pénale en novembre 2021, puis d'une condamnation à une interdiction de port d'arme, pour des faits du 23 août 2021 d'usage illicite de résine de cannabis et port sans motif légitime d'arme de catégorie D ainsi que d'une convocation devant le délégué du Procureur de la République le 9 janvier 2023 pour des faits du 24 février 2022 de vol à l'étalage et à nouveau de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D. Il ressort également du procès-verbal et de l'avis de la commission d'expulsion que M. A... a comparu le 14 novembre 2023 devant le tribunal correctionnel de Poitiers, qui a renvoyé l'affaire au mois de novembre 2024 dans l'attente d'une expertise psychiatrique, pour des faits commis le 26 février 2022 de prise de possession du téléphone professionnel d'une contrôleuse de la SNCF, de saisie par le col de la veste de cette contrôleuse, de propos injurieux à l'encontre de cette dernière, et de jet de pierres sur un train causant des dommages sur deux vitres de celui-ci. Par le jugement du tribunal correctionnel de Poitiers du 24 juillet 2023, M. A... a été condamné à une peine de douze mois d'emprisonnement dont six mois assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans, et à une interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation pour une durée de trois ans, pour vol avec violence le 6 juillet 2023 sous la menace d'un couteau, sans incapacité totale de travail, et pour port le 20 juillet 2023 sans motif légitime d'un couteau, le tout en état de récidive légale pour avoir été condamné le 5 janvier 2023 par ordonnance pénale du président du tribunal judiciaire de Poitiers pour des faits similaires ou assimilés. La circonstance que M. A... n'aurait pas été en capacité, en raison de son état de santé mentale avant son hospitalisation d'office et la prise d'un traitement médicamenteux, de mesurer la portée exacte de ses actes des 23 août 2021, 24 et 26 février 2022, n'est pas de nature à relativiser sa dangerosité, alors que cette instabilité psychologique constitue un élément à prendre en compte dans la caractérisation de la menace pour l'ordre public. Si M. A... soutient qu'il ne présenterait plus de menace à l'ordre public depuis qu'il prend un traitement médicamenteux, il ne le démontre pas alors qu'il ressort d'une ordonnance du 12 septembre 2022 qu'un traitement par injection lui a été prescrit à cette date, qui ne l'a pas empêché de commettre les infractions précitées des 6 et 20 juillet 2023, et qu'il ressort du procès-verbal et de l'avis de la commission d'expulsion qu'il a fugué lors de son hospitalisation d'office. Dans ces conditions, la présence de M. A... sur le territoire français constitue une menace grave et actuelle à l'ordre public. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes (...) 5° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ".

10. Dans un avis du 24 novembre 2023, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé du requérant nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et que son état de santé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers ce pays. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... bénéficiait au jour de la décision attaquée d'un traitement par injection de palipéridone tous les vingt-huit jours, il ne démontre pas qu'un traitement équivalent à base d'une autre molécule ne serait pas accessible en Côte d'Ivoire. En outre, il ressort du rapport d'information concernant le requérant établi dans le cadre de la commission de l'application des peines du 24 octobre 2023 que le père de M. A... vit en Côte d'Ivoire. Selon le procès-verbal et l'avis de la commission d'expulsion, son père n'avait pas rompu tout lien avec ses enfants puisqu'il habitait chez le frère du requérant à Abidjan avant le départ de ce frère pour la France. Il en résulte que le préfet n'a pas commis d'erreur de fait quant aux liens que l'intéressé a conservés dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit dans l'application des dispositions précitées et de l'erreur de fait doivent être écartés.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

12. M. A... a séjourné cinq ans sur le territoire français, alors qu'il a vécu presque seize années en Côte d'Ivoire où il ne peut être dépourvu de toute attache personnelle. Le requérant ne peut être regardé comme justifiant d'une insertion particulière dans la société française, eu égard aux infractions précitées commises en France, et en se limitant à faire état d'un certificat d'aptitude professionnelle " employé de commerce multi-spécialités ", d'un contrat à durée déterminée du 10 juillet au 31 août 2021 et d'un contrat d'engagement jeune auprès de la mission locale d'insertion du 23 novembre 2022 au 25 mai 2023. M. A... ne démontre pas entretenir une relation sentimentale avec une ressortissante française, alors qu'il ressort du rapport d'information le concernant établi dans le cadre de la commission de l'application des peines du 24 octobre 2023 que leur relation est terminée. Si, contrairement à ce que retient le préfet, M. A... entretient des liens avec sa mère et sa sœur, toutes deux de nationalité française, ainsi qu'avec son frère, qui séjourne régulièrement sur le territoire français, il résulte de ce qui précède que son père réside dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de la Vienne, en édictant une mesure d'expulsion, n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Dès lors, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13.En cinquième et dernier lieu, M. A... reprend en appel les moyens qu'il avait invoqués en première instance à l'encontre de la décision fixant le pays de destination, tirés de l'exception d'illégalité et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 13 et 15 du jugement.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

M. Haïli, président-assesseur,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01169


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01169
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. - Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SELARL BS2A - BESCOU & SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;24ly01169 ?
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