Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Trelo a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 14 février 2022 par laquelle la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une suspension pour un mois de la prestation de services internationale effectuée au bénéfice de l'établissement français Trelo.
Par un jugement n° 2201168 du 13 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 août 2023, la société Trelo, représentée par Me Michalauskas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 14 février 2022 de la DREETS d'Auvergne-Rhône-Alpes ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration ne pouvait, s'agissant d'un simple détachement entre établissements d'une même société, lui demander de produire la " copie du contrat de prestation conclu avec le siège à Vilnius (contrat de sous-traitance, convention de prêt de main d'œuvre, accord de coopération) ainsi que les éléments de facturation s'y rapportant pour l'année 2021 ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal dans le jugement, l'administration n'a pas considéré que le détachement des salariés constituait un détachement intergroupe au sens des dispositions du 2° de l'article L. 1262-1 du code du travail, mais qu'il s'agissait d'une libre prestation de service ;
- elle ne pouvait être sanctionnée d'une " suspension de prestation " sur le fondement de l'article L. 1263-4 du code du travail dès lors que cette suspension ne peut s'appliquer qu'aux entreprises qui agissent dans le cadre de la libre prestation de services temporaire en France, visée au 1° de l'article L. 1262-1 du code du travail, et non à celles qui, comme elle, pratiquent le détachement intragroupe prévu par le 2° de cet article ; il ne peut y avoir de prestation de services, impliquant l'existence d'un donneur d'ordre, au sens des articles L. 1263-4 et R.1263-11-4 du code du travail, qu'entre deux entités juridiques distinctes ;
- cette décision constitue une entrave à la liberté d'établissement prévue à l'article 49 du traité de fonctionnement de l'Union européenne ;
- la seule sanction envisageable contre un établissement sis en France est la fermeture administrative prise sur le fondement de l'article L. 8272-2 du code du travail.
Par un mémoire enregistré le 16 janvier 2024, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Trelo ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 juin 2024, l'instruction a été close au 28 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité de fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Mme A... pour la ministre du travail et de l'emploi ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Trelo UAB, société de droit lituanien, possède plusieurs établissements en France, dont l'un est situé sur le territoire de la commune de Feyzin, dans le Rhône, où elle exerce une activité de réparation mécanique de poids-lourds. A la suite d'un contrôle mené sur ce site par l'inspection du travail, il a été demandé à la société Trelo UAB de produire les documents relatifs aux conditions d'emploi de onze salariés lituaniens détachés à Feyzin. A défaut de production de certains justificatifs, la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Auvergne-Rhône-Alpes a, par une décision du 14 février 2022, prononcé une suspension pour une durée d'un mois de la prestation de services réalisée par la société Trelo UAB située à Vilnius (Lituanie) au profit de la société Trelo située à Feyzin. La société Trelo UAB a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette décision. Par un jugement du 13 juin 2023 dont la société Trelo UAB relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1261-3 du code du travail : " Est un salarié détaché au sens du présent titre tout salarié d'un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci hors du territoire national, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national dans les conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 " L'article L. 1262-1 précise : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : / 1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ; / 2° Soit entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe ; / 3° Soit pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire. " L'article L. 1262-4 du code du travail prévoit : " I.- L'employeur détachant temporairement un salarié sur le territoire national lui garantit l'égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies sur le territoire national, en assurant le respect des dispositions légales et des stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies sur le territoire national, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne les matières suivantes : / (...) 6° Durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ; (...) 8° Rémunération au sens de l'article L. 3221-3, paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ; ". Enfin aux termes de l'article L. 1263-7 de ce code : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1263-3 de ce code : " Lorsqu'un agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 constate un manquement grave, commis par un employeur établi hors de France qui détache des salariés sur le territoire national, à l'article L. 3131-1 relatif au repos quotidien, à l'article L. 3132-2 relatif au repos hebdomadaire, à l'article L. 3121-18 relatif à la durée quotidienne maximale de travail ou à l'article L. 3121-20 relatif à la durée hebdomadaire maximale de travail, constate le non-paiement total ou partiel du salaire minimum légal ou conventionnel, constate un manquement de l'employeur ou de son représentant à l'obligation mentionnée à l'article L. 1263-7 en vue du contrôle du respect des dispositions des articles L. 3231-2, L. 3131-1, L. 3132-2, L. 3121-18 et L. 3121-20 du présent code, (...), il enjoint par écrit à cet employeur de faire cesser la situation dans un délai fixé par décret en Conseil d'État. (...). ". Aux termes de l'article L. 1263-4 du même code : " A défaut de régularisation par l'employeur de la situation constatée dans le délai mentionné à l'article L. 1263-3, l'autorité administrative compétente peut, dès lors qu'elle a connaissance d'un rapport d'un agent de contrôle de l'inspection du travail constatant le manquement et eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner, par décision motivée, la suspension par l'employeur de la réalisation de la prestation de services concernée pour une durée ne pouvant excéder un mois ".
4. Pour prononcer la sanction litigieuse de suspension pendant un mois de la prestation de services, l'administration s'est fondée sur le fait que la société Trelo UAB située à Vilnus, qui exécute une prestation au profit de la société Trelo située à Feyzin dans le cadre d'un détachement intragroupe, a commis un manquement aux dispositions de l'article L. 1263-7 du code du travail en ne produisant pas de documents lui permettant de vérifier que la société respecte la réglementation relative au salaire minimum pour dix des onze salariés détachés ainsi qu'au repos quotidien et au repos hebdomadaire pour les onze salariés.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier du 28 janvier 2022 , ainsi que des termes mêmes de la décision litigieuse, que l'administration a estimé que le détachement de salariés de la société Trelo UAB entrait dans le champ des détachements visés au 2° de l'article L. 1262-1, qualifiés de façon générique par l'administration de " détachements intragroupe ", bien qu'ils concernent tout à la fois les détachements entre sociétés d'un même groupe et les détachements entre établissements d'une même société, comme c'était le cas du détachement des salariés de la société Trelo UAB située à Vilnus exécutant une prestation au sein de l'établissement de cette société situé à Feyzin.
6. Il ne ressort pas des termes des dispositions précitées du code du travail que la sanction de suspension de prestation, prévue par l'article L. 1263-4 du code du travail, ne pourrait s'appliquer que dans le cadre de détachements visés par le 1° de l'article L. 1262-1 de ce code, réalisés pour le compte de l'employeur et sous sa direction, via un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France. Rien ne permet d'exclure du champ de cette sanction l'employeur qui détache son salarié dans les cas visés au 2° de cet article, qui impliquent que le salarié réalise une prestation pour la société ou l'établissement au sein duquel il est détaché, lequel doit être regardé comme le donneur d'ordre au sens des articles L. 1263-4 et R. 1263-11-4 du code du travail, et ce bien que ce type de détachement n'implique pas forcément l'existence de deux personnes morales distinctes.
7. En l'espèce, il est constant, ainsi que l'a indiqué le tribunal, que l'établissement de Feyzin est immatriculé au registre du commerce et des sociétés depuis le 2 décembre 2019 en qualité d'établissement principal, dispose de trois salariés et d'un gérant, de locaux propres ainsi que d'un compte bancaire. Les onze salariés de droit lituanien détachés sur le site de Feyzin par la société requérante, en vertu d'une déclaration effectuée le 26 décembre 2021 auprès de l'administration, y effectuaient des tâches de mécanique et d'entretien au profit de l'activité de ce même site, et non au profit de leur employeur étranger. Dans ces conditions, et alors que la société Trelo ne conteste pas ne pas avoir mis à disposition de l'administration les documents lui permettant de vérifier que la société respecte la réglementation relative au salaire minimum pour dix des onze salariés détachés ainsi qu'au repos quotidien et au repos hebdomadaire pour les onze salariés, conformément à ce que prévoit l'article L. 1263-7 précité, l'administration a pu, sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 1263-4, suspendre pendant un mois la prestation de services réalisée par les salariés détachés par la société Trelo au sein de son établissement de Feyzin.
8. En deuxième lieu, si l'administration a demandé à la société de produire, outre les éléments mentionnés à l'article L. 1263-7 du code du travail, la copie du contrat de prestation conclu avec le siège à Vilnius (contrat de sous-traitance, convention de prêt de main d'œuvre, accord de coopération) ainsi que les éléments de facturation s'y rapportant pour l'année 2021, la sanction litigieuse ne repose pas sur l'absence de communication par la société de ces documents. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait lui demander de tels éléments est, en l'espèce, inopérant.
9. En troisième lieu, la société Trelo soutient, sans autre précision, que la sanction litigieuse constituerait une entrave à sa liberté d'établissement en méconnaissance de l'article 49 du traité de fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, et faute de toute autre précision, une telle sanction n'apparaît pas, en l'espèce et par elle-même, de nature à constituer une entrave au principe de liberté d'établissement au sein des Etats membres.
10. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été indiqué ci-dessus, le moyen tiré de ce que la seule sanction envisageable contre un établissement sis en France et ne respectant pas la réglementation du travail est la fermeture administrative prise sur le fondement de l'article L. 8272-2 du code du travail ne peut qu'être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Trelo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Trelo est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Trelo et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY02652
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