Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2005091 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 25 mai 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Houriez, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- l'article 150-0 B ter du CGI, dans sa version en vigueur avant la modification introduite par la loi de finance rectificative pour 2016, a consacré la liberté de décider l'émission d'une soulte et a défini un seuil de 10 % et que le bénéfice du report d'imposition n'est soumis à aucune autre condition que le respect de ce seuil, le législateur n'ayant entendu attribuer aucune finalité particulière à la soulte ;
- la soulte n'avait pas pour effet d'éluder l'impôt sur le dividende mais d'éviter l'impact négatif d'une distribution de dividendes sur les capacités financières et d'investissement du groupe ;
- l'opération d'apport de titre avec soulte constitue un acte unique et non un montage juridique et n'a pas eu pour effet d'atténuer une charge fiscale, de sorte que les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ne peuvent trouver à s'appliquer.
Par un mémoire, enregistré le 28 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- les conclusions au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative sont sans objet.
Par une ordonnance du 25 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée le 17 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Poumeyrol, représentant les appelants ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte du 11 juillet 2014, M. et Mme C... ont apporté, chacun, à la SARL Holding K la totalité des 200 parts de la SARL Holding Fink et Associés qu'ils détenaient et qui représentaient globalement 40 % du capital de la société. En contrepartie de ces apports, évalués à 18 066 000 euros, M. et Mme C... ont reçu chacun 849 550 parts nouvelles de la SARL Holding K, d'une valeur nominale de 10 euros ainsi qu'une soulte de 537 500 euros, inscrite le 18 juillet 2014 au crédit de leurs comptes courants d'associé détenus dans cette société. La plus-value constatée lors de l'apport a été placée en report d'imposition sur le fondement de l'article 150-0 B ter précité y compris les soultes d'un montant total de 1 075 000 euros n'excédant pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus. A l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a estimé que le versement des soultes était dépourvu de toute justification économique et avait eu pour seul objectif d'appréhender immédiatement en franchise d'impôt une partie de la plus-value d'apport constatée lors de l'apport des titres. L'administration fiscale, mettant en œuvre la procédure de l'abus de droit sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a écarté la qualification de soulte et l'application aux sommes versées à ce titre du régime de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts et a réintégré dans leur revenu imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre de l'année 2014, la somme de 367 920 euros correspondant à l'imposition immédiate des soultes placées en report d'imposition. Par suite, l'administration fiscale a assujetti M. et Mme C... à un complément d'impôt sur le revenu, aux contributions sociales et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, au titre de l'année 2014, assortis de la majoration pour abus de droit de 80 % prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts. Par la présente requête, M. et Mme C... relèvent appel du jugement susvisé par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande de décharge des impositions, intérêts de retard et pénalités auxquels ils ont été assujettis pour un montant total de 664 530 euros.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.
3. Aux termes, d'autre part, du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2014 : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. (...) / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus (...) ". En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value qu'une personne physique retire d'un apport de titres ou droits est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable bénéficie, en vertu des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du même code, d'un report d'imposition si l'apport est effectué à une société qu'il contrôle et que le montant de la soulte perçue, le cas échéant, n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l'échange.
4. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.
5. Il résulte de l'instruction que le comité de l'abus de droit fiscal a, le 11 avril 2019, émis l'avis que l'administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l'abus de droit fiscal prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales s'agissant de la soulte perçue par M. et Mme C... dans le cadre de l'opération d'apport de titres du 11 juillet 2014 placée sous le régime du report d'imposition. Dès lors que l'administration fiscale s'est conformée à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, il incombe aux requérants d'établir que la rémunération partielle de leurs apports au moyen des soultes n'était pas constitutive d'un abus de droit.
6. En premier lieu, il est établi et non contesté que M. et Mme C... ont bénéficié de la mise à disposition des soultes en litige d'un montant total de 1 075 000 euros par inscription de leur montant au crédit du compte courant d'associé ouvert respectivement à leur nom dans la SARL Holding K dont ils détiennent la quasi-totalité du capital, et que ces soultes inscrites le 18 juillet 2014 au crédit de chacun des comptes, leur ont été remboursées par un virement sur leur compte bancaire personnel effectué le même jour par la SARL Holding K, bénéficiaire de l'apport, par le truchement de l'octroi d'un découvert bancaire ayant généré des frais financiers et venant obérer ses capacités d'investissement ou de développement. Il résulte de l'instruction qu'aux termes de l'opération d'apport égalitaire de titres, M. et Mme C... demeurent associés égalitaires et détenteurs chacun de 49 % des parts de la SARL Holding K bénéficiaire, sans qu'il ne soit fait état d'une opération de restructuration d'entreprise et ou d'une difficulté résultant de la détermination d'une parité d'échange des titres ou autre déséquilibre justifiant le versement d'une soulte. Si les appelants soutiennent que l'opération d'apport leur permettait de dégager des liquidités en vue notamment de futurs investissements professionnels sans pour autant compromettre les capacités de financement de la SARL Holding Fink et Associés, dont ils étaient personnellement associés au moment de l'apport, ils n'apportent aucune précision et justificatifs sur la nature et la consistance de ces investissements de sorte que les appelants ne démontrent pas l'intérêt de la SARL Holding K à verser la soulte à ses associés par l'octroi d'un découvert bancaire. Par suite, en l'absence de justification probante de l'intérêt économique pour la société, bénéficiaire de l'apport, de prévoir le versement d'une soulte afin de rendre possible la réalisation de l'opération de restructuration, le paiement de ces soultes doit être regardé comme ne s'inscrivant pas dans le respect du but poursuivi par le législateur au titre de la restructuration et du développement du groupe détenu par M. et Mme C... mais comme caractérisant une appréhension des liquidités en franchise d'impôt. Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a, à concurrence du montant de cette soulte, remis en cause, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le bénéfice du report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts.
7. En second lieu, si les appelants soutiennent que l'article 150-0 B ter du CGI, dans sa version en vigueur avant la modification introduite par la loi de finance rectificative pour 2016, a consacré la liberté de décider l'émission d'une soulte et n'a soumis le bénéfice du report d'imposition à aucune autre condition que le respect du seuil de 10 %, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le respect du seuil de 10 % prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts ferait obstacle à la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit et à la remise en cause de l'opération sur ce fondement.
8. En troisième et dernier lieu, alors que le gain financier de l'opération tiré du versement des soultes réside pour les contribuables dans le report du fait générateur de l'imposition de la somme totale dont s'agit, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le placement en report d'imposition des soultes versées dans le cadre de l'opération d'apport ne constituerait pas une atténuation de leur charge fiscale. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a estimé qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, M. et Mme C... ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales qu'ils auraient normalement supportées, faits constitutifs d'un abus de droit et a, pour ce motif, imposé la plus-value à hauteur du montant de la soulte assortie des pénalités prévues par le b) de l'article 1729 du code général des impôts.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Sur les dépens de l'instance :
10. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête ou de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat ". La présente instance n'ayant pas comporté de tels frais, les conclusions des appelants tendant à l'application de cet article ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... C... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY01790