Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E... Heintzmann a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 16 juin 2022 par laquelle le président de l'université Gustave Eiffel l'a licenciée, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux en date du 18 juillet 2022.
Par un jugement n° 2208611 du 9 février 2024 le tribunal a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 4 avril 2024, l'université Gustave Eiffel, représentée par Me Bazin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme Heintzmann ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- l'insuffisance professionnelle de Mme Heintzmann est établie et justifie son licenciement ; ses évaluations n'étaient pas que laudatives et ses carences managériales sont avérées ; les consignes données par sa hiérarchie n'étaient pas respectées.
Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2024, Mme B..., représentée par Me Brun, conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'université Gustave Eiffel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le président de l'université Gustave Eiffel ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 7 octobre 2024, l'instruction a été close au 21 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Marginean, pour l'université Gustave Eiffel, ainsi que celles de Me Brun, pour Mme Heintzmann ;
Considérant ce qui suit :
1. Ingénieure de recherche de 1ère classe, Mme Heintzmann exerçait les fonctions de secrétaire générale déléguée au sein de l'université Gustave Eiffel depuis le 1er janvier 2011. En mars 2021, le président de l'université Gustave Eiffel ayant été alerté, d'une part par Mme F... et d'autre part par M. A..., responsable du pôle des moyens généraux du campus de Lyon, d'accusations réciproques de harcèlement moral, une enquête administrative a été diligentée. Les membres de la commission d'enquête, sans retenir l'existence de faits de harcèlement moral, ont toutefois, d'une part, jugé nécessaire de soustraire M. A... à l'autorité hiérarchique de Mme Heintzmann, et, d'autre part, conclu à des défaillances managériales de cette dernière, ainsi qu'à des dysfonctionnements du secrétariat général délégué. Par une décision du 16 juin 2022, le président de l'université Gustave Eiffel a prononcé le licenciement de Mme Heintzmann pour insuffisance professionnelle, à compter du 1er octobre 2022. Par un courrier en date du 18 juillet 2022, l'intéressée a saisi l'université d'un recours gracieux. Mme Heintzmann a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer l'annulation de la décision du 16 juin 2022, ensemble celle rejetant implicitement son recours gracieux. Par un jugement du 9 février 2024, dont l'université Gustave Eiffel relève appel, le tribunal a fait droit à sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administratif : " Les jugements sont motivés. ". Il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif a pris en considération l'ensemble des éléments soumis à son appréciation et a répondu de manière suffisamment motivée à l'ensemble des moyens soulevés dans la demande. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la légalité de la décision de licenciement :
3. Aux termes de l'article L. 553-1 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire peut être licencié dans les cas suivants : (...) 3° Pour insuffisance professionnelle dans les conditions mentionnées aux articles L. 553-2 et L. 553-3 ; (...) ".
4. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s'agissant d'un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s'agissant d'un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ses fonctions.
5. Pour prononcer le licenciement pour inaptitude professionnelle de Mme Heintzmann, le président de l'université Gustave Eiffel s'est fondé, sans autres précisions, sur les défaillances managériales et les difficultés professionnelles décrites dans le rapport pour insuffisance professionnelle à la suite duquel la procédure de licenciement a été diligentée, sur des carences professionnelles et des dysfonctionnements du secrétariat général délégué dont l'intéressée a la responsabilité, ainsi que des répercussions induites sur le fonctionnement global du campus, enfin sur le non-respect réitéré des consignes données par sa hiérarchie.
6. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il ressort du rapport de la commission d'enquête administrative diligentée en raison d'une suspicion de harcèlement moral réciproque entre Mme Heintzmann et M. A... que l'intéressée ne s'est rendue responsable d'aucun fait de harcèlement moral à l'encontre de son subordonné. A l'issue de cette enquête, il a seulement été préconisé de soustraire ce dernier à la responsabilité hiérarchique de Mme B..., dans le cadre d'une réorganisation du secrétariat général délégué. La commission a également procédé à une enquête sur le fonctionnement du secrétariat. Elle s'est appuyée sur dix-neuf auditions. Aux termes de son rapport, elle a relevé certains dysfonctionnements du secrétariat général délégué, et a préconisé la mise en place de mesures de réorganisation des services. Elle a indiqué que Mme C... devait suivre des formations en management et évoluer vers un autre poste. Toutefois, les dix-neuf comptes rendus d'entretiens joints au rapport, seules pièces sur lesquelles il s'appuie, sont pour nombre d'entre eux peu ou pas exploitables, ayant été " censurés ". Ils émanent pour certains d'agents ne travaillant pas ou plus depuis de nombreuses années avec Mme Heintzmann. Ils ne sont en outre pas unanimement défavorables à l'intéressée ; notamment les deux chefs de pôle, ses subordonnés directs, ne font état d'aucun grief ni d'aucune difficulté. S'il ressort de certains témoignages des maladresses de communication, notamment par courriel, pour l'un, un manque de confiance ou, pour d'autres, un sentiment de mal-être dans leur travail, toutefois, d'autres entretiens font état de rapports cordiaux, Mme B... étant décrite par un agent comme une cheffe très agréable, et par un autre comme une supérieure hiérarchique qui défend les personnels de son pôle. La seule circonstance que l'intéressée travaille pour une part importante de son temps en télétravail, si elle peut être de nature à compliquer la gestion du service, est par elle-même sans incidence sur ses qualités professionnelles.
7. En outre, si le rapport constatant l'insuffisance professionnelle indique " depuis deux ans, une accumulation de plusieurs faits documentés concernant Madame Heintzmann ont révélé des erreurs récurrentes, un manque de méthode, des négligences, et montrent une incapacité à poursuivre les fonctions de ce poste à forte responsabilité ", il s'avère, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que ce rapport s'est essentiellement fondé sur celui de la commission d'enquête, dont il a été fait état au point précédent, sans apporter d'éléments supplémentaires au soutien des griefs faits à l'intéressée. Aucun autre élément ne permet notamment de conclure à des incidences sur le fonctionnement du service. Au soutien de l'absence de respect des consignes hiérarchiques, il n'est rapporté que les circonstances ayant donné lieu à un blâme, du fait de prises de contact avec son équipe pendant une période d'arrêt de travail, alors qu'un intérim avait été mis en place. S'il est par ailleurs reproché à l'intéressée d'avoir décacheté des courriers qui étaient destinés à la direction ou aux services du personnel, toutefois l'intéressée a soutenu en première instance, sans être contredite sur ce point, qu'il ne s'agissait que d'une pratique autorisée durant la période de pandémie de Covid-19, pour assurer la continuité du service. Ainsi les faits reprochés à Mme Heintzmann ne ressortent pas des autres pièces versées au débat, alors qu'il ressort de son entretien d'évaluation, au titre de l'année 2020, que l'intéressée " est une cadre confirmée qui maîtrise tous les aspects du poste de secrétariat général délégué. Elle a su gérer l'ensemble de son portefeuille d'activités en cette année exceptionnelle de façon réactive, solide et déterminée. ".
8. S'il est vrai que Mme B... a pu faire preuve de maladresses au plan managérial dont notamment certaines réticences à déléguer, intervenues toutefois dans un contexte marqué par un conflit interpersonnel avec le nouveau responsable des moyens généraux et une fusion récente, ainsi que dans son mode de communication, parfois trop réactionnel ou clivant, et s'il est par ailleurs évoqué des interventions manuelles sur un site de gestion des temps de travail, de son propre chef, sans information ni des services des ressources humaines ni du responsable hiérarchique des deux agents concernés, et sans respecter les procédures en place, ces circonstances ne sont pas, à elles seules, constitutives d'une insuffisance professionnelle. Ainsi, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure que la manière de servir de Mme B..., notamment ses méthodes managériales, était révélatrice d'une insuffisance professionnelle.
9. Il résulte de ce qui précède que l'université Gustave Eiffel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de Mme B.... Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'université Gustave Eiffel est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Mme Heintzmann une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et à Mme E... B....
Copie en sera adressée au président de l'université Gustave Eiffel.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
I. BoffyLa présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00958
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