Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. I... G... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 23 décembre 2022 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse.
Par un jugement n° 2300225 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 22 mars 2024, M. G... représenté par la Selarl BS2A Bescou et Sabatier Avocats Associés, agissant par Me Sabatier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du préfet du Rhône du 22 décembre 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de délivrer l'autorisation sollicitée ou, à tout le moins, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur le bien-fondé du jugement :
- la décision contestée est entachée d'une insuffisante motivation au regard de l'intérêt supérieur des enfants mineurs du requérant et d'un défaut d'examen sérieux et particulier de sa situation personnelle ;
- le préfet a commis une erreur de droit en s'estimant lié par l'absence de respect des conditions de ressources requises ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La procédure a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 juillet 2024.
M. G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Haïli, président-assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. G..., ressortissant tunisien né le 22 septembre 1978, titulaire d'une carte de résident de dix ans délivrée le 3 juin 2013, a déposé en préfecture du Rhône, le 7 juin 2022, une demande de regroupement familial au bénéficie de son épouse, Mme D... A..., laquelle a été rejetée par décision du préfet du Rhône du 23 décembre 2022. Par la présente requête, M. G... relève appel du jugement susvisé par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les premiers juges étaient saisis à l'encontre de la décision en litige du moyen, qu'ils n'ont pas visé, tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. En s'abstenant de se prononcer sur ce moyen soulevé par le requérant, qui n'était pas inopérant, les premiers juges ont entaché d'irrégularité leur jugement. Par suite, l'appelant est fondé à soutenir que le jugement de première instance est entaché d'irrégularité et doit être annulé pour ce motif.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. G... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité de la décision du préfet du Rhône du 23 décembre 2022 :
4. En premier lieu, par un arrêté du 11 janvier 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du Rhône le lendemain, lequel est accessible au juge comme aux parties, le préfet du Rhône a donné délégation de signature à Mme J... B..., attachée principale, cheffe du bureau des examens spécialisés, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme E... H..., directrice des migrations et de l'intégration, la totalité des actes établis par cette direction, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figure pas la décision contestée. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée doit ainsi être écarté.
5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
6. L'arrêté en litige, qui vise l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, précise que la demande de titre de séjour était fondée sur les articles L. 434-2 et L. 432-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a examiné l'ensemble des éléments de droit et de fait en lien avec cette demande, en particulier la situation administrative de M. G.... Le préfet du Rhône a, ensuite, indiqué que les conditions de ressources pour subvenir aux besoins de sa famille n'étaient pas remplies. Ainsi, cet arrêté, qui n'avait pas à mentionner tous les éléments de fait relatifs à la situation du requérant, en particulier au regard de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de manière suffisamment circonstanciée pour mettre le requérant en mesure d'en discuter utilement les motifs. Par ailleurs, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni de la motivation de la décision en litige que le préfet du Rhône se serait abstenu de procéder à un examen réel et sérieux de la situation de M. G.... Enfin, il ne ressort pas des termes de la décision en litige, qui se prononce également au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le préfet se serait estimé en situation de compétence liée par la condition de ressources nécessaire au regroupement familial pour édicter la décision attaquée. En conséquence, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen particulier et de l'erreur de droit doivent être écartés.
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Il résulte des mêmes dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, notamment en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit du demandeur de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou lorsqu'il est porté atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant tel que protégé par les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.
9. M. G..., qui ne conteste pas ne pas remplir les conditions de ressources suffisantes prévues à l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, expose qu'il assume seul la charge de ses deux enfants nés d'un premier mariage, sur lesquels il a l'autorité parentale exclusive en vertu d'un jugement du juge des affaires familiales du tribunal judiciaire de Lyon du 12 mai 2022, le plus jeune des deux, âgé de sept ans, souffrant d'un handicap, avec un taux d'incapacité d'au moins 80 %, que ses enfants ont besoin d'une présence féminine et que la décision en litige le prive de la possibilité d'entamer une activité professionnelle. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que le mariage, célébré le 29 avril 2022, avec Mme A... est récent, que les époux vivent séparés depuis lors, et qu'aucune précision n'est apportée sur les liens entre sa nouvelle épouse et ses enfants nés d'une première union. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 7 novembre 2022 de la maison départementale-métropolitaine des personnes handicapées, son enfant C... s'est vu attribuer une aide humaine individuelle aux élèves handicapés et une orientation vers un institut médico-éducatif, recouvrant la prise en charge de prestations des actes de la vie quotidienne, des activités de la vie sociale et relationnelle et des accès aux activités d'apprentissage, ainsi que des moyens médicaux, scolaires et de rééducation personnalisés. A cet égard, les pièces produites par le requérant, qui bénéficie d'un accompagnement social pour ses démarches par les services de la maison de la Métropole Vénissieux Sud, n'établissent pas, à la date de la décision en litige, que sa présence aux côtés de son enfant handicapé serait indispensable au point d'empêcher tout exercice d'une activité professionnelle, au besoin dans des conditions et rythmes de travail adaptés à cette situation particulière et que, compte tenu de l'état de santé et le handicap de son fils, il ne pourrait se faire assister par une tierce personne pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée porterait aux droits de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris, et méconnaitrait dès lors les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Enfin, le requérant se borne à faire valoir que ses enfants ont besoin d'une présence et d'une figure féminine et que la décision en litige prive ses enfants de ressources que pourrait lui procurer une activité professionnelle. Ces seules circonstances, non étayées et au demeurant sans incidence directe avec l'objet de la décision en litige, ne suffisent pas à établir que le refus d'autoriser le regroupement familial au bénéfice de la nouvelle épouse de M. G..., dont les liens avec les enfants ne sont aucunement précisés, porterait atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que M. G... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision contestée. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'il présente au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300225 du tribunal administratif de Lyon du 22 février 2024 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. G... devant le tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de la décision du 23 décembre 2022 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... G... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. F...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 24LY00803