Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 mars 2022 par laquelle le préfet du Rhône a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au bénéfice de son époux.
Par un jugement n° 2205800 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 14 février 2024, Mme C... épouse E..., représentée par Me Rodrigues, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du préfet du Rhône du 4 mars 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de faire droit à sa demande de regroupement familial ou de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont procédé à une substitution de motifs sans demande en ce sens de l'administration ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale en l'absence d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La procédure a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas produit de conclusions.
Par une ordonnance du 11 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 1er juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur ;
- et les observations de Me Rodrigues, représentant Mme B... C... épouse E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante algérienne titulaire d'une carte de résident valable du 20 septembre 2021 au 19 septembre 2031, s'est mariée le 17 février 2018 avec M. D... E..., ressortissant algérien. Elle a déposé le 6 septembre 2018 une demande de regroupement familial au profit de son époux. Par une décision du 4 mars 2022, le préfet du Rhône a rejeté cette demande au motif que ses ressources inférieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance pour la période de référence sont insuffisantes pour permettre à l'intéressée de subvenir aux besoins de sa famille. Par la présente requête, Mme C... relève appel du jugement susvisé par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Il ressort du jugement en litige qu'après avoir invalidé le motif de la décision en litige fondé sur l'insuffisance des conditions de ressources de Mme C..., en l'absence de prise en compte de l'ensemble des ressources du couple, supérieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance, le tribunal a jugé que le préfet du Rhône avait fait valoir en défense devant lui que la décision en litige était légalement justifié par le motif tiré de ce que l'époux de la requérante résidait déjà, à la date de cette décision, en France. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le tribunal ne s'est pas mépris sur la portée des écritures du préfet dès lors qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que ce motif a été invoqué par l'administration dans le mémoire en défense enregistré le 29 novembre 2023, et alors même que le préfet n'avait pas expressément présenté une demande de substitution de motifs. Par ailleurs, la communication des écritures du préfet a mis à même Mme C... de présenter ses observations sur la substitution de cet autre motif au motif initial. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait procédé irrégulièrement à une substitution de motifs.
4. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de procédure ou de forme qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, l'appelante ne peut utilement se prévaloir de l'existence d'erreurs manifestes d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué sur le terrain de la régularité.
Sur la légalité de la décision de refus de regroupement familial :
5. En premier lieu, il ressort des termes de la décision en litige que celle-ci vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers dont elle fait application, et notamment l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 septembre 1968 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les éléments de fait pertinents pour leur application, en particulier les conditions de ressource de Mme C.... Alors que le préfet n'était pas tenu de mentionner l'ensemble des éléments caractérisant la situation familiale de la requérante, la décision attaquée répond ainsi à l'obligation de motivation en droit et en fait telle qu'elle résulte notamment des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
6. En deuxième lieu, il ne ressort ni de l'arrêté critiqué ni d'aucune pièce du dossier que le préfet ne se serait pas livré à un examen réel et sérieux de la situation de Mme C... avant de prendre la décision en litige. Cette décision ne saurait être entachée d'un défaut d'examen au seul motif qu'elle ne mentionne pas la naissance d'un premier enfant ou la grossesse en cours de la demanderesse. Par ailleurs, la circonstance que le préfet a omis de prendre en compte les revenus de son époux au titre de son contrat à durée indéterminée n'est pas davantage de nature à révéler que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. (...) Peut être exclu de regroupement familial : / (...) 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français (...) ".
8. Il n'est pas contesté qu'à la date de la décision en litige l'époux de Mme C..., en faveur duquel elle a présenté sa demande, résidait sur le territoire français. Le préfet était dès lors en droit, en application des stipulations précitées, de rejeter pour ce motif substitué la demande de regroupement familial dont il était saisi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 doit être écarté.
9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Lorsqu'elle se prononce sur une demande de regroupement familial, l'autorité préfectorale est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une des conditions légalement requises, notamment en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Elle dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit du demandeur de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou lorsqu'il est porté atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant tel que protégé par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
11. Si Mme C... épouse E..., qui réside depuis plus de quatorze années en France et qui est titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de dix ans valable jusqu'en 2031, soutient qu'elle et son époux présent en France depuis le 14 décembre 2017 ont eu un enfant né le 28 mars 2021 et qu'elle était enceinte à la date de la décision attaquée, la décision en litige n'implique pas, en elle-même que l'enfant quitte le territoire français. En outre, l'arrêté litigieux n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer durablement les époux, en l'absence de toute circonstance laissant augurer une durée excessive de la procédure d'instruction en cas de présentation d'une nouvelle demande. Dans ces conditions, et nonobstant la durée du séjour de l'appelante et la circonstance qu'elle souffre de crise d'asthme, la décision contestée ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme portant une atteinte excessive au droit de Mme C..., au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise, parmi lesquels figure la nécessité de faire respecter la procédure d'introduction en France au titre du regroupement familial. Pour les mêmes motifs, elle n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant de l'intéressée, tel que protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée et de sa famille.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et, en tout état de cause, celles présentées en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... épouse E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône et à Me Rodrigues.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 24LY00381