Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, des contributions sociales, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement nos 2001996, 2100033, 2108750 du 5 juillet 2023, le tribunal administratif de Grenoble a constaté un non-lieu à statuer à hauteur du montant de 162 001 euros dégrevé en cours d'instance (article 1er) et a rejeté le surplus de ses demandes (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 août 2023 et 22 janvier 2024, Mme D... B..., représentée par Me Tournoud, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions auxquelles elle demeure assujettie et des pénalités correspondantes ;
3°) de condamner l'Etat aux dépens, et de mettre à sa charge une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une absence de réponse au moyen tiré de ce que les dividendes sont imposables en France au titre de l'année 2012 au nom des associés, en raison du caractère de sociétés de personnes des deux SARLU luxembourgeoises, ainsi que d'une dénaturation des faits, d'erreurs de droit et d'une contradiction de motifs ;
- l'article 123 bis du code général des impôts méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe constitutionnel d'annualité de l'impôt, le principe de sécurité juridique garanti par la Constitution et son Préambule, et le principe constitutionnel d'interdiction des impositions à caractère confiscatoire ;
- cet article est incompatible avec les libertés d'établissement et de circulation des capitaux, et le droit de propriété ;
- les SARLU Addyx et DP4, qui sont des sociétés à responsabilité limitée dont Mme B... et M. C... étaient respectivement associé unique, sont assimilables à des EURL en droit français, qui relèvent des sociétés de personnes, et ainsi les bénéfices de ces deux sociétés de droit luxembourgeois sont imposables en France directement entre les mains de leurs associés, résidents en France, au 31 décembre 2012 ;
- les paragraphes n° 80, 90 et 120 de la documentation administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-20-10, n° 120 de la documentation administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-30, et n° 50 de la documentation administrative référencée BOI-INT-CVB-USA-10-20-20, sont opposables à l'administration ;
- la création des SARLU Addyx et DP4 ne participe pas d'un montage purement artificiel, et ces sociétés ne bénéficient pas d'un régime fiscal privilégié au Luxembourg ;
- le paragraphe n° 200 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-CHG-80-10 est opposable à l'administration.
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2023 le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance n° 23LY02712 du 4 avril 2024, le président de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B....
Par ordonnance du 9 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Tournoud, représentant Mme B... ;
Une note en délibéré présentée par Mme B... a été enregistrée le 15 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... et M. C..., mariés et fiscalement domiciliés en France, qui détenaient ensemble la totalité du capital de la société Sytex Finance, société ayant pour activité le conseil en investissement financier, la gestion de patrimoine, le courtage, l'intermédiation en assurance et le démarchage bancaire et financier dont le siège était à Montbonnot-Saint-Martin (Isère), ont créé, le 3 juillet 2012, les SARLU Addyx et DP4, sociétés de droit luxembourgeois dont ils sont devenus, chacun, l'associé unique, auxquelles ils ont apporté la totalité des titres de la société Sytex Finance en contrepartie de l'attribution des parts représentant la totalité du capital social des deux sociétés luxembourgeoises. Le 14 septembre 2012, après avoir procédé à une réduction de son capital de 3 188 500 euros à 191 310 euros et remboursé en numéraire les sommes de 1 498 595 euros à chacune des sociétés luxembourgeoises, la société Sytex Finance leur a versé, à chacune, des dividendes de 1 101 542 euros. À l'issue d'un contrôle sur pièces et de la mise en œuvre de l'assistance administrative internationale auprès des autorités fiscales luxembourgeoises, l'administration, constatant que Mme B... et M. C... détenaient chacun plus de 10 % du capital des sociétés luxembourgeoises dont l'actif était principalement constitué de valeurs mobilières, a réintégré dans leur revenu imposable de l'année 2013, sur le fondement de l'article 123 bis du code général des impôts, les revenus réputés distribués par la SARLU DP4 et la SARLU Addyx majorés du coefficient de 1,25 prévu au 2° de l'article 158-7 du code d'un montant de, respectivement, 1 373 688 euros et 1 376 755 euros. En conséquence de ces rehaussements, Mme B... et M. C... ont été assujettis, au titre de l'année 2013, à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et aux contributions sociales. Ces impositions ont été assorties de la majoration pour manœuvres frauduleuses de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 5 juillet 2023, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les trois demandes de décharge des impositions et pénalités dont il était saisi et avoir constaté un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement de 162 001 euros prononcé en cours d'instance en ce qui concerne les contributions sociales et les pénalités correspondantes, a rejeté le surplus des conclusions de Mme B.... Celle-ci relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif de Grenoble, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés à l'appui de la demande, a répondu aux points 14 et 15 de son jugement, de manière suffisamment motivée, au moyen de la requérante tiré de ce que les dividendes devaient être imposés en France au titre de l'année 2012 au nom des associés, en raison du caractère de sociétés de personnes des deux SARLU luxembourgeoises. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.
3. Si Mme B... soutient que le tribunal administratif de Grenoble a commis une dénaturation des faits, des erreurs de droit et une contradiction de motifs, ces moyens ne ressortent pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206. 2. Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus indirectement par la personne physique mentionnée au 1, s'entendent des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l'intermédiaire d'une chaîne d'actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote ; l'appréciation du pourcentage des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ainsi détenus s'opère en multipliant entre eux les taux de détention desdites actions ou parts, des droits financiers ou des droits de vote successifs. La détention indirecte s'entend également des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus directement ou indirectement par le conjoint de la personne physique, ou leurs ascendants ou descendants. Toutefois, ces actions, parts, droits financiers ou droits de vote ne sont pas pris en compte pour le calcul du revenu de capitaux mobiliers de la personne physique mentionné au 1. 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par l'entité juridique est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés. (...). 4 bis. Le 1 n'est pas applicable, lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne, si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. 4 ter. La condition de détention de 10 % prévue au 1 est présumée satisfaite lorsque la personne physique a transféré des biens ou droits à une entité juridique située dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A. ". Par une décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots " lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne, " figurant au 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts à compter de la date de publication de sa décision.
En ce qui concerne la constitutionnalité de l'article 123 bis :
5. Par une ordonnance du 4 avril 2024, le président de la 2ème chambre de la cour de céans a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.... Si la requérante soutient que l'article 123 bis du code général des impôts méconnaîtrait le principe constitutionnel d'interdiction des impositions à caractère confiscatoire, ce moyen ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-13 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée par un mémoire distinct, ce moyen est irrecevable.
En ce qui concerne la compatibilité de l'article 123 bis avec les libertés d'établissement et de circulation des capitaux et le droit de propriété :
6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, par sa décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa version issue de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 n'était constitutionnelle qu'en étant lue comme suit : " Le 1 n'est pas applicable si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ".
7. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Aux termes de l'article 63 de ce traité : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. 2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ". En application de ces stipulations, une mesure susceptible d'entraver la liberté d'établissement et la liberté de mouvement de capitaux ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que son application soit propre à garantir la réalisation de l'objectif ainsi poursuivi et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci, la lutte contre l'évasion fiscale étant au nombre des objectifs légitimes compatibles avec le traité que les États membres peuvent poursuivre et répondant à une raison impérieuse d'intérêt général. Pour ce qui concerne la justification tirée de l'objectif de prévenir l'évasion fiscale, peuvent être admises les mesures ayant pour objet spécifique de faire obstacle aux montages artificiels dont le but serait d'éluder l'application de la législation fiscale française.
8. Aux termes de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général. (...) ". Aux termes de l'article 52 de la même charte : " (...) Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. ".
9. Les dispositions de l'article 123 bis du code général des impôts ont été adoptées par le législateur afin de lutter contre la fraude fiscale, qui est au nombre des objectifs légitimes compatibles avec les stipulations précitées que les États membres peuvent poursuivre et répondant à une raison impérieuse d'intérêt général. Dans la rédaction antérieure de cet article issue de la loi du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2017-659 QPC du 6 octobre 2017, déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, sous la réserve d'interprétation mentionnée au point 7 de sa décision, selon laquelle cet alinéa ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis du code général des impôts, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscales, la localisation de revenus à l'étranger. En outre, l'article 123 bis du code général des impôts ne permet pas en lui-même une double imposition des associés de sociétés de personnes, et la requérante n'a pas été imposée au titre de l'année 2012 pour les revenus réputés distribués par la SARLU Addyx. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les libertés d'établissement, de circulation des capitaux et le droit de propriété feraient obstacle à l'application des dispositions de l'article 123 bis du code général des impôts.
En ce qui concerne l'application de l'article 123 bis du code général des impôts en l'espèce :
S'agissant de l'existence d'un montage artificiel :
10. Les sociétés Addyx et DP4, qui ne disposent au Luxembourg que d'une adresse de domiciliation via une société domiciliaire dont le gérant est co-gérant de ces deux sociétés, n'avaient pas de salariés au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2012, et n'a employé que Mme B... et M. C... en tant que salariés au cours de l'exercice clos en 2013. La vérificatrice a relevé que les courriels du co-gérant de février, mars et juin 2013, ne donnent que des indications très imprécises sur d'éventuelles réunions, sur des rencontres avec des interlocuteurs, mais également que les rapports de gestion du conseil de gérance et les comptes rendus mensuels des deux sociétés luxembourgeoises ne rendent compte d'aucune activité économique concrète. Les dépenses engagées par les sociétés Addyx et DP4 pour les équipements en logistique et les charges administratives (abonnements aux postes et télécommunications du Luxembourg, mise à disposition d'une plateforme virtuelle) sont très limitées par rapport aux autres dépenses d'exploitation non rattachées au lieu de résidence des deux sociétés, notamment les rémunérations versées à Mme B... et M. C... à partir de 2013. De plus, les conventions conclues entre d'une part, la société Sytex Finance, et d'autre part, les sociétés Addyx et DP4, prévoient que ces deux sociétés gèrent les excédents ou besoins de trésorerie de la société française sans aucune commission en contrepartie. Si les contrats d'assistance technique et de gestion, passés entre ces trois sociétés, stipulent que les deux sociétés luxembourgeoises assurent à la société Sytex Finance des prestations de conseil et d'assistance administrative dans les domaines comptable, financier, juridique et fiscal, moyennant une rémunération, Mme B... et M. C..., qui étaient les seuls salariés respectivement des sociétés Addyx et DP4, ne pouvaient qu'être les seuls à réaliser les prestations de services au bénéfice de la société française, alors qu'ils sont également les seuls salariés de la société Sytex Finance dont l'objet social inclut l'exécution de prestations de même nature que celles dispensées par les deux sociétés luxembourgeoises, et que les factures par les sociétés Addyx et DP4 ne mentionnent pas le détail des prestations rendues. Les bilans des sociétés Addyx et DP4, qui sont des holdings mixtes, au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 2013, mentionnent principalement des immobilisations financières correspondant seulement aux titres de la société Sytex Finance, ainsi que des créances constituées pour leur plus grande part par une créance sur la société Sytex Finance correspondant au solde du remboursement consécutif à la réduction de capital de cette société, et par d'autres créances sur associés, et ces bilans indiquent également des placements financiers qui n'ont été rendus possibles que par le versement de dividendes de la société Sytex Finance et par le remboursement d'apport. Mme B... n'apporte pas de précisions sur le rôle qu'aurait rempli les sociétés Addyx et DP4 afin de permettre à la société Sytex Finance de conclure des conventions de partenariat avec des sociétés installées au Luxembourg. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'administration a pu à bon droit estimer que les sociétés Addyx et DP4 étaient dénuées de substance économique au cours des exercices clos en 2012 et 2013, et que leur création, qui ne répondait pas à un motif économique, financier ou patrimonial, présentait le caractère d'un montage artificiel réalisé dans le but exclusif de contourner la législation fiscale française et ainsi d'éluder l'impôt.
S'agissant de l'assujettissement à un régime fiscal privilégié :
11. En premier lieu, aux termes de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable " (...) Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. (...) ".
12. Aux termes du 1 de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation. (...) c. Les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans. En cas de non-respect du délai de conservation, la société participante est tenue de verser au Trésor une somme égale au montant de l'impôt dont elle a été exonérée indûment, majoré de l'intérêt de retard. Ce versement est exigible dans les trois mois suivant la cession. (...) ". Aux termes du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges prévue au premier alinéa du présent I est fixée à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. (...) ".
13. Lorsque l'administration fiscale se prévaut de l'article 238 A du code général des impôts, elle doit justifier que le bénéficiaire des sommes est soumis hors de France à un régime fiscal privilégié par comparaison avec celui auquel il serait soumis s'il les percevait en France. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés sur le traitement fiscal effectif auquel est soumis ce bénéficiaire dans le pays où il est domicilié ou établi ou, à défaut, sur les modalités selon lesquelles y sont imposées des activités du type de celles qu'il exerce, en prenant en compte, dans un cas comme dans l'autre, l'ensemble des impositions directes sur les bénéfices ou les revenus. Pour l'application de l'article 123 bis du code général des impôts, les bénéfices ou les revenus positifs d'une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du code général des impôts comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du code général des impôts dès lors que l'entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France.
14. L'administration indique que le régime fiscal luxembourgeois auquel sont soumises les sociétés Addyx et DP4 les exonère de l'impôt sur le revenu des collectivités pour les dividendes reçus à raison des participations détenues dans la société Sytex Finance, et il résulte de l'instruction que les sociétés Addyx et DP4 ont été assujetties au Luxembourg au titre de l'exercice clos en 2012 à l'impôt sur le revenu des collectivités, qui est un impôt sur le résultat, pour des montants respectifs de 1 575 euros et 1 619,54 euros. Si Mme B... soutient qu'il faut tenir compte de l'impôt sur la fortune existant au Luxembourg pour établir le caractère privilégié ou non du régime fiscal auquel sont soumises les sociétés Addyx et DP4, ces deux sociétés n'ont pas acquitté cet impôt au titre de l'exercice clos en 2012, mais seulement au titre de l'exercice suivant sur la base d'avis d'imposition établis en 2014, et, au demeurant, l'impôt sur la fortune luxembourgeois ne constitue pas un impôt sur les bénéfices et les revenus au sens de l'article L. 238 A du code général des impôts. Le ministre établit, après avoir précisé que le bénéfice comptable réalisé par les sociétés luxembourgeoises a été déterminé sur la base des documents transmis par les autorités luxembourgeoises en réponse à une demande d'assistance administrative, que même si le régime de faveur des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du code général des impôts était appliqué à tous les produits financiers, les sociétés Addyx et DP4 auraient été soumises en France à l'impôt sur les sociétés respectivement à hauteur de 11 324,33 euros et de 10 506,67 euros. Dans ces conditions, l'impôt acquitté au Luxembourg par les sociétés Addyx et DP4 demeurerait inférieur de plus de la moitié à celui auquel elles auraient été redevables si elles avaient été établies en France, et ainsi, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que ces deux sociétés étaient soumises à un régime fiscal privilégié au Luxembourg au sens des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts.
15. En second lieu, Mme B... ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe n° 200 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-CHG-80-10, qui concerne en tout état de cause les bénéfices industriels et commerciaux.
S'agissant de la base légale et de l'année d'imposition :
16. En premier lieu, l'article 123 bis précité du code général des impôts, qui, dans les cas qu'il prévoit, répute être des revenus de capitaux mobiliers les bénéfices ou revenus positifs d'entités juridiques personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables établies ou constituées hors de France, sans distinguer entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, ne fait pas, par lui-même, obstacle à l'imposition de bénéfices ou revenus provenant de sociétés étrangères susceptibles d'être assimilées à des sociétés de personnes au sens du droit français. Au demeurant, les SARLU Addyx et DP4, qui sont assujetties au Luxembourg à l'impôt sur le revenu des collectivités correspondant en France à l'impôt sur les sociétés, sont assimilables, au sens du droit français, à des sociétés à responsabilité limitée dont l'associé unique est une personne physique, ayant opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux conformément au e. du 3 de l'article 206 du code général des impôts. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les revenus taxés sur le fondement de l'article 123 bis du code général des impôts ne seraient pas imposables au titre de l'année 2013 mais au titre de l'année 2012 compte tenu des caractéristiques de ces sociétés luxembourgeoises doit être écarté.
17. En second lieu, Mme B... ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des paragraphes n° 80, 90 et 120 de la documentation administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-20-10, et n° 120 de la documentation administrative référencée BOI-INT-DG-20-20-30, se rapportant à la retenue à la source, ni du paragraphe n° 50 de la documentation administrative référencée BOI-INT-CVB-USA-10-20-20, qui concerne la convention fiscale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, pour faire échec à l'application de la loi fiscale.
18. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que, en tout état de cause, celles relatives aux dépens, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02712