Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Saving Business a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2016, des pénalités correspondantes et des amendes.
Par un jugement n° 2007038 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 juin 2023, la SARL Saving Business, représentée par Me Duraffourd, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions, pénalités et amendes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la charge de la preuve incombe à l'administration en raison du recours à la procédure de rectification contradictoire ;
- la vente de cartes téléphoniques prépayées est assimilée à une prestation de service de télécommunication ; le paragraphe 310 de la documentation administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-20-50-50 est opposable à l'administration ;
- ses ventes de cartes téléphoniques prépayées dans la région de Marseille étaient réalisées par l'intermédiaire de la société Allo Le Bled, et le volume des ventes démontre que seuls des assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ont acquis ces cartes ;
- en ce qui concerne ses clients hors de Marseille, elle a fait établir des attestations par lesquelles ses clients s'engageaient à autoliquider la taxe sur la valeur ajoutée lors de l'acquisition des cartes téléphoniques prépayées et il ne lui revenait pas de procéder à d'autres recherches ; elle ignorait que les cartes téléphoniques n'étaient pas destinées à la revente mais à la rémunération d'heures de travail non déclarées, les défaillances de quatre de ses clients ne lui étant pas imputables ; ses ventes n'ont pu donner lieu à aucune fraude, dès lors qu'il revenait à ses clients d'autoliquider la taxe sur la valeur ajoutée, et qu'elle a elle-même autoliquidé cette taxe lors de l'acquisition de la prestation de service ; elle devait, en tout état de cause, appliquer le régime d'autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par l'article 283-2 octies du code général des impôts, en présence de services de communications électroniques ;
- l'amende et la majoration de 40 % pour manquement délibéré ne sont pas fondées.
Par un mémoire, enregistré le 17 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable compte tenu du placement en liquidation judiciaire de la SARL Saving Business, postérieurement à l'introduction de l'instance ;
- les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 8 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Saving Business, créée en avril 2005, dont le siège social était à Chambéry (Savoie) et qui avait pour activité la revente de cartes téléphoniques prépayées achetées auprès d'opérateurs à des semi-grossistes, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er décembre 2013 au 30 septembre 2016. Au terme de ce contrôle, la vérificatrice a remis en cause le régime d'autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu à l'article 283-2 octies du code général des impôts pour les services de communications électroniques, appliqué par la société aux prestations de vente de cartes téléphoniques prépayées à ses clients français en distinguant ceux établis dans le secteur de Marseille et les autres clients français. La SARL Saving Business a, en conséquence, été soumise à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2016 auxquels ont été appliqués des intérêts de retard et la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts. Elle s'est également vu infliger l'amende prévue au 1° de l'article 1737-I du même code pour les ventes aux clients du secteur de Marseille. La SARL Saving Business relève appel du jugement du 27 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, des pénalités correspondantes et de l'amende.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 283 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables (...) / 2 octies. Pour les services de communications électroniques, à l'exclusion de ceux soumis à la taxe prévue à l'article 302 bis KH, la taxe est acquittée par l'acquéreur qui dispose d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. (...) ".
3. D'une part, la vérificatrice a constaté, s'agissant des cartes téléphoniques prépayées facturées par la SARL Saving Business aux clients du secteur de Marseille, que les produits correspondant à ces ventes étaient enregistrés en comptabilité sous un seul compte client intitulé " clients Marseille " et que toutes les ventes ont donné lieu à des règlements en espèces. Si la SARL Saving Business a fait valoir, au cours de la vérification de comptabilité, qu'elle envoyait les cartes téléphoniques prépayées à un intermédiaire, la société Allo Le Bled, lequel se chargeait de les revendre aux détaillants et qu'elle éditait les factures au nom des détaillants une fois obtenue de la société Allo Le Bled les paiements et une liste des acquéreurs, elle se borne, pour justifier les opérations facturées, à verser à l'instance un document se présentant comme une liste des clients éditée au 30 octobre 2015 qui est, en soi, dénuée de toute valeur probante. Selon les éléments recueillis par la vérificatrice à la suite d'un droit de communication auprès de plusieurs des clients auxquels la SARL Saving Business a facturé des cartes téléphoniques prépayées, les sociétés Bonne Télécom, Cyber Orient, Alimentation Jendari et La Fraternité, ont déclaré avoir eu recours à d'autres fournisseurs que la SARL Saving Business tandis que la société Prestige Mobile a déclaré ne pas avoir vendu de cartes téléphoniques prépayées. Ainsi, eu égard à la présence d'un intermédiaire auquel la SARL Saving Business ne facturait d'ailleurs aucune prestation et avec lequel elle n'était liée par aucun contrat, s'interposant entre elle et les destinataires des cartes téléphoniques prépayées et à l'impossibilité pour elle de vérifier l'identité des clients inscrits sur les listes qui lui étaient transmises, l'administration doit être regardée comme établissant, par des éléments objectifs, que la SARL Saving Business ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations. La SARL Saving Business ne démontre, en tout état de cause, pas que les détaillants étaient des assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, en se bornant à invoquer le volume des ventes alors que, comme il a été dit, les opérations ne sont pas justifiées et tous les paiements ont été effectués en espèces. Dans ces conditions, c'est par une exacte application de ces dispositions que l'administration a remis en cause l'application du régime d'autoliquidation pour ces opérations et rendu la SARL Saving Business redevable de la taxe sur la valeur ajoutée non facturée.
4. D'autre part, pour ce qui concerne les ventes de cartes téléphoniques prépayées aux clients en France établis en-dehors du secteur de Marseille, la SARL Saving Business a produit, au cours de la vérification de comptabilité, des attestations de la plupart des clients indiquant qu'ils s'engageaient à auto-liquider la taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations. Il résulte de l'instruction que quatre de ces clients, les sociétés Euro Plus, MB Concept, Ramcco et SPE, qui sont spécialisées dans les travaux du bâtiment, mais également de nettoyage pour la dernière de ces entreprises, ont fait l'objet de contrôles fiscaux révélant qu'ils n'avaient pas revendu de cartes téléphoniques prépayées. Il résulte également de l'instruction que les vingt-huit autres clients sont des entreprises du bâtiment, de vente de produits de fermetures, volets et stores, du secteur du nettoyage ou du secteur du design, et que seul un de ses clients a pour activité le commerce de gros non spécialisé. Or, il est constant que la SARL Saving Business, qui, constituée en 2005, a une réelle connaissance du secteur de la vente des cartes téléphoniques prépayées, a admis, lors d'un entretien avec la vérificatrice du 1er février 2017 dont elle a signé le compte-rendu, que cette expérience lui avait permis de prendre conscience que " les montants reçus par les sociétés du bâtiment servent en général à rémunérer les ouvriers au noir ". L'administration démontre ainsi, par ces éléments objectifs, que la SARL Saving Business ne pouvait ignorer que les ventes de cartes téléphoniques s'inscrivaient dans un système de fraude débouchant sur une forme de rémunération occulte de salariés excluant la revente de ces cartes téléphoniques sous le régime de l'autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée par les entreprises acquéreuses, ce que corrobore, au demeurant, le fait que la société a pris soin d'obtenir des attestations de la plupart de ses clients quant à l'application du régime de l'autoliquidation à leurs propres opérations. Enfin, l'administration pouvait rendre redevable la société requérante de la taxe sur la valeur ajoutée qui n'a pas été auto-liquidée par ses clients. Dans ces conditions, c'est par une exacte application des dispositions précitées que l'administration a également remis en cause l'application du régime d'autoliquidation pour ces opérations et rendu la SARL Saving Business redevable de la taxe sur la valeur ajoutée.
5. En second lieu, la SARL Saving Business n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 310 de la documentation administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-20-50-50, qui ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle qui lui a été appliquée.
Sur les amendes et majorations :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut mettre l'amende ainsi prévue à la charge de la personne qui a délivré la facture ou à la charge de la personne destinataire de la facture si elle établit que la personne concernée a soit travesti ou dissimulé l'identité, l'adresse ou les éléments d'identification de son client ou de son fournisseur, soit accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, d'une identité fictive ou d'un prête-nom.
7. Il résulte du point 3 du présent arrêt que la SARL Saving Business a établi des factures libellées à des clients dont l'identité a été travestie afin de dissimuler la véritable identité de tous ses clients. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a appliqué à la société requérante l'amende prévue par les dispositions précitées.
8. En second lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
9. Pour justifier la majoration pour manquement délibéré appliquée, l'administration relève, d'une part, que la SARL Saving Business a établi des factures, mentionnant le régime d'autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée, au nom de clients situés à Marseille ou ses alentours, en dissimulant la véritable identité de ses clients, et, d'autre part, qu'elle savait que la revente de cartes téléphoniques prépayées à des clients établis en-dehors du secteur de Marseille ne s'insérait pas dans un circuit économique normal eu égard à leurs objets sociaux. Ce faisant, l'administration établit, ainsi qu'il lui incombe en application de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, l'intention délibérée de la SARL Saving Business d'éluder l'impôt justifiant la pénalité appliquée.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir du ministre, que la SARL Saving Business n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Saving Business est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Saving Business et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY02068