La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2024 | FRANCE | N°23LY00412

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 27 novembre 2024, 23LY00412


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler d'une part, la décision du 17 juillet 2019 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Isère a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 16 septembre 2019, d'autre part, la décision implicite du 25 février 2022 par laquelle le SDIS a rejeté sa dema

nde indemnitaire présentée le 24 décembre 2021, tendant à la prise en charge des honora...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler d'une part, la décision du 17 juillet 2019 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Isère a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 16 septembre 2019, d'autre part, la décision implicite du 25 février 2022 par laquelle le SDIS a rejeté sa demande indemnitaire présentée le 24 décembre 2021, tendant à la prise en charge des honoraires des consultations de psychologie effectuées auprès de Mme B... et de condamner le SDIS à lui verser la somme de 1 545 euros en remboursement des honoraires de la psychologue spécialisée en prévention des risques psychosociaux consultée entre juillet 2012 et juin 2017, enfin d'enjoindre au SDIS de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.

Par un jugement n° 2000323 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 février 2023, un mémoire récapitulatif, enregistré le 25 juillet 2024, et un mémoire enregistré le 6 novembre 2024 qui n'a pas été communiqué, M. D..., représenté par Me Bacha, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 novembre 2022 ;

2°) d'annuler les décisions précitées ;

3°) d'enjoindre au SDIS de l'Isère de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie à compter du 13 mai 2002, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, avec consolidation au 1er janvier 2019 et un taux d'invalidité de 20 %, et de prendre en charge l'ensemble des honoraires médicaux et frais découlant de la pathologie imputable au service ;

4°) de mettre à la charge du SDIS les frais d'expertise médicale et, par suite, de condamner ce dernier à lui restituer la somme de 450 euros ;

5°) de mettre à la charge du SDIS une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les troubles dépressifs, du sommeil et cardiaques dont il souffre depuis 2002 sont imputables au service.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 23 mai et 5 novembre 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Isère, représenté par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,

- les observations de Me Bacha, représentant M. D... et celles de Me Marginean représentant le Service départemental d'incendie et de secours de l'Isère.

Une note en délibéré, enregistrée le 21 novembre 2024, a été présentée pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers professionnels, a été affecté le 1er janvier 2010 en qualité de chef du groupement Prévision de l'état-major du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Isère. Le 7 juillet 2018, il a formé une demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de troubles dépressifs, du sommeil et cardiaques dont il souffre depuis 2002. Le président du conseil d'administration du SDIS, ne suivant pas l'avis favorable rendu par la commission de réforme rendu le 16 mai 2019, a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie par une décision du 17 juillet 2019. M. D... interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 juillet 2019, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 16 septembre 2019, la décision implicite du 25 février 2022 par laquelle le SDIS a rejeté sa demande indemnitaire présentée le 24 décembre 2021, tendant à la prise en charge des honoraires des consultations de psychologie effectuées auprès de Mme B..., et de condamner le SDIS à lui verser la somme de 1 545 euros en remboursement des honoraires de la psychologue spécialisée en prévention des risques psychosociaux consultée entre juillet 2012 et juin 2017.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. / (...) ".

3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

4. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier, en particulier des nombreux documents relatifs à son parcours professionnel, que les difficultés que M. D... a rencontrées au sein de son service, notamment développées dans un document de 157 pages intitulé " descriptif factuel " joint à la requête, sont fondées sur des désaccords qui ont persisté pendant près de dix-sept années, entre 2002 et 2019, au sujet des mesures générales d'organisation du service, dont il estime qu'elles n'étaient pas adaptées ou révélaient des carences dans la gestion dudit service. Toutefois, de telles circonstances générales, pour les unes, se rapportent notamment à des faits antérieurs à l'année 2000, pour les autres, ne concernent pas seulement le requérant, et contrairement à ce qu'il soutient en évoquant par exemple sur ce point un refus de promotion au poste de chef de groupement, ne caractérisent pas l'existence de conflits éthiques. D'autre part, si M. D... évoque un contexte de surcharge de travail dès l'année 2000, il ne précise pas les raisons pour lesquelles sa charge de travail aurait été anormale et ne produit à ce titre aucun document permettant d'établir le cumul d'emplois et le dépassement du temps de travail qu'il dénonce. Il ressort en outre du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 novembre 2014, devenu définitif, qui a rejeté la requête de M. D... tendant à l'annulation de la décision lui refusant l'octroi de la protection fonctionnelle et l'indemnisation de divers préjudices, que les faits de harcèlement dénoncés jusqu'en 2012 n'ont pas été reconnus comme tels par la juridiction. Si M. D... invoque des faits de même nature qui se seraient poursuivis à compter de l'année 2013, en particulier une direction autoritaire du service et des comportements parfois brutaux émanant de la hiérarchie, ou encore l'existence d'une procédure illégale de recueils d'avis anonymes concernant la promotion d'officiers, les éléments qu'il produit ne permettent ni de faire présumer une situation de harcèlement, ni un contexte d'une particulière violence, ni même d'établir l'existence de mesures de rétorsion à son encontre, s'agissant notamment de congés tardivement accordés. De même, si plusieurs mesures prises à son encontre entre 2013 et 2015, telles que le refus opposé à l'alimentation de son compte épargne temps avec des congés non pris en 2013, l'appréciation figurant dans sa fiche de notation au titre de 2014 et 2015, et la sanction infligée en 2015, ont été annulées par la juridiction administrative, ces circonstances ne sauraient par elles-mêmes être à l'origine d'une aggravation de son état de santé, le lien avec ces mesures n'étant pas démontré. De telles illégalités ne sont pas davantage, quand bien même elles constitueraient des erreurs préjudiciables à M. D... et contrairement à ce qu'indique ce dernier, de nature à révéler un exercice anormal du pouvoir hiérarchique. Il ressort par ailleurs des nombreux comptes-rendus d'entretien professionnels produits à l'instance que M. D... a fait l'objet d'appréciations très favorables, s'agissant en particulier des notations dont il fait état après avoir dénoncé les erreurs de procédure commises dans le service, ainsi qu'il ressort par exemple de l'appréciation portée le 11 avril 2000 sur sa manière de servir au cours de l'année 1998. Les notations suivantes, qui font état de sa grande technicité, ne permettent pas de tenir pour établie la faible reconnaissance professionnelle qu'il dénonce, ni n'expriment d'opinions dévalorisantes qui participeraient de l'aggravation de son état de santé. Il en va de même de la circonstance que M. D... n'aurait pas été nommé en 1998 au poste de chef de groupement auquel il prétendait ni promu au grade de colonel en 2002, alors par ailleurs qu'invité à postuler aux fonctions de commandement d'un service départemental d'incendie et de secours emportant promotion au grade de colonel, il n'y a pas donné suite.

5. Enfin, si, à compter de l'année 2012, M. D... a engagé plusieurs contentieux devant la juridiction administrative qui l'ont opposé au SDIS et ont ainsi nourri un contexte de tensions permanentes, il est constant que les pathologies dont il souffre, relatives à des troubles du sommeil, du rythme cardiaque et un état dépressif réactionnel, se sont manifestées dès 2002, de sorte que ces tensions ne peuvent en être à l'origine. En particulier, ainsi que M. D... l'indique lui-même, les troubles du sommeil dont il a souffert se sont manifestés en 1998, mais n'ont été signalés à un médecin du travail que lors de la visite annuelle d'aptitude le 3 mai 2002.

6. Il résulte de ce qui précède que les circonstances précitées ne suffisent pas à démontrer l'existence de conditions de travail de nature à susciter le développement des maladies dont le requérant a personnellement souffert, et qu'ainsi, celui-ci ne saurait se prévaloir de l'existence d'un contexte professionnel pathogène.

7. En deuxième lieu, et en tout état de cause, s'il ressort des pièces du dossier, en particulier des nombreux certificats médicaux, de l'avis favorable émis par la commission de réforme lors de sa séance du 16 mai 2019 et des conclusions déposées le 3 septembre 2021 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, que les pathologies que M. D... présente, ou leur aggravation, sont concomitantes à l'exercice de ses fonctions, elles se rattachent à un vécu pathogène des conditions de travail par l'intéressé.

8. Il ressort en effet des pièces du dossier, en particulier du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 novembre 2014 précité, que concernant ce contexte professionnel, la dégradation du climat de travail résulte de remontrances réitérées que l'intéressé a pris l'initiative d'adresser à ses supérieurs, et que celui-ci a nourri de multiples ressentiments suscités par la gestion quotidienne du service, du fait des divergences entre gradés exerçant leurs fonctions dans un milieu professionnel par ailleurs fortement hiérarchisé. M. D..., qui a précisément produit à ce titre un nombre très important de pièces relatant les critiques qu'il a formulées, ne peut utilement se prévaloir de ce que les appréciations qu'il a émises à l'encontre du service n'ont pas pris d'expression publique ni dépassé le cadre des échanges de vues entre membres de la direction, et n'est pas fondé à soutenir que cette attitude aurait conduit la juridiction administrative à faire droit à ses demandes rappelées au point 4. Dans ces conditions, les pièces versées au dossier permettent de retenir que le comportement du requérant n'est pas étranger aux difficultés relationnelles qu'il a dénoncées dans son milieu professionnel, et qu'il s'est maintenu, ainsi que l'expert l'a relevé, dans un état de souffrance qui lui a été préjudiciable. Par suite, à supposer même que le lien direct entre les pathologies de M. D... et avec le service soit établi au regard des documents visés au point précédent, le comportement de celui-ci durant ses années de service a constitué un fait personnel déterminant dans l'apparition et la poursuite de ses pathologies, conduisant à les faire regarder comme détachables du service.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

10. M. D... ne remet pas utilement en cause le bien-fondé du jugement attaqué s'agissant du partage entre les parties des frais de l'expertise réalisée par le docteur A.... Ses conclusions tendant à ce que soient mis à la charge du SDIS les frais d'expertise médicale et, par suite, à la condamnation de cette administration à lui restituer la somme de 450 euros doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS de l'Isère, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du SDIS de l'Isère tendant à l'application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du service départemental d'incendie et de secours de l'Isère tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Isère et au service départemental d'incendie et de secours de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Péroline Lanoy

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00412


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00412
Date de la décision : 27/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-04-01 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : BDO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-27;23ly00412 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award