Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 23 mai 2024 par lequel la préfète du Rhône a décidé de sa remise aux autorités espagnoles en application de la procédure Dublin et l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2404947 du 5 juin 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal a fait droit à sa demande et a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 juillet 2024, la préfète du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. D....
Elle soutient que :
- la brochure commune visée à l'article 4-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin2013 n'a pas à être littéralement traduite à l'occasion de l'information orale délivrée lors de l'entretien avec l'intéressé ; ce dernier ne s'est pas prévalu de l'absence de traduction orale des brochures lors de son entretien individuel, ni à aucune reprise postérieurement et notamment pas aux termes de son recours ; il n'a produit aucun élément probant au soutien d'un défaut de communication d'information ; il a bénéficié d'un entretien individuel, conduit par un agent qualifié, par le truchement d'un interprète en langue mandingue, également qualifié, lequel a traduit et expliqué l'essentiel du contenu des informations contenues dans la brochure ; M. B... a confirmé avoir compris les informations qui lui avaient été communiquées ; il n'a jamais indiqué être analphabète lors de la procédure, et a précisé comprendre un peu l'anglais, langue dans laquelle les brochures lui ont été remises ; il a été en mesure, lors de l'entretien individuel, de communiquer des informations sur sa situation personnelle et familiale ; le même interprète l'a assisté lors de la notification des décisions ; il n'a été privé d'aucune garantie ;
- les décisions sont suffisamment motivées en droit et en fait ;
- la situation de l'intéressé, demandeur d'asile ayant franchi illégalement la frontière espagnole, relevait de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- les décisions ne méconnaissent ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni ne sont entachées d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. B... ;
- M. B... ne se prévaut d'aucun mauvais traitement ni d'un danger personnel imminent et grave en cas de retour en Espagne, État membre de l'Union européenne, ni d'aucune défaillance systémique dans ce pays quant à l'accueil des demandeurs d'asile ; la décision de transfert ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; M. B... ne peut utilement se prévaloir du principe de non refoulement énoncé à l'article 33 de la convention de Genève, à l'encontre d'une décision de transfert ;
- il n'est pas fondé à soutenir que les décisions seraient illégales au regard de son état de santé, dont il ne justifie pas, alors que l'Espagne possède un système de santé et des structures médicales et sanitaires conformes au standard européen, pays à destination duquel il ne démontre pas ne pas être en mesure de voyager ;
- M. B... ne peut exciper de l'illégalité, non établie, de la décision de transfert au soutien de l'illégalité de la décision l'assignant à résidence ;
- la mesure d'assignation à résidence dans le département du Rhône avec obligation de se présenter une fois par semaine aux services de police n'est pas disproportionnée, alors que son éloignement à destination de l'Espagne demeure une perspective raisonnable.
Par un mémoire enregistré le 1er août 2024, M. E... B..., représenté par Me Goma Mackoundi, conclut au rejet de la requête et demande son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, ainsi que le versement à la charge de l'État d'une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant gambien né le 20 février 1998 à Brikama, déclare être entré en France le 16 février 2024. Il a déposé une demande d'asile en France le 26 février 2024. La préfète du Rhône a, par un arrêté du 23 mai 2024, décidé du transfert de l'examen de sa demande d'asile aux autorités espagnoles. Par un arrêté du même jour, elle l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. La préfète du Rhône relève appel du jugement du 5 juin 2024 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...) ".
3. De plus, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. (...) /(...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle il décide la réadmission de l'intéressé dans l'État membre responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre le 26 février 2024, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile auprès de la préfecture du Rhône, les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement précité. Ces documents lui ont été remis en langue anglaise. M. B... allègue que l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement 604/2013 (UE) du 26 juin 2013, dès lors qu'il serait analphabète, et que l'assistance dont il a bénéficié par un interprète en langue mandinka, par téléphone, aurait été insuffisante et ne lui aurait pas permis de comprendre les procédures et le contenu des brochures. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. B... a bénéficié, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'un entretien individuel le 26 février 2024 avec un agent de la préfecture du Rhône. Au cours de cet entretien, M. B... a été assisté d'un interprète en langue mandinka et a certifié, sur la fiche individuelle résumant l'entretien, avoir compris les termes de la conversation. La rareté de cette langue suffit à justifier de la nécessité de recourir aux services de la société ISM Interprétariat, dont il n'est pas contesté qu'elle est agréée par le ministère de l'intérieur et dont les coordonnées, de même que le nom de l'interprète ayant traduit l'entretien, ont été communiqués à l'intéressé sur le résumé de son entretien, qu'il a signé et qui a reconnu avoir compris la procédure dont il faisait l'objet. Il résulte en outre du résumé de l'entretien, dont la copie lui a été remise, qu'il a pu apporter des éléments sur sa situation personnelle et qu'ainsi l'assistance de l'interprète était effective. Le résumé de cet entretien, comprend en outre la mention " Monsieur a été informé que sa demande d'asile est traitée conformément au règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil, dit règlement " Dublin ", il déclare avoir compris la procédure engagée à son encontre ". Ainsi, et alors que l'interprète n'avait pas à procéder à une traduction intégrale des documents, M. B... ne peut être regardé comme n'ayant pas bénéficié d'une information complète sur ses droits. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'a pas fait état auprès des services préfectoraux d'une situation d'analphabétisme, dont il ne s'est prévalu qu'à l'occasion de l'audience en première instance. Par suite, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 aurait été méconnu et que l'intéressé aurait été, à ce titre, privé d'une garantie, et qu'il a annulé, par voie de conséquence, la décision du même jour l'assignant à résidence.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et devant la cour.
Sur le moyen commun aux arrêtés contestés :
7. Les arrêtés en litige ont été signés par Mme C... A..., adjointe à la cheffe du pôle régional Dublin, qui disposait d'une délégation consentie à cet effet par un arrêté de la préfète du Rhône du 15 mai 2024 publié le lendemain au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture. Le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire des arrêtés contestés doit ainsi être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles :
8. En premier lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
9. L'arrêté du 23 mai 2024 portant transfert de M. B... aux autorités espagnoles, qui vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne que M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être muni des documents et visas exigés par les textes en vigueur ; que la consultation du fichier Eurodac a fait apparaître qu'il a été identifié en Espagne à la suite d'un franchissement irrégulier de la frontière, le 9 janvier 2024, et que les autorités espagnoles ont été saisies le 18 mars 2024 d'une demande de prise en charge, à laquelle elles ont implicitement donné leur accord le 19 mai 2024. L'arrêté mentionne en outre qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues au 2 de l'article 3 ou à l'article 17 du règlement, que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et que M. B... n'établit pas l'existence d'un risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'État responsable de la demande d'asile. L'arrêté énonce ainsi les considérations de fait et de droit qui le fondent. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté le transférant aux autorités espagnoles serait insuffisamment motivé.
10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la préfète du Rhône a procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé avant de prononcer l'arrêté de transfert en litige.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque ressortissant de pays tiers ou apatride, âgé de 14 ans au moins, qui, à l'occasion du franchissement irrégulier de sa frontière terrestre, maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, a été interpellé par les autorités de contrôle compétentes (...) ". En application de l'article 24 du même texte, relatif à la transmission des données dactyloscopiques : " 4. (...) La lettre ou les lettres d'identification [de l'État membre] sont suivies du code indiquant la catégorie de personnes ou de demandes. "1" renvoie aux données concernant les personnes visées à l'article 9, paragraphe 1, "2" aux personnes visées à l'article 14, paragraphe 1, (...) ". Aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ". L'article 13 de ce règlement (UE) n° 604/2013 dispose que : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices (...), notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement (...), la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que les empreintes de M. B... ont été relevées par les autorités espagnoles, qui ont classé son dossier en catégorie 2, correspondant au cas où l'interpellation a lieu " à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière ". En outre, à la date de sa première demande d'asile sur le territoire des États membres, l'intéressé avait irrégulièrement franchi les frontières espagnoles depuis moins de douze mois. Il suit de là, qu'en application du règlement (UE) n° 604/2013, l'Espagne est, en principe, l'État responsable de l'examen de sa demande de protection internationale.
13. En quatrième lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. ".
14. D'autre part, aux termes du point 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) " et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. La faculté laissée, par l'article 17 du règlement 604/2013 précité, à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
16. M. B... soutient que le préfet aurait dû faire usage de la faculté de procéder à l'examen de sa demande d'asile, par dérogation aux règles de détermination de l'État responsable de cet examen fixé par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cependant, il n'établit pas que l'Espagne rencontrerait des difficultés dans l'accueil des demandeurs d'asile d'une gravité telle que ces derniers seraient exposés à des risques de traitements prohibés à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, M. B... ne justifie d'aucune situation de santé particulière susceptible de faire obstacle à un transfert vers l'Espagne, où rien ne permet de considérer qu'il serait privé d'accès à des soins appropriés. Enfin, il ne démontre ni son intégration sur le territoire français, ni y avoir tissé des liens intenses et stables. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Rhône aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement du 26 juin 2013.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 23 mai 2024 par lequel la préfète du Rhône a décidé son transfert aux autorités espagnoles.
Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
18. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit précédemment, le moyen tiré de l'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence par voie de conséquence de celle de l'arrêté ordonnant le transfert du requérant aux autorités espagnoles ne peut qu'être écarté.
19. En deuxième lieu, conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement.
20. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile. / (...) / En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...) ".
21. La préfète du Rhône a assigné à résidence M. B... dans le département du Rhône pour une durée de quarante-cinq jours et a décidé qu'il devra se présenter une fois par semaine, les jeudis à 8 h 30, à la direction zonale de la police aux frontières située à Lyon. En se bornant à indiquer qu'il est demandeur d'asile, M. B... n'établit pas qu'une telle mesure, qui a pour seul objet de garantir la représentation de l'étranger soumis à une mesure d'éloignement et d'organiser les conditions de son maintien temporaire jusqu'à son départ, ne serait pas nécessaire ni que les modalités de contrôle de cette assignation à résidence présenteraient en l'espèce un caractère disproportionné.
22. Il en résulte que les conclusions de M. B... contre l'assignation à résidence ne peuvent qu'être rejetées.
23. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé les arrêtés du 23 mai 2024 remettant M. B... aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence. La demande de M. B... devant le tribunal et ses conclusions devant la cour doivent donc être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2404947 du 5 juin 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
La rapporteure,
I. Boffy
Le président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY01881
lc