Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 11 juin 2020 par laquelle le général de brigade commandant du 27ème bataillon de chasseurs alpins lui a infligé la sanction disciplinaire de trente jours d'arrêts et d'enjoindre à l'administration de le rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il aurait été privé par les effet de la décision en cause, sous astreinte, et de retirer de tous les dossiers administratifs le concernant et tous autres dossiers détenus toute pièce relative à la sanction en cause, de les détruire et d'en donner attestation.
Par un jugement n° 2004771 du 30 décembre 2022, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er mars et 29 septembre 2023 et 31 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 décembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 11 juin 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de le rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble des fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il a été privé par les effets de la décision en cause, sans délai, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à l'administration de retirer de tous les dossiers administratifs le concernant et tous autres dossiers détenus, toute pièce relative à la sanction en cause, de les détruire et d'en donner attestation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la sanction contestée est entachée d'un vice de procédure, en l'absence au sein de son dossier disciplinaire d'éléments médicaux, ce qui l'a privé d'une garantie ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, au regard des exigences de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, compte tenu de ce qu'a jugé le Conseil Constitutionnel dans des décisions des 8 décembre 2023 (2023-1074 QPC), 26 juin 2024 (2024-1097 QPC) et 4 octobre 2024 (2024-1105 QPC), n'ayant pas été informé de son droit de se taire pendant la procédure disciplinaire en cause, ce qui l'a privé d'une garantie ;
- elle est fondée sur des faits matériellement inexacts ;
- elle est entachée d'erreur de droit, l'administration ne pouvant se fonder sur la note du 4 décembre 2020 relative au " règlement de service intérieur du 27e BCA " ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation, les faits reprochés n'étant pas de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
- cette sanction est disproportionnée ;
- il est fondé à se prévaloir du Guide à l'usage des autorités investies du pouvoir disciplinaire pour le prononcé d'une sanction disciplinaire.
Par un mémoire enregistré le 18 septembre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Clavier, substituant Me Maumont, pour M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., anciennement Gharbi, était titulaire du grade de caporal au sein de l'armée de Terre et affecté auprès du 27ème bataillon de chasseurs alpins de Cran-Gevrier (74960). A la suite d'une procédure conduite en ce sens, le général de brigade commandant ce bataillon, par une décision du 11 juin 2020, lui a infligé la sanction disciplinaire de trente jours d'arrêts. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, la sanction contestée est fondée, non sur des éléments médicaux, mais sur la méconnaissance d'obligations professionnelles, et notamment celles consistant à faire preuve de discipline et de loyauté. Si M. B... indique que son dossier disciplinaire ne comportait pas d'éléments médicaux, cette circonstance est à elle seule insusceptible d'entacher d'illégalité la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet. D'ailleurs, la décision litigieuse rappelle le contexte dans lequel sont survenus les faits qui lui sont reprochés, et en particulier l'arrêt de travail pour raison de santé dont il a bénéficié, qui aurait justifié selon lui son comportement. Le moyen ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent : / 1° A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 ; / (...) / Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense. / (...). ". Aux termes de l'article R. 4137-15 du même code : " Avant qu'une sanction ne lui soit infligée, le militaire a le droit de s'expliquer oralement ou par écrit, seul ou accompagné d'un militaire en activité de son choix sur les faits qui lui sont reprochés devant l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. Au préalable, un délai de réflexion, qui ne peut être inférieur à un jour franc, lui est laissé pour organiser sa défense. Lorsque la demande de sanction est transmise à une autorité militaire supérieure à l'autorité militaire de premier niveau, le militaire en cause peut également s'expliquer par écrit sur ces faits auprès de cette autorité supérieure. L'explication écrite de l'intéressé ou la renonciation écrite à l'exercice du droit de s'expliquer par écrit est jointe au dossier transmis à l'autorité militaire supérieure. Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner. ".
4. Une demande de question prioritaire de constitutionnalité doit, à peine d'irrecevabilité, être présentée par mémoire distinct. Ne peut être utilement contestée, en dehors de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, la conformité à des principes et dispositions à valeur constitutionnelle de dispositions réglementaires se bornant à réitérer des dispositions législatives ou à en tirer les conséquences nécessaires. M. B... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que la sanction disciplinaire en litige serait entachée d'un vice de procédure au regard des exigences de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, compte tenu de ce qu'a jugé le Conseil Constitutionnel dans des décisions des 8 décembre 2023 (2023-1074 QPC), 26 juin 2024 (2024-1097 QPC) et 4 octobre 2024 (2024-1105 QPC), n'ayant pas été informé de son droit de se taire pendant la procédure disciplinaire en cause, ce qui l'aurait privé d'une garantie. Toutefois, l'intéressé n'a, ainsi, pas soulevé l'inconstitutionnalité de l'article L. 4137-1 du code de la défense, sur le fondement duquel la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet a été conduite, ni même celle des dispositions réglementaires qui en précisent les conditions d'application, et en particulier de l'article R. 4137-15 de ce code. Par ailleurs, et même en admettant qu'il aurait invoqué l'inconstitutionnalité de l'article L. 4137-1 du code de la défense, un tel moyen, faute de présentation par mémoire distinct, serait, en toute hypothèse, irrecevable. Et à supposer également que M. B... l'aurait invoqué, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article R. 4137-15 du même code, qui se borne à tirer les conséquences nécessaires de l'article L. 4137-1 de ce code, serait, de toutes les façons, inopérant. Par suite, et alors que le Conseil Constitutionnel ne s'est pas prononcé sur l'article L. 4137-1 du code de la défense, le vice de procédure dont se plaint M. B... ne saurait être retenu. En tout état de cause, la sanction infligée à ce dernier, qui procède d'un constat objectif de différents faits retenus à son encontre, n'est pas fondée, même en partie, sur ses propres déclarations.
5. En troisième lieu, il n'apparaît pas que la sanction en litige serait fondée sur la note du 4 décembre 2020 relative au " règlement de service intérieur du 27e BCA ", qui est postérieure à l'intervention de la sanction. Si elle a été produite en première instance, une telle circonstance ne saurait suffire à révéler son application. Aucune erreur de droit ne saurait être retenue.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / (...) / e) Les arrêts ; / (...). ". Aux termes de l'article R. 4137-28 du même code : " Les arrêts sont comptés en jours. Le nombre de jours d'arrêts susceptibles d'être infligés pour une même faute ou un même manquement ne peut être supérieur à quarante. / (...). / Le militaire sanctionné de jours d'arrêts effectue son service dans les conditions normales mais il lui est interdit, en dehors du service, de quitter sa formation ou le lieu désigné par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. / La sanction d'arrêts entraîne le report de la permission déjà accordée. Pendant l'exécution de ses jours d'arrêts, le militaire ne peut prétendre au bénéfice d'une permission, sauf pour évènements familiaux. ". Aux termes de l'article L. 4111-1 de ce même code : " (...) / L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. (...). ". Aux termes de l'article L. 4122-3 de ce code : " Le militaire est soumis aux obligations qu'exige l'état militaire conformément au deuxième alinéa de l'article L. 4111-1. Il exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. (...) ". Aux termes de l'article R. 4137-13 du même code : " Tout supérieur a le droit et le devoir de demander à ce que les militaires placés au-dessous de lui dans l'ordre hiérarchique soient sanctionnés pour les fautes ou les manquements qu'ils commettent. / Il en est de même de toute personne civile à l'égard des militaires placés sous son autorité. ".
7. La sanction en litige tient à ce que le 7 avril 2020, après avoir obtenu d'un médecin civil, par téléconsultation aux alentours de 17 heures 40, alors que l'infirmerie était fermée, un arrêt de travail du 7 au 12 avril 2020, M. B... a quitté avec son véhicule personnel le quartier d'affectation où il était aux arrêts, pour se rendre chez sa compagne à Annecy, et n'a rendu compte de ce départ qu'après avoir quitté le bataillon.
8. D'abord, il apparaît que, à la date de la décision en litige, M. B... était aux arrêts depuis le 2 avril 2020 afin d'exécuter une précédente sanction de quarante jours d'arrêts. Si cette décision mentionne par erreur que l'intéressé était aux arrêts pour la période du 14 mars au 24 avril 2020, une telle erreur, pour regrettable qu'elle soit, est purement matérielle, étant dénuée d'incidence sur la légalité de la sanction contestée.
9. Ensuite, contrairement à ce qu'il soutient, M. B... a été sanctionné en raison de la désobéissance dont il a fait preuve en quittant le quartier militaire sans prévenir préalablement sa hiérarchie ni autorisation alors qu'il était aux arrêts, et non pour avoir feint une douleur au dos afin de se soustraire à l'exécution d'une précédente sanction de quarante jours d'arrêts. Les faits servant de fondement à la sanction ne sont donc pas matériellement inexacts. Le moyen ne peut être retenu.
10. En cinquième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
11. D'abord, la circonstance qu'un agent est placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de sanction. Par suite, et dès lors qu'en vertu des dispositions précitées de l'article R. 4137-28 du code de la défense, il est interdit à un militaire sanctionné de jours d'arrêts, en dehors du service, de quitter sa formation, l'autorité disciplinaire a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer en l'espèce que M. B..., pour avoir quitté le quartier militaire alors qu'il était aux arrêts, et ce sans autorisation et en n'ayant prévenu sa hiérarchie que postérieurement à son départ, avait méconnu les obligations professionnelles de discipline et de loyalisme s'imposant à lui en vertu des dispositions rappelées plus haut et donc commis des fautes. Par suite, les fautes reprochées à l'intéressé étaient de nature à justifier une sanction. Ensuite, les faits reprochés sont survenus alors que M. B... était sous le coup d'une sanction de quarante jours d'arrêts, en cours d'exécution. Dans ce contexte, compte tenu de son grade, et malgré des états de service satisfaisants, l'autorité disciplinaire, en lui infligeant une sanction de trente jours d'arrêts, n'a pas pris une mesure disproportionnée. Les moyens doivent donc être écartés.
12. En dernier lieu, le " Guide à l'usage des autorités investies du pouvoir disciplinaire pour le prononcé d'une sanction disciplinaire ", annexé à l'instruction n° 23058/DEF/SGA/DRH-MD/SR-RH/FM1 relative aux sanctions disciplinaires et à la suspension de fonctions applicables aux militaires, s'agissant des buts poursuivis par l'auteur d'une sanction disciplinaire, correspond à des orientations générales dont l'intéressé ne saurait utilement se prévaloir.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B..., anciennement Gharbi, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... anciennement Gharbi est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... anciennement Gharbi et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le rapporteur,
J. Chassagne
Le président,
V-M. Picard La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY00792
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