Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'EURL Gassend a demandé au tribunal administratif de Lyon :
1°) de fixer le solde du décompte de liquidation du lot n° 13 du marché de travaux passé avec le département le 29 juin 2016 à la somme de 442 578 euros ;
2°) de condamner le département de l'Ardèche à lui verser cette somme ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Ardèche la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des conclusions reconventionnelles, le département de l'Ardèche a demandé que le solde soit fixé conformément au décompte de résiliation et la condamnation de l'EURL à lui en verser le montant.
Par jugement n° 2008257 du 10 novembre 2022, le tribunal a fixé le solde du décompte de liquidation à la somme de 37 149,47 euros en faveur du département de l'Ardèche et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 16 janvier 2023 et un mémoire enregistré le 15 novembre 2023, la société Etude Balincourt, en sa qualité de mandataire liquidateur de l'EURL Gassend, représentée par la société Guimet Avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 novembre 2022 ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Ardèche la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les retards pris en cours d'exécution du chantier sont imputables à une faute du département de l'Ardèche qui a décidé de modifier l'ordonnancement des travaux et n'a pas fait usage de son pouvoir de direction et de contrôle du chantier pour remédier aux retards pris par les autres entreprises intervenant sur le chantier ;
- la consistance des travaux a été modifiée en cours de chantier, rendant plus longue et plus complexe son intervention ;
- le marché a fait l'objet de modifications en cours de chantier qui ont engendré des surcoûts de 321 133 euros correspondant à 39 % du montant du marché, soit au-delà du montant de 5 % prévu par l'article 15.3 du CCAG travaux ;
- les fautes du maître de l'ouvrage ont causé des surcoûts pour son personnel d'intervention à hauteur de 230 230 euros, pour son personnel de maîtrise de chantier à hauteur de 38 588 euros et pour son personnel d'encadrement à hauteur de 52 315 euros soit un total de 321 133 euros hors taxe, somme qui doit être actualisée à la date du 31 mars 2020 pour un montant de 15 514 euros hors taxe supplémentaire ;
- les autres surcoûts liés au décalage du chantier lui ont causé un préjudice de 111 028 euros ;
- les surcoûts liés à la sous-couverture des frais généraux doivent être évalués à 10 427 euros, les frais financiers à 27 142 euros, le manque à gagner à 35 945 euros et les frais de constitution et de suivi de dossier à 22 000 euros.
Par mémoires enregistrés le 27 juin 2023 et le 7 décembre 2023, le département de l'Ardèche, représenté par Me Le Chatelier, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'EURL Gassend la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
En application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Savouré, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Christine Psilakis, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Bidault, représentant le département de l'Ardèche.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 29 juin 2016, dans le cadre d'une opération de restructuration du collège des Perrières à Annonay, le département de l'Ardèche a confié à l'EURL Gassend la réalisation du lot n° 13 " Plâtrerie, peinture et faux-plafonds ", pour un montant global et forfaitaire de 837 213,63 euros HT, réduit par la suite par trois avenants à 833 859,76 euros HT soit 1 000 631,71 euros TTC. A la suite du placement de cette entreprise en procédure de sauvegarde, par un jugement du tribunal de commerce d'Aubenas du 26 novembre 2019, son administrateur judiciaire a informé le département, par un courrier du 17 décembre 2019, de sa décision de ne pas poursuivre ce marché. Par un courrier du 3 avril 2020, le département de l'Ardèche lui a notifié le décompte de liquidation faisant apparaître, après prise en compte d'une exécution des prestations à hauteur de 676 307,80 euros TTC, d'un montant total des réfactions et pénalités fixé à 296 988,05 euros et d'un montant des règlements de 670 290,76 euros, un solde en faveur du maître de l'ouvrage de 290 866,13 euros.
2. L'EURL Gassend a contesté ce solde devant le tribunal administratif de Lyon et demandé qu'il soit fixé à 442 578 euros TTC en sa faveur. Par un jugement du 10 novembre 2022, après avoir rejeté les demandes tendant à ce que la rémunération des travaux soit augmentée et réduit le montant des pénalités et réfactions, le tribunal a fixé le solde du décompte à 37 149,47 euros. La société Etude Balincourt, mandataire judiciaire de l'EURL Gassend, interjette appel de ce jugement.
3. En premier lieu, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
4. L'EURL Gassend fait valoir que le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) prévoyait un délai global d'exécution du marché de 44 semaines, son intervention au titre du lot n° 13 devant débuter après la mise hors d'eau et hors d'air du bâtiment C, du 18 avril 2018 au 4 octobre 2018 soit cinq mois et demi. Si elle expose que le début d'intervention sur le bâtiment central a été décalé au 18 septembre 2018 par ordre de service n° 4, puis au 3 décembre 2018 par ordre de service n° 5 alors que le bâtiment n'était pas hors d'eau, le démarrage n'ayant finalement eu lieu que le 7 janvier 2019, il ne résulte pas de l'instruction que ces retards et l'allongement de la durée du chantier qui en est résulté aient pour origine une faute du maître de l'ouvrage alors que le maître de l'ouvrage n'est pas resté inactif en adressant lui-même un courrier du 10 septembre 2018 à la société titulaire du lot gros-œuvre en vue d'aborder les problèmes d'avancement du chantier. S'il résulte de l'instruction que lors du début de l'intervention de l'EURL Gassend, le 7 janvier 2019 seuls les blocs 1 et 2 étaient hors d'eau et si la correspondance et les photos produites au dossier établissent qu'elle a dû travailler partiellement sur des bâtiments non étanches, ce dysfonctionnement ne révèle pas, à lui-seul, une faute du maitre de l'ouvrage alors que ce dernier avait confié à une entreprise spécialisée une mission d'organisation, de pilotage et de coordination du chantier, avec laquelle l'EURL Gassend était d'ailleurs en communication directe sur ce point par courriel, le département n'étant destinataire qu'en copie. Enfin, la circonstance que les prestations du marché ait été modifiée en cours de chantier avec la décision de remplacer le plafond à pente unique par un plafond à pente multiples n'est pas, par elle-même, constitutive d'une faute quand bien-même elle a rendu plus complexe son intervention.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 du CCAG travaux, dans sa version applicable au litige : " 14.1. Le présent article concerne les prestations supplémentaires ou modificatives, dont la réalisation est nécessaire au bon achèvement de l'ouvrage, qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix. (...) 14.3. Dans le cas de travaux réglés sur prix forfaitaires, lorsque des changements sont ordonnés par le maître d'œuvre dans la consistance des travaux, le prix nouveau est réputé tenir compte des charges supplémentaires éventuellement supportées par le titulaire du fait de ces changements, à l'exclusion du préjudice indemnisé, s'il y a lieu, par application de l'article 15.3 ou de l'article 16.1 ". Aux termes de l'article 15.3 du CCAG : " Si l'augmentation du montant des travaux, par rapport au montant contractuel, est supérieure à l'augmentation limite définie à l'alinéa suivant, le titulaire a droit à être indemnisé en fin de compte du préjudice qu'il a éventuellement subi du fait de cette augmentation au-delà de l'augmentation limite. / L'augmentation limite est fixée : - pour un marché à prix forfaitaires, à 5 % du montant contractuel (...) ".
6. Il résulte de l'instruction qu'en cours de chantier, la consistance des travaux et en particulier la réalisation du plafond de l'atrium a été modifiée, ainsi qu'il a été dit plus haut. De nouveaux plans ont été adressés le 16 juin 2019 et le 8 juillet 2019. Le démarrage de ces travaux modifiés a été ordonné par l'ordre de service n° 7 émis le 25 septembre 2019. Si l'entreprise Gassend a adressé un devis de 38 037,75 euros, celui-ci a été refusé par le maître d'œuvre au motif que les travaux à réaliser étaient similaires et ne justifiaient pas de rémunération complémentaire sans que cette réponse n'ait été contestée en cours de chantier. L'EURL Gassend ne justifiant pas l'augmentation alléguée du prix, et alors au demeurant que le montant de son devis n'excédait pas le taux de 5 % du montant contractuel, il résulte des stipulations précitées que l'EURL Gassend n'est pas fondée à demander l'indemnisation du préjudice qu'elle allègue avoir subi du fait de cette modification de la consistance du marché. A ce titre, elle ne saurait invoquer l'augmentation du coût des travaux liée à l'allongement du chantier et au décalage du planning, qui constitue une sujétion non indemnisable dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, en l'absence de faute du maître de l'ouvrage ainsi qu'il a été dit plus haut.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Gassend n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal a fixé le solde du marché au montant de 37 149,47 euros.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de l'Ardèche, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'EURL Gassend. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EURL Gassend le paiement des frais exposés par le département de l'Ardèche en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Etude Balincourt, mandataire judiciaire de l'EURL Gassend, est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département de l'Ardèche, présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Etude Balincourt, en sa qualité de mandataire judiciaire de l'EURL Gassend et au département de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2024, où siégeaient :
- M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
- Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
- M. Bertrand Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le rapporteur,
B. SavouréLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au préfet de l'Ardèche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00158